La nuit des longs bâtons

de Bernard Coat

Éditions Numeriklivres
Polar, thriller, roman noir

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Une effrayante réalité dépassant encore une fois la fiction. Une histoire kafkaïenne par certains côtés, et dans laquelle l’auteur maîtrise avec brio la montée irrépressible de l’angoisse.

Bernard Coat

Au mois de janvier de l’année 1966 en Argentine, la dictature organisa une répression terrifiante sur les enseignants et les étudiants des facultés de Buenos Aires, appelée La nuit des longs bâtons . Ces événements tragiques encouragèrent la délation, les enfermements et les tortures comme moyens pour une solution finale menant vers le chaos. Hormis les atrocités quotidiennes, le résultat fut la révocation et la démission de plus de 700 enseignants qui quittèrent le pays pour poursuivre leur carrière à l’étranger. En ces jours terribles, un homme tourmenté, le professeur d’université Galvano, découvrit à ses dépens la perversité des hommes, d’un système. Une effrayante réalité dépassant encore une fois la fiction. Une histoire kafkaïenne par certains côtés, et dans laquelle l’auteur maîtrise avec brio la montée irrépressible de l’angoisse.

Un avant-goût

Les hommes gémissaient tout bas. Mario avait retiré son débardeur et restait assis, le torse nu. L’homme à ses côtés, à genoux dans un coin de la pièce, cherchait à s’éloigner le plus possible de son voisin. Il se bouchait les oreilles, écartant parfois les mains, mais les resserrant dès que le peintre s’apprêtait à parler. Mario jouait avec sa couverture en laine, la pliant et la dépliant sans arrêt. L’homme anxieux le suivait des yeux, mais ne retirait plus les mains de ses oreilles.

Un commandement retentit dans le couloir. La chaleur monta tellement que les hommes retirèrent leurs habits trempés de sueur. Ils parlèrent, sans songer à rien, pour parler seulement.

— Des couleurs, criait le peintre. Regardez ! Dire que j’ai oublié mes tubes aujourd’hui.

Il fouilla fébrilement ses vêtements détrempés.

— C’est l’enfer, dit l’homme accroupi en regardant Galvano.

Il sursauta, la bave aux lèvres. Mario se mit à brailler.

— Il est réellement fou, cria l’homme.

Il bondit à la porte, frappa des poings jusqu’à ce que ses mains fussent couvertes de sang. Le quatrième homme présent dans la cellule et qui ne disait pas un mot se poussa ; les poings continuaient à frapper.

Galvano se plaça les mains sur les yeux. L’homme recroquevillé avait croisé les mains, les yeux emplis d’angoisse.

Des pas dans le couloir. La porte s’ouvrit, deux gardes entrèrent. Derrière eux, un officier. Il se mit dans l’encadrement de la porte et d’un doigt montra Mario. Les gardes l’emmenèrent.

Ils montèrent les escaliers, puis pénétrèrent dans une cellule de chaleur où gisaient immobiles un homme et une femme. Les chaufferies ronronnaient sans cesse comme un félin sauvage.

L’officier tenait de la main gauche quelques courroies de cuir qui touchaient le sol. Trois nouveaux gardes entrèrent et se précipitèrent vers le peintre demeuré près de la porte. Ils le traînèrent sur son lit, lui attachèrent les mains et les pieds avec une habitude évidente de ce type de procédé. Les lits portaient des traverses et des clous disposés pour le ligotage. Ils se retirèrent.

L’officier dévisagea Galvano, devint sérieux et salua.

Le peintre gémissait de douleur. Les courroies lui coupaient profondément la chair ; sur les bras quelques sillons sanglants. Galvano se passa les mains sur la mâchoire, bredouilla des sons pour ne plus entendre les râles.

Puis vint un hurlement ininterrompu.

Galvano se colla les mains sur les oreilles. L’un des hommes, qui avait perdu l’usage d’une main, se leva alors pour défaire les courroies. Après chacune, il posait la main sur le front de Mario avec un sourire. Mais il n’avait délivré que le bras droit quand la porte s’ouvrit. Deux gardes entrèrent et défirent les courroies puis portèrent Mario dehors.

Galvano avait toujours les mains sur les oreilles. L’homme muet suivit du regard les deux gardes avec le peintre sur leurs épaules.

La porte se ferma. Galvano retira ses mains. Il respira, l’air devenait plus frais.

La porte se rouvrit presque aussitôt. L’officier, sourire aux lèvres, regarda l’ampoule au-dessus du lit de calvaire du peintre, elle s’éteignit aussitôt. Au-dessus du lit de celui qui avait défait les liens, elle s’éteignit lentement. Seule l’ampoule au-dessus de Miguel Galvano brillait encore.

L’homme rongé par la peur s’était recroquevillé au pied de son lit, les genoux repliés entre les mains où sa tête reposait. Quelques secondes… Galvano, du bout des doigts, toucha le dos maigre de son compagnon, il le frôla comme pour y faire un signe. Puis, il posa la tête contre le mur de la cellule qui parut froid.

Des pas approchèrent.

— C’est l’heure, dit l’homme.

Il tendit sa main valide à Galvano qui la serra longuement. Quand la porte s’ouvrit, il était déjà au-devant des gardes. La lumière s’éteignit au-dessus de son lit.

Comme le reste de la journée, les dernières heures lui parurent comme dans un rêve.

L’homme fut conduit à la cave dans une pièce à peine éclairée, là où il n’était pas allé. La pièce, petite, très élevée, avait au centre un tonneau de deux mètres de haut, relié à la paroi gauche par un tuyau qui courait sur le sol.

Avec une clé, un garde ouvrit une porte dans la tonne, l’homme y fut introduit.

Il tremblait, mais ne se défendit pas. Il déglutit violemment, comme pour retenir un cri ; c’est bien après qu’il cria.

Les gardes fermèrent la porte, tirèrent un verrou devant le trou de la serrure. La tonne devenait étanche maintenant. Un couvercle la fermait. De l’eau coula lentement par le tuyau. Il faisait sombre à l’intérieur.

Les gardes quittèrent la pièce, montèrent l’escalier au plus vite parce qu’ils voulaient éviter les hurlements mortels.

L’homme se tordait la main, se cassa les doigts.

Une heure après, l’eau avait atteint ses genoux. Deux heures plus tard, sa poitrine. Alors l’homme commença à crier. Une heure encore, l’eau était à sa bouche. Mais ce n’est qu’une heure plus tard qu’elle affleura ses narines.

Il se dressa sur la pointe des pieds, cria encore une fois. Personne ne l’entendait.

Ce fut la fin.

Tous droits réservés. Bernard Coat et Numeriklivres, 2014.

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Polar, thriller, roman noir

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