Améliorez votre recherche et vos opérations — Un regard stratégique sur la recherche et les opérations à grande échelle.

Clara Maj-Richard
researchops-community-fr
12 min readSep 30, 2021

Traduction de l’article : Leveling up your Ops and Research — a strategic look at scaling research and Ops
https://medium.com/researchops-community/leveling-up-your-ops-and-research-a-strategic-look-at-scaling-research-and-ops-eec38133f7cc

Par l’auteur : Brigette Metzler

Note : Nous avons élaboré une nouvelle matrice, disponible en bas de page, qui pourra vous aider à créer votre stratégie de ResearchOps. Il s’agit d’une thématique relativement complexe, c’est pourquoi je vous invite à lire l’article en entier.

Il peut sembler étrange de parler d’améliorer votre système de recherche et de l’adapter à grande échelle maintenant, alors que nous avons traversé une période où nous avons dû nous regrouper dans nos foyers respectifs en petits comités. En réalité, il n’y a pas de meilleur moment que maintenant pour clarifier certains aspects de la recherche et des opérations.

De retour en 2004, je commençais alors mes études de premier cycle dont une grande partie se dédiait à l’étude de la stratégie. Depuis 2007, en parallèle de mon travail, j’ai entrepris un doctorat centré sur les divers mécanismes qui créent le changement et la façon dont ils le créent. Quels sont les petits leviers permettant de créer de grands changements ? En travaillant en tant que chargée des opérations au cours de ces trois dernières années, j’ai pu observer directement certains de ces leviers.

Avec la communauté ResearchOps, nous nous sommes penchés sur trois projets globaux. Soit nous aimons les défis impossibles, soit nous sommes des passionnés de recherche et d’opération. Il s’agit probablement d’un peu des deux.

Pour une définition des opérations

Notre premier projet d’envergure portait sur la définition même du concept de ResearchOps, « Qu’est-ce que la ResearchOps ? ». Afin d’y répondre, nous avons organisé 33 workshops dans 17 pays et préparé un questionnaire.

En extrayant toutes les données recueillies au moyen d’une taxonomie développée grâce à notre questionnaire, nous avons pu créer une carte de réseau des données. La question « Qu’est-ce que la ResearchOps ? » nous aidant à nous révéler le « quoi ».

Voici le résultat en image :

Cette structure a été d’une grande aide pour bon nombre d’entre nous afin de créer ou de développer des rôles de ResearchOps au sein de nos équipes.
(Vous pouvez en retrouver une version sur notre Mural)

Les 8 piliers : Vers un cadre conceptuel

Fin 2018, certains membres du comité de direction de la communauté ReOps (Emma Boulton, Holly Cole, Tomomi Sasaki et Brigette Metzler), avons réalisé que la taxonomie, ou le cadre conceptuel appliqué afin de comprendre le projet pouvait également nous servir à comprendre la relation entre la recherche et les opérations. Emma Boulton est allée plus loin en développant le concept des 8 piliers (à découvrir en français ici).

Cet article a fait sens auprès de nombreux lecteurs, aussi bien impliqués dans la partie « recherche » que dans la partie « opérations ». Aujourd’hui encore il reste l’article le plus consulté de toutes nos publications. Si vous ne l’avez pas encore lu, je vous encourage vivement à le faire !

Les 8 piliers de la Recherche Utilisateur

Vers une nouvelle compréhension : Les strates rythmiques (Pace Layers)

Le « Cadre des compétences de recherche » dirigé par Dave Hora et Tomomi Sasaki a été notre second projet. Il s’agissait ici de comprendre et de définir les compétences requises par les chercheurs au cours de leur carrière. Nous avons opté pour une compréhension dynamique des compétences techniques et des compétences interpersonnelles, avec des outils pour cartographier visuellement la progression. Cela nous a permis de mieux comprendre les facteurs qui influencent les compétences requises dans nos carrières de chercheurs.

Le Répertoire de recherche / Projet de bibliothèque (nommé ResearchRepos), notre troisième projet, est en cours depuis juillet 2019.

