1. Cadre de la recherche

Pour délimiter notre recherche, nous proposons de spécifier en amont les notions fondamentales et les principes utiles à notre recherche. Ainsi, nous clarifions l’activité design en nous appuyant sur le vocabulaire de la théorie de l’activité, nous distinguons outil et instrument puis nous listons les trois enjeux convoqués au sein de notre recherche, à savoir la représentation, la visualisation et la manipulation.

1.1. L’activité design, contexte de la pratique

Pour délimiter notre recherche, nous proposons de spécifier en amont les notions fondamentales et les principes utiles à notre recherche. Ainsi, nous clarifions l’activité design en nous appuyant sur le vocabulaire de la théorie de l’activité, nous distinguons outil et instrument puis nous listons les trois enjeux convoqués au sein de notre recherche, à savoir la représentation, la visualisation et la manipulation.

— 1.1.1. Théorie de l’activité

Au cours de ce mémoire, nous nous appuierons sur la théorie de l’activité de Vygotsky et Leontiev et exploiterons le vocabulaire propre à cette théorie. Une activité est motivée par un objectif (par exemple, résoudre par le design une problématique donnée). Durant cette activité, des actions s’enchaînent et chacune est conduite dans un but précis à atteindre, toujours dans l’intérêt de l’activité (analyser les sources de cette problématique, révéler ses enjeux, échanger avec ses acteurs, convoquer des connaissances…). Les opérations sont les conditions de réalisation de ces actions (se rendre sur le terrain pour échanger avec les acteurs, prendre des notes sur papier, enregistrer les intervenants avec un dictaphone…).

Figure 01. Théorie de l’activité de Vygotsky et Leontiev

Nous expliciterons la définition du processus design grâce à ce vocabulaire au cours de notre recherche, en assimilant les actions opérées aux comportements du designer.

— 1.1.2. Des inscriptions et des traces

Dans le cadre de notre recherche, nous collecterons les traces de l’activité du designer. Afin de clarifier le propos, nous distinguerons l’inscription intentionnelle d’une connaissance de la trace inintentionnelle voire transparente de l’activité respectivement par les termes « inscription » et « trace ». Ainsi, le designer inscrit consciemment ses connaissances (état d’une réflexion, savoir, association d’idées) sur un support en vue d’une réexploitation et d’une réactualisation. En parallèle, le designer pratique une activité médiée par des outils numériques, des instruments, des intermédiaires produisant des traces inconscientes de cette activité sous diverses formes : historiques de navigation, fonctions utilisées dans les outils, disposition des fenêtres sur l’écran, fichiers de journal (logs). Ces traces sont intrinsèquement temporelles car elles résultent du processus les ayant produites. Au cours de notre recherche, nous questionnerons d’autres éléments constituant statistiquement les activités design, comme le cahier des charges, l’objectif de l’activité, les micro-interactions ou le sujet même de l’activité.

1.2. Entre outil et instrument

Nous proposons l’élaboration d’un outil informatique permettant d’instrumenter sa pratique du design. La frontière entre l’outil et l’instrument est à clarifier afin de définir le véritable statut du projet de recherche.

— 1.2.1. Distinction entre l’instrument et l’outil

Simondon décrit l’outil et l’instrument comme des prolongements du corps. Il distingue l’outil, objet technique prolongeant le corps pour accomplir un geste, de l’instrument, outil prolongeant la perception. L’instrument permet de percevoir l’environnement et l’outil sert à agir sur cet environnement. Notre projet s’articule alors sur un instrument d’observation de sa pratique du design. L’approche de Rabardel s’oriente, elle, sur une théorie de l’activité instrumentale.

Pour lui, l’instrument est une entité mixte composée d’un artefact et d’un schème d’utilisation dépendant de son contexte. Rabardel définit l’artefact par toute chose « ayant subi une transformation d’origine humaine susceptible d’un usage, élaborée pour s’inscrire dans une situation ». L’artefact a un statut social attribué par le sujet en l’associant à son action, et prend place dans l’activité du sujet : il est alors un moyen d’action sur l’objet de l’activité. La logique de l’activité organise le rapport instrumental entre l’homme et l’artefact. L’instrument permet donc de capitaliser l’expérience accumulée : c’est précisément l’enjeu de notre projet de réfléchir le déroulement de la pratique du designer. Rabardel évoque une relation instrumentale entre le sujet et l’instrument, une dynamique inscrite dans l’activité mobilisant des schèmes.

Figure 02. Théorie de l’activité instrumentale de Rabardel

— 1.2.2. Notre instrument-outil

L’instrument que nous interrogeons nous permet donc de visualiser et de manipuler les composantes de la pratique du designer. Il modifie la perception de sa propre pratique et opère par réflexivité — en admettant la posture intentionnelle du sujet — une transformation du comportement du sujet dans le réel. Ainsi, nous pouvons dire que notre instrument prolonge le corps dans sa capacité à réfléchir pour ajuster sa manière de penser : notre objet technique est à la fois instrument et outil. Le designer l’utilise pour observer et se transformer. De plus, l’informatique est considérée comme un objet technique capable de produire des instruments et des outils : notre instrument est alors un outil informatique et un instrument-outil. Nous ferons référence à notre instrument-outil via le terme « instrument » tout au long de notre recherche pour des raisons de lisibilité.

1.3. Représenter, visualiser, manipuler

Les trois enjeux principaux de notre instrument, objets de notre recherche, sont les questions de représentation, de visualisation et de manipulation. Il nous parait nécessaire de distinguer ces notions afin d’approfondir par la suite leurs définitions.

— 1.3.1. Représenter

La représentation implique de montrer, de rendre perceptible et présent. Une représentation signifie un objet absent et manifeste son existence. Elle est la traduction d’un phénomène en un langage compréhensible par le sujet : la représentation dépend alors de son contexte culturel et social. Nous aurons à définir les moyens de représenter d’une part les inscriptions et d’autre part les traces de l’activité du designer à travers l’instrument et ce grâce à des méta-modèles.

— 1.3.2. Visualiser

La visualisation donne du sens et rend intelligible un ensemble de représentations. Sa finalité est de créer des relations cohérentes entre des représentations singulières grâce à des organisations particulières. Ces organisations sont des grilles de lecture et des points de vue orientant la manière de lire voire d’interpréter le contenu. La visualisation peut évoluer grâce à des filtres d’affichage modifiant des paramètres structurants. Nous définirons le contexte chronologique et organisationnel de visualisation de l’instrument et les critères d’affichage manipulables par le designer.

— 1.3.3. Manipuler

Au sein de notre instrument, la manipulation des entités de l’instrument permet au designer d’ajuster sa pratique en ajoutant du sens ou en modifiant sa grille de lecture. Il pourra ainsi annoter les composantes de sa pratique et documenter des processus absents de l’instrument. Également, il pourra accéder à ses inscriptions via l’instrument et réactualiser des ressources temporellement éloignées du présent. Nous nous intéresserons particulièrement à la question de l’annotation comme manière de donner du sens à sa pratique.

Notre instrument a pour ambition de favoriser une posture réflexive par la représentation signifiante des inscriptions et des traces issues de la pratique du designer. La visualisation d’ensemble des composantes de la pratique permet au designer de transformer sa relation vis-à-vis de sa pratique par une distanciation nécessaire. Grâce à l’instrument, le designer peut manipuler et annoter le reflet de sa pratique pour donner un sens nouveau à ses connaissances dans la dynamique réflexive de l’activité. Ainsi, par l’ajustement de sa pratique dans l’action, le designer transforme le processus sous-jacent.

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