Eco-working : les défis du système ouvert

Duc Ha Duong
l’avenir appartient
6 min readJun 6, 2020

Ceci est le quatrième opus d’une réflexion collective en cours sur le futur des lieux de travail. Le premier revisitait le rapport au temps par le partage de bureau en timeshare, le second le rapport à l’espace par une autre distribution des postes, par cause et non par projet, le troisième le rapport à l’argent par une biodiversité de modèles d’affaires. Celui-ci explore les deux défis à relever.

Le défi de la membrane : la Wholeness

Notre écolieu urbain a une vocation inclusive : toutes les personnes partageant les causes sont les bienvenues, sans autre considération. Pour les laisser toutes venir, il faut éviter de bâtir des murs qui l’enfermeraient par des critères binaires (adhésion, abonnement annuel, sélection par un jury, accès par badge…), garder un espace ouvert, qui permettre à chacun de se positionner à la bonne distance du coeur. Une tribu saine est une tribu où ceux qui s’y reconnaissent se rapprochent, et où ceux qui ne s’y reconnaissent pas s’éloignent tout aussi naturellement. Sauf que les privilèges peuvent être tentants, et amener des personnes à jouer un rôle, prétendre être ce qu’ils ne sont pas, pour pouvoir bénéficier de la confiance de la communauté et des avantages afférents. Le défi de la membrance consiste donc à mettre en place un environnement qui oriente naturellement, avec le moindre effort possible, les individus pour s’assurer qu’ils se positionnent en cohérence avec leur authentique niveau d’engagement.

Je suis bien ici parce que j’y suis moi

Co-optation, transparence voire publicité, preuves par les actes, serments solennels … de nombreuses pratiques existent déjà, l’enjeu est de voir émerger la formule la plus juste, qui évite les biais de reproduction sociale par exemple.

Et ce n’est pas que le premier jour…

Cette authenticité est un besoin permanent, pas simplement à l’entrée dans la tribu. Il faut un environnement quotidien qui invite chacun à toujours rester pleinement soi-même, malgré la diversité des rôles que la vie nous demande de tenir : produire, consommer, élever nos enfants, écouter son corps, écouter la nature. Un écolieu se doit donc d’offrir tous ces environnements à la fois : espace de travail, de cuisine, salon, expression corporelle (yoga, méditation, danse, sport..), loisirs, et contact avec la nature. La liberté de pouvoir tenir n’importe lequel de ces rôles à tout moment est la meilleure garantie de voir chacun s’épanouir à sa juste position, en conscience de la richesse de toutes ses facettes.

manger, travailler, bêcher, pouponner …je suis tous mes rôles, et aucun d’eux à la fois

Le défi de l’inception

Passé le simple plaisir de se retrouver entre amateurs des mêmes causes vient rapidement le désir de passer à l’action. L’émergence de projets porteurs de sens sera la source de la satisfaction des membres de la tribu. Certains seront prêts à contribuer en temps, avec leur compétences, d’autres pourront contribuer en apportant des besoins qu’eux, leur entreprise, leur association, leur administration, éprouvent. De la rencontre des deux naît le projet. Seulement voilà :

  • Si celui qui offre ses produits ou services sait souvent assez bien ce qu’il a à offrir, celui susceptible d’acheter ne sait pas toujours ce dont il a besoin (d’un logo, d’un facilitateur, d’un audit de sécurité…) Et même quand il sait qu’il a besoin d’un site internet par exemple, il reste du travail pour spécifier ce besoin avec assez de précision afin qu’il soit adressable.
  • Se restreindre à travailler avec un autre membre de la tribu, c’est limiter ses fournisseurs potentiels. Donc, probablement, passer à coté du prestataire techniquement idéal qui avait toutes les compétences et l’expérience, sauf qui n’a cure de nos Causes. Quel bénéfice pourrait compenser cette contrainte ?

Ces deux facteurs limitent sévèrement l’émergence d’activité économique locale, au sein de la tribu, activité pourtant souhaitable pour le bien être de chacun (mieux vaut travailler en confiance avec ses amis que ses ennemis), pour la résilience de la tribu (moins de dépendance à l’externe), et pour créer un volant d’affaire suffisant pour pouvoir amortir le coût de l’infrastructure (le lieu et ses frais de fonctionnement).

