Projet de recherche : design et démocratie (Partie 5)

Place démocratique, lieu citoyen ouvert dédié à la gestion de projets communs

Julien Boniteau
Intégral

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Projet

Le dessin et le plan du bâtiment suivent des règles précises, établies en amont de la conception. Construit sur la base de cercles concentriques, le lieu respecte des distances de trois mètres de large pour les passages et six ou neuf mètres de large pour les espaces de vie extérieure et les pièces intérieures.

L’éclairage a été pensé pour être tantôt naturel, tantôt artificiel. Le jour, la lumière naturelle pénètre à la fois par les grandes baies vitrées du toit et par les ouvertures murales orientées vers l’extérieur et l’intérieur. La nuit, l’éclairage artificiel prend le relais, et éclaire l’ensemble du bâtiment. Rayonnant ainsi dans la nuit, le lieu peut être vu et identifié de loin. Le bâtiment a d’ailleurs été conçu de plain-pied, pour faciliter son accès.

Les différentes étapes du processus démocratique que nous avons établi pour ce lieu se succèdent dans le sens horaire, de haut en bas, et donnent leur fonction à chaque pièce. L’ordre et l’agencement des espaces sont donc fonctionnels. Les sections entre chaque pièce, qui déterminent l’emplacement des couloirs, sont calculées grâce à un unique angle, qui rayonne depuis le centre du lieu, l’îlot central. Plus on progresse dans le lieu, plus le silence, la concentration et les compétences professionnelles augmentent, jusqu’à arriver à l’amphithéâtre. Ce dernier est couvert et ouvert sur l’extérieur, véritable fenêtre sur la végétation englobant le bâtiment.

Le chemin coupant à travers le bassin part de l’entrée du lieu et se dirige vers l’amphithéâtre. C’est la symbolique du début du parcours, l’accueil, et de la fin, le débat avec prise de décision et lancement des projets, avant de pouvoir recommencer un cycle.

Entre chaque étape du processus proposé par cette place démocratique, la coursive intérieure et les zones de passages proposent des échanges plus intimes. Les propos qui y sont tenus sont aussi importants que les échanges prenant place dans les salles prévues à cet effet. La coursive est le lien direct et continu entre toutes les étapes du protocole, incarnées par les différentes salles du lieu.

En vue plan, le bâtiment à la forme du C de citoyen.

Notre long travail de recherche nous a conduits à prototyper sur des supports extrêmement variés. En amont du projet et avant d’entamer la conception de cette place démocratique, nous avons illustré certains concepts découverts au cours de nos recherches et de nos lectures. Par la suite, nous avons entamé le dessin du lieu, étape par étape, en travaillant chaque détail et en le liant aux critères que nous avions identifiés grâce à nos découvertes préalables. Nous souhaitions intégrer à notre projet l’ensemble des paramètres étudiés au cours de notre phase exploratoire, au début du projet.

Présentation de certaines fonctions de la place démocratique

Salle de visualisation

La salle de visualisation se trouve entre l’accueil et l’amphithéâtre. Elle est accessible depuis l’entrée du bâtiment sans avoir à passer par l’accueil, pour les initiés. Cette pièce permet à chaque visiteur de consulter les projets en cours et de soumettre ses propres idées. Pour se faire, deux types d’outils sont à la disposition des citoyens. Des écrans de visualisation individuels sont présents en grand nombre. Ces interfaces laissent les utilisateurs se renseigner sur les projets déposés par leurs concitoyens, mais peuvent servir de postes de travail à partir desquels proposer de nouveaux projets. Plus loin, un écran géant interactif affiche une immense cartographie de l’ensemble des projets du lieu. Cette interface, qu’il est possible de personnaliser, montre l’invisible : elle affiche les différents types de liens qui réunissent chaque projet en cours dans le lieu, selon des filtres définis par chacun. Il est ainsi possible de grouper et de rassembler des projets en apparence très éloignés. Ce format de visualisation permet d’appréhender différemment les projets existants et peut donner de nouvelles idées de projets encore inexistants.

Espaces de travail

Cet immense espace, situé après le café, est modulable à souhait. Les tables et les écrans géants mobiles permettent de façonner cette pièce selon les besoins de chaque session de travail. Si plusieurs groupes doivent cohabiter, il est possible de créer des séparations entre les différentes équipes. Au bout de la pièce, un espace de documentation est mis à la disposition de chacun, avec les ressources nécessaires pour se former sur certains sujets plus complexes. Des stations de travail équipées de matériel informatique permettent aussi de travailler seul ou à plusieurs. Dans le prolongement de cette grande pièce de travail se trouve la salle des archives, plus petite et moins animée. À l’intérieur, de puissants ordinateurs et des serveurs professionnels stockent les traces de toutes les activités de la place démocratique : conférences, échanges, débats, sessions de travail, projets abandonnés ou archivés, suivi de projets déployés et en activité. Tout est consigné dans la salle des archives et libre d’accès. Cette pièce, véritable mémoire du lieu, est directement reliée à la salle de visualisation.