Il compte 120 chercheurs travaillant sur divers aspects, notamment celui d’interviewer plusieurs responsables de bibliothèque du monde entier. Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger avec des responsables élaborant des répertoires de recherche de petites tailles, mais également avec ceux, plus expérimentés, à la tête de structures plus grandes et plus complexes.

J’ai eu la chance de pouvoir réaliser moi-même une trentaine d’interviews. En parallèle de celles-ci, tandis que je travaillais sur des projets dans le cadre de mon travail où nous avons un niveau de recherche avancé, quelque chose m’a frappé. Il s’agissait du concept de strates rythmiques (Pace Layers).

«Le rapide apprend, le lent mémorise. Le rapide propose, le lent dispose. Le rapide est discontinu, et le lent, continu. Le rapide et petit instruit le lent et grand par un cumul d’innovations et de révolutions ponctuelles. Le lent et grand contrôle le rapide et petit par la contrainte et la constance. Le rapide retient toute notre attention, le lent détient la toute-puissance.»
Brand S., 2012, L’Horloge du Long Maintenant, p.41–42

Stewart Brand a écrit L’Horloge du Long Maintenant en 1999 (traduit en français en 2012 par Gwilym Tonnerre). Il y suggère que les strates rythmiques peuvent être utilisées afin de comprendre des systèmes complexes.

Ce concept s’est révélé être proche des enjeux de la recherche, dans le sens où les strates rythmiques sont une question de temps, de vitesse et de profondeur. Il s’agit d’un concept déjà connu en design—c’est d’ailleurs Mark Boulton qui me l’a fait découvrir — et qui vous est peut-être déjà familier.
Un aspect important énoncé dans la citation ci-dessus est que « Le rapide apprend, le lent mémorise», tandis que « Le rapide retient toute notre attention, le lent détient la toute-puissance. »

À bien des égards, les entreprises ayant suffisamment de projets de recherche pour avoir besoin d’un rôle de chargé des opérations peuvent être considérées comme des systèmes complexes. Elles ont tendance à avoir des chercheurs qui utilisent un large éventail de méthodologies, des personnes qui font de la recherche (les PWDRs pour People Who Do Research — terme que l’on doit à Kate Towsey), des chercheurs à temps plein, ainsi que des équipes qui ont besoin des résultats des projets de recherche. Toutes ces personnes influencent la manière dont la recherche est menée, le pourquoi et le quand.

Les strates rythmiques, de S. Brand, L’Horloge du Long Maintenant, p.45

Voici une représentation des strates rythmiques selon Stewart Brand. Chaque couche représente une profondeur et une vitesse. Plus la strate est profonde, plus le rythme est lent. Elle est alors considérée comme une des fondations de la structure. L’utilisation de strates rythmiques pour comprendre différentes méthodes de recherche peut aider au développement de stratégies car elle adopte une approche holistique de la recherche et des opérations.

Plutôt que de développer une stratégie dédiée à l’équipe de recherche, une autre pour l’équipe chargée des opérations, et ainsi de suite pour chaque équipe impliquée dans les projets, il s’agit ici de développer une vue d’ensemble cohérente d’un seul et même système.

Pour Stewart Brand, les liens entre chaque strate sont essentiels pour le bon fonctionnement du système. Plus précisément, comme l’ont souligné Brand et son collaborateur Paul Saffo, co-créateur du projet Long Now, les conflits causés par les strates se déplaçant à des vitesses différentes maintiennent en réalité une sorte d’équilibre et de stabilité. Paul s’y réfère en terme de « turbulence constructive ».
Une bonne gestion de cette « turbulence constructive » est capitale afin de comprendre ce qui limite votre recherche et comment la faire évoluer. Une bonne compréhension du concept de strates et des 8 piliers en tant que matrice est primordiale afin d’identifier vos forces et vos faiblesses et vous guider dans votre processus de mise à l’échelle.

