Billet d’humeur de Joséphine

Joséphine Noguer
Pixelis
Published in
8 min readMar 21, 2018

Directrice artistique chez Pixelis, je vais échanger avec vous mes inspirations artistiques sous l’angle des jeux vidéo. Vous pouvez également retrouver les coups de coeur de mes collègues Virginie, Valentine, Mathilde et Nicolas.

Les jeux vidéo en pleine bataille de reconnaissance

Aujourd’hui, la société a encore du mal à considérer le jeu vidéo comme une forme d’art. Personnellement, je pense que c’est un art total et riche. On peut y retrouver de l’expression avec la peinture digitale par exemple mais également de l’interactivité, propre aux jeux en général, ou encore un développement audiovisuel impressionnant avec les cinématiques et animations qui reprennent les mouvements de caméra propres au cinéma. Il y a d’ailleurs un siècle, c’était le cinéma qui bataillait pour être considéré comme une pratique artistique. Aujourd’hui, il est considéré comme le 7ème art. Au tour du jeu vidéo donc, d’obtenir cette même reconnaissance.

Nous avons tous en tête l’image du geek avachi sur sa chaise de bureau, un carton de pizza sur les genoux, une bouteille de Coca à portée de main, les doigts gras sur le clavier. Outre les stéréotypes associés au gaming, l’aspect virtuel — et donc par définition, non-réel — rebute également : comment font ces gens pour passer autant de temps dans un monde qui n’existe que derrière un écran ? Ajouté au penchant négatif de l’addiction pouvant y être lié, surtout avec les jeux fonctionnant à la gratification, le combat est loin d’être gagné.

Pourtant, derrière ces idées reçues négatives, la communauté des gamers se révèle avant tout passionnée. Il existe des jeux pour tous les goûts et tous les styles.

La diversité des jeux vidéo est ce qu’il y a de plus intéressant !

Les jeux de combat, les jeux de logique, les jeux d’aventure, de cartes, ou simplement de voyage… Certains déploient des univers sensibles aux histoires profondes et poétiques, les personnages sont attachants et le joueur peut aisément s’y identifier. Les sessions de jeu sont finalement des escapades quotidiennes, comme un lecteur ouvre son livre pour en dévorer les pages le soir, le joueur allume son écran et se plonge dans un univers interactif unique.

La culture du jeu vidéo commence à s’ouvrir peu à peu en France. À Paris, le musée des Arts Ludiques sur les quais d’Austerlitz propose souvent des expositions sur les jeux vidéo et la Pop-Culture. En 2016, Assassin Creed, les Lapins Crétins ou encore Far Cry ont eu le droit à leur coup de projecteur. L’an dernier, le Pixel Museum a ouvert ses portes à Strasbourg ; c’est le premier musée permanent spécialisé dans le jeu vidéo qui voit le jour en France. Malgré ces quelques avancées timides, je trouve tout de même dommage que ce soit l’un des rares lieux en France consacré à ce « 10ème art ».

Je vais vous parler à présent de jeux qui m’ont marqué en direction artistique, qui ne sont pas forcément récents mais qui m’ont donné l’envie de travailler un jour pour l’industrie des jeux vidéo.

Journey — du voyage, de la poésie

Journey est un bon exemple de référence immersive dans le milieu du gaming. C’est un jeu de découverte méditatif invitant au voyage et à l’introspection.

Visuellement, la direction artistique est épurée, faite de dégradés singuliers et de couleurs chaudes en camaïeux. Les animations sont fluides et la direction photographique travaillée pour accentuer la sensation de solitude et de petitesse dans un univers infini.

L’environnement sonore bénéficie également d’un traitement spécifique pour que le joueur ait l’impression que la musique se déploie en temps réel alors qu’il évolue dans le jeu. Il suffit de se laisser guider et de rêver. Un gros coup de cœur pour moi.