Amphithéâtre

L’amphithéâtre vient à la fois fermer la boucle formée par le parcours proposé par le lieu, tout en ouvrant le bâtiment sur l’extérieur. L’amphithéâtre, couvert par le toit comme le reste des pièces, est ouvert. Sorte d’appel à ouvrir son esprit aux discours des autres, il est orienté vers la nature et l’horizon. Espace de débat et de conférence pour les grands groupes, l’amphithéâtre récupère les codes de ces ancêtres romains : en demi-cercle et descendant progressivement, il donne sur une large piste circulaire. De chaque côté, deux coursives permettent d’installer des tables de travail, des assises supplémentaires ou des écrans de retransmission, en cas de très forte affluence.

Ouverture

La démocratie, comme l’ensemble des communs de notre société, ne peut réellement s’achever. La démocratie telle que nous l’avons conçue est un exercice continu, en perpétuel mouvement. Amenée à changer, nous avons vu qu’il était temps de transformer notre démocratie et de l’adapter aux nouveaux besoins modernes auxquels nous faisons face.

Notre projet entend interpréter la démocratie comme un processus créatif permanent. Cette démarche justifie pleinement l’approche de la politique par le design. Transcendée, la méthodologie du design ne fait plus qu’un avec le sujet politique. La démocratie sera ainsi capable d’amener des alternatives fraîches à notre société liquide.

Interpréter la démocratie sous l’angle du design permettra à des groupes humains variés de travailler ensemble sur des projets tout aussi variés. Ce nouveau format démocratique, incarné par le lieu présenté ci-dessus, sera à l’origine de nouvelles expériences de partages, d’échanges de compétences et d’opportunités de création de savoir et d’histoires communes. Créer de nouveaux savoirs communs globaux, c’est aussi nourrir un système et lui permettre d’apprendre de lui-même. Ces connaissances fraîches pourront par la suite profiter aux individus qui constituent ces communautés inédites. Un tel système n’est pas compliqué, comme l’est le plan technique d’un avion de ligne, mais est plutôt complexe, comme l’est l’enchevêtrement des pâtes d’un plat de spaghettis. Le système dans lequel nous sommes actuellement est compliqué, comme un agencement de pièces de moteur. Chaque pièce fait partie d’un tout, elle appartient à une hiérarchie qui fonctionne à sens unique. Le système complexe dans lequel nous souhaitons inscrire notre projet se différencie par sa capacité à se passer de hiérarchie. Dans leur assiette, les spaghettis sont toutes égales les unes par rapport aux autres. Chacune a le même poids, la même importance, les mêmes responsabilités et le même impact. Si l’une bouge, l’ensemble bougera, vu que chaque composante est liée au reste du système. Par définition, aucun élément d’un système complexe ne peut dominer le système en question. Une telle organisation est à l’équilibre, en continu. Ainsi, un système complexe ne peut être le résultat que du fruit de l’intelligence collective.

Un tel bouleversement pourra s’apparenter à un phénomène de réticulation. En chimie, la réticulation désigne l’accès par un polymère à une nouvelle dimension, souvent d’une dimension linéaire à une dimension tridimensionnelle, grâce à la création de nouvelles liaisons transversales. C’est exactement ce que notre projet de place démocratique tente de mettre en place, par l’instauration de nouveaux comportements et le déploiement d’une méthodologie adaptée à notre époque.

Réussir à rassembler des étrangers pour construire ensemble une place démocratique permettra de se détacher progressivement des organes institutionnels dominants actuellement. Sur ce sujet, Frederic LALOUX dit ceci : « Il est impossible de forcer qui que ce soit à grandir en conscience, même avec les meilleures intentions du monde[…]. Il est seulement possible de créer des environnements qui invitent à grandir et à passer au stade suivant. Au contact d’autres personnes qui ont une vision plus complexe du monde et dans un environnement qui offre suffisamment de sécurité pour oser explorer ses conflits intérieurs, on a beaucoup plus de chances de franchir le pas. »

Les choses sont toujours compliquées. Et elles sont toujours simples dès que l’on connaît la clé de leur complexité.

Nous retrouver

Vous pouvez retrouver notre série complète d’articles sur notre projet de place démocratique en suivant ce lien.
Lien direct vers la partie 1.
Lien direct vers la partie 2.
Lien direct vers la partie 3.
Lien direct vers la partie 4.

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