Si l’on peut espérer adresser le premier sujet en libérant la parole et en soutenant une culture de la demande, le second est plus compliqué. Comment augmenter l’attractivité des offres internes ? En les rendant plus faciles d’accès, et moins risquées.

L’effet “clan” n’est pas forcément favorable : d’un côté on peut se dire que le prestataire fera plus d’efforts qu’un fournisseur venu de nulle part et sera plus engagé car sa réputation est en jeu ; sauf que de l’autre côté, ce renforcement de l’enjeu va justement décourager le prestataire de vouloir bosser avec ses copains. Trop peur de les perdre, pourquoi risquer son honneur ?

Piste qui me semble bien plus intéressante : c’est là que l’on peut mettre à profit une petite somme d’argent, par exemple le trop-perçu des contributions des membres engagés dans la cagnotte du loyer, comme évoqué dans l’épisode précédent. Pour faire effet de levier, il faudrait que cet argent ne subventionne pas, mais garantisse les transactions.

Exemple : je souhaite faire appel à une facilitatrice, je demande à la cagnotte de payer les deux premiers jours de travail. Si ça se passe bien, je rembourse la cagnotte, avec un petit quelquechose en plus, pour le risque porté, et on peut continuer à travailler ensemble en direct. Si ça ne se passe pas comme prévu, ça ne m’aura coûté que mon temps, puisque c’est la cagnotte qui a payé les 2 jours de travail.

Autre exemple, pour un projet plus grand, un site web à 5 000€. Je choisis de payer une “assurance”, disons 500€ que je mets dans la cagnotte. Si le projet se passe bien, il m’aura couté 500€ de plus. S’il se passe mal, je demande à la cagnotte les 5 000€ pour couvrir le recours à un expert ou une autre agence, et finir/corriger le travail.

Il faut bien sur piloter le taux de succès, comme toute assurance, et il y a donc là pas mal de décisions à prendre, nous devrons mettre les meilleurs décidologues sur le sujet. Nous apprendrons en marchant, d’abord avec des cas faciles, des petits montants, et nous bâtirons un savoir-faire progressivement.

On peut même espérer voir des entreprises mettre de l’argent au pot commun et retrouver leur argent grâce au volume d’affaires généré :-). Petit calcul de coin de table : je mets 10 k€ dans le pot, si cela permet de déclencher 300 k€ de contrats, et que 30% ont lieu avec ma société de prestation, cela fait 90 k€ de chiffre d’affaire achetés pour 10k€ misés. Soit un “cost of selling” de 11%, ce qui n’est pas déraisonnable quand je repense à l’époque où on avait des commerciaux, des apporteurs d’affaires et des frais marketing à Officience. Et beaucoup plus écologique. Au lieu de le dépenser en clefs USB et kakemonos, mon argent est parti pour permettre à des projets qui portent les mêmes causes que moi d’advenir.

Pour la mise en oeuvre, il y a pas mal d’outils qui se développent autour de ce sujet : opencollective pour rendre les transactions transparentes, francebarter et les monnaies complémentaires pour délimiter des écosystèmes, et toutes les expérimentations en cours côté crypto/DAO, comme les Augmented Bonding Curves de Commons Stack, PoolDAI, ou Trustlines. Bon, au début on commencera à la main bien sur, mais c’est rassurant de se dire que quand il le faudra, on pourra s’outiller. Et qu’on n’est pas tout seul à croire que ces mécanismes peuvent fonctionner.

Pas de méprise : si ce texte peut ressembler à une tribune solo, il n’en est rien. C’est en fait un fragment de conversation, et je tiens à remercier Jérôme Tham, Sébastien Ravut et Philippe Honigman en particulier pour cette section. Le monde de demain doit être co-construit. Si ces réflexions vous intéressent, si vous avez repéré des écolieux urbains qui réinventent le lieu de travail, si votre meilleur ami est directeur RSE/Innovation/Digital d’un grand groupe immobilier, si vous avez hérité de 1000m2 dans Paris Centre et ne savez pas quoi en faire : laissez nous un commentaire, ou retrouvez nous sur Facebook !

(Les illustrations vous ont plu ? Dites-leur, à la Creative Tribe. Gratitude infinie.)

--

--

Duc Ha Duong
l’avenir appartient

Entrepreneur, father, barbarian, dreamer, prospectivist, teal evangelist, optimistic, french-vietnamese, parisian, feminist, caretaker. Blind to legal fictions.