Source : https://www.youtube.com/channel/UC-2Y8dQb0S6DtpxNgAKoJKA

Far Cry Blood Dragon — le jeu aux 1001 références cinématographiques

J’ai eu un énorme coup de cœur pour Far Cry Blood Dragon. Le joueur évolue au cœur d’un monde ravagé post apocalyptique, et affronte des armées de cyborgs et de créatures toutes plus étranges les unes que les autres.

Quand j’ai commencé à y jouer, je ne faisais pas encore partie du monde du design et je trouvais la direction artistique très étrange. Maintenant que j’ai plus de recul, j’arrive à voir toutes les références rétro qui parsèment le jeu. Ce qui me fascine le plus, c’est cette inspiration de l’âge d’or du cinéma des années 80 avec des références telles que le premier Blade Runner (1982), Ghost in the Shell (1989), mais aussi Terminator (1984), Jurassik Park (1993), les nombreux Godzilla… et j’en passe !

Ce sont autant de clins d’œil que Dean Evans, le directeur artistique en charge, a disséminé pour les joueurs. Son but était avant tout d’intéresser de nouveaux publics aux jeux vidéo, à travers une approche plus cinématographique et passionnée.

Ces anecdotes autant sonores que visuelles glissées dans tout le scénario du jeu le rendent très agréable à jouer. C’est comme si les concepteurs nous faisaient constamment des « privates jokes », directement à nous, les joueurs.

Source : https://www.youtube.com/channel/UCJx5KP-pCUmL9eZUv-mIcNw

Limbo — le jeu qui nous fait retomber dans les terreurs de notre enfance

Limbo est un jeu de plateforme de type « Die and retry » (meurt et recommence), simple mais vraiment très réussi à mes yeux. C’est un jeu de mémoire et de réflexion qui retrace le chemin d’un petit bonhomme perdu dans les limbes, cherchant à survivre aux monstres cachés dans la forêt.

La particularité de ce jeu est qu’il est conçu presque entièrement en monochrome. Le peu de couleurs qui apparaissent (vert, bleu ou rouge par exemple), mettent l’emphase sur des moments bien choisis. L’univers sombre et mystique repose sur des jeux d’ombres et de lumières qui installent une ambiance angoissante.

J’admire le fait que toute la direction artistique du jeu soit faite en ombres chinoises. Les créateurs se sont inspirés des théâtres chinois pour faire un jeu très sombre qui retransmet une atmosphère oppressante mais en même temps très poétique. L’effet vieille caméra avec des sauts d’image et de lumière viennent appuyer cet univers.

C’est un réel coup de cœur, j’ai adoré l’aspect sombre et hostile qui vient contrebalancer la poésie que peut avoir le jeu.

Limbo est empreint de tristesse, habité de peurs d’enfants, c’est certainement la raison pour laquelle ils ont pensé le jeu essentiellement en noir et blanc, permettant, à mes yeux, de donner beaucoup plus d’importance à certains éléments, à certaines ombres, et à les rendre terrifiantes. L’environnement sonore, très sobre lui aussi, n’est presque composé que des bruits de la respiration du personnage, de ses pas et des sons de la forêt. La musique intervient avec parcimonie, et donne davantage d’impact aux moments cruciaux du jeu.

Source : https://www.youtube.com/channel/UCFTDD15D6v3T0Fzuoiec38w

L’ambiance lugubre nous plonge véritablement dans nos terreurs d’enfants avec finesse et efficacité. Ce jeu est la définition du « less is more » par excellence.

Lumino City — passer d’une construction en papier à un jeu en 3D

Le prochain jeu que je vais vous présenter est assez incroyable, il a été fait uniquement de papier et de carton avant d’être digitalisé. Toutes les scènes ont été construites « en vrai » et les éléments ont ensuite été numérisés avec des caméras 360.

Les directeurs artistiques ont tout recréé en 3D avec de la profondeur de champ. C’est un monstre de direction artistique.

C’est aussi un jeu très poétique, différent des trois précédents. C’est l’histoire d’une petite fille qui part sur les traces de son grand-père disparu. Le but du jeu est de se balader, d’interagir avec le décor pour comprendre les mécanismes qui animent la ville afin de pouvoir continuer l’aventure. Le seul point faible que je peux soulever, c’est le design des personnages. Je me serais attendue à ce qu’ils soient plus simples, dans l’univers du jeu.

Source : https://www.youtube.com/channel/UC-2zD-VBd6hoevJDFdeHjVg

Je n’y ai jamais joué mais le travail et l’ingéniosité m’inspirent et m’impressionnent, c’est unique dans son genre. Compte-tenu de la difficulté du projet et de la patte graphique, je trouve ce jeu génial.

Bioshock Infinite — l’influence steampunk à profusion

Le prochain jeu sur ma liste est Bioshock Infinite. Sorti en 2007, il avait révolutionné le milieu avec son univers particulier. C’est un jeu d’aventure à la première personne qui se déroule dans un monde alternatif dystopique en 1912. Sans entrer dans les détails de l’univers historique et idéologique très fourni de Bioshock, je soulignerai sa direction artistique léchée.

La particularité de ce jeu est son univers très inspiré du steampunk et de la belle époque américaine et victorienne.

Rappelons que le steampunk était à la base un courant littéraire créé suite à la révolution industrielle anglaise. Jules Verne en était le précurseur avec notamment le célèbre Nautilus. On écrivait sur des hommes machines, sur les premières machines à vapeur et à charbon. Puis le courant s’est propagé durant le siècle dernier, et plus récemment dans le cinéma avec par exemple le château ambulant de Miyazaki pour éclore par la suite dans les jeux vidéo.

Cette atmosphère est visible dans le jeu avec l’architecture et les machines en tout genre. Les personnages habillés dans le style « belle époque », c’est-à-dire grands chapeaux et robes à froufrous, intensifient cette ambiance qui fait son effet. On est vraiment projeté dans un autre univers. La direction artistique passe également par des affiches de propagandes très bien réalisées, des détails dans le décor et bien évidemment les personnages principaux.

Je trouve que Bioshock rejoint l’idée qu’à la révolution industrielle, l’homme s’est cru capable de tout, c’était le progrès à tout prix, dimension qu’on retrouve réellement dans le jeu comme avec les bâtiments immenses, surdimensionnés parfois.

Finalement, la direction artistique de ce jeu me fait penser à une sorte de dystopie du passé que je trouve très intéressante d’explorer.

Source : https://www.youtube.com/channel/UCzr9bpOlVyjxBjKEb30aPNQ

Monument Valley — le jeu de stratégie poétique

Il s’agit cette fois d’un jeu mobile. C’est l’histoire d’une petite princesse qui attend son prince depuis trop longtemps. Elle part donc à la conquête du monde pour le retrouver. C’est un jeu qui s’amuse avec les volumes impossibles, le but étant de d’interagir avec les éléments du décor et de construire des pièces architecturales impossibles à faire en vrai mais qui le sont dans le jeu.

C’est une véritable gymnastique de l’esprit et une beauté en 3D à regarder, tant par ses coloris magnifiques et poétiques que par son histoire simple et touchante.

C’est un jeu très beau, très sensible et assez technique. Petit coup de cœur pour la direction artistique et pour les designs des niveaux : tout a été dessiné à la main avant d’être numérisé. Le sound design participe également à la réussite du jeu, intensifiant son atmosphère douce et poétique.

Source : https://www.youtube.com/channel/UCJx5KP-pCUmL9eZUv-mIcNw

En soi, tous ces jeux, aussi différents les uns des autres, ont la particularité de nous emporter dans des univers uniques et riches. J’admire le travail de direction artistique monumental qui se cache derrière chacun de ces jeux !

Get in touch : www.pixelis.com

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Joséphine Noguer
Pixelis
Editor for

Graphic Polymorph — Artistic director @Pixelis_Agency, Paris