Examinons les couches en ce qui concerne les méthodes de recherche :

Méthodologies alignées sur les strates rythmiques

Une plainte récurrente chez les chercheurs qui utilisent des méthodologies plus lentes et plus approfondies, (similaires à celles employées en ethnographie ou anthropologie — plus proches des « personnes » et plus éloignées de projets impliquant des objets), est qu’ils doivent gérer la constante pression leur imposant de réduire leur cadence de recherche. En conséquence, ils doivent s’adapter à l’agenda de l’entreprise plutôt qu’à celui des traditionnelles méthodes de recherches, c’est-à-dire beaucoup de phases de recherche et d’observation au début du projet pendant lesquelles peu de résultats peuvent être partagés.
Comprendre les méthodes qui utilisent les strates rythmiques peut nous aider à communiquer sur l’importance des strates plus lentes et plus profondes, mais également à identifier les frictions qui s’exercent entre les couches.

La recherche effectuée au niveau de la première strate, celle qui se trouve à la surface, est celle qui fait le plus de bruit. Elle est rapide, il y a une forte demande et les chercheurs ont tendance à travailler en cycle de sprint agiles. Les chercheurs doivent généralement argumenter face à ceux qui prétendent que ce qu’ils font n’est pas réellement de la recherche et ne présente pas d’intérêt. Ils ont parfois des chefs d’équipe qui souhaitent être plus stratégiques ou qui souhaitent tirer davantage parti de la recherche que cela n’est réellement possible. Toutes ces interférences et une cadence trop rapide peuvent donc rendre difficile l’accès aux autres strates, celles aux méthodes plus lentes.

Qu’en est-il de la ResearchOps à travers ces strates ? L’objectif des opérations changera-t-il ?

Pour faire court, oui. Une réponse plus élaborée serait que toutes les méthodes de recherche nécessitent que tous les aspects des 8 piliers soient en place pour que la recherche ait lieu, mais le focus sera différent selon la méthode privilégiée.

Méthodologies de recherche et leurs opérations alignées sur les strates rythmiques

Les strates rythmiques et les 8 piliers sous forme de matrice : vers une mise à l’échelle

En réunissant les 8 piliers et les strates rythmiques au sein d’un même espace, nous pouvons entrevoir comment la matrice peut être utilisée à plus grande échelle. Peu à peu, l’image d’une recherche et d’opérations au sein d’une organisation commence à se dessiner.

Étude de cas numéro 1 :

Étude de cas : une grande équipe de recherche avec un focus sur la recherche générative

La première étude de cas concerne une équipe de chercheurs d’environ 50 personnes effectuant des recherches longitudinales, génératives, causales et descriptives. Il s’agit d’une grande entreprise avec des PWDR faisant le travail d’évaluation, mais séparément du reste de l’équipe. Les éléments d’évaluation sont valorisés dans le cadre de la conception et de la livraison, mais ne le sont pas autant pour les parties stratégiques et politiques. Nous pouvons considérer que cette entreprise est mature en matière de recherche.

Ce que nous pouvons observer, c’est que l’équipe de recherche de cette entreprise aura tendance à se concentrer sur la gestion des participants, le consentement et l’éthique, elle pourrait alors avoir l’intention de créer une bibliothèque de recherche. Leur plus grand défi sera de continuer à montrer la valeur de leur travail, sans pour autant évangéliser la recherche seule. D’autres enjeux comme le temps et le coût seront au cœur du va et vient entre le «long» / «lent» et les objectifs de l’entreprise. Cela pourra être accompli grâce à un panel rigoureux, une bonne expérience des participants et en construisant une base de recherche solide et accessible. Leur recherche étant majoritairement manuelle, il n’y a donc pas de focus particulier sur les outils utilisés. Cependant, toutes ces données contextuelles généreront de lourds besoins en matière de consentement et de maintenance des données. Ils emploieront alors très certainement un bibliothécaire de projets numériques et communiqueront régulièrement avec leur équipe juridique.

Comment peuvent-ils évoluer ?

L’équipe doit tout d’abord réaliser que sa force réside dans ses compétences, sa bibliothèque de recherche, qui aidera les PWDR à améliorer leurs recherches. Ces derniers peuvent incarner le socle sur lequel tout le projet pourra se reposer. Vouloir passer trop rapidement des strates profondes aux strates rapides, à la surface, ne sera pas très efficace dans ce cas précis car ils n’auront ni les outils ni la technologie pour mener leur recherche à bien.

L’équipe se retrouve donc avec deux options. Elle pourra soit remonter les strates successivement à partir du bas (en entrant en phase de recherche descriptive), soit joindre ses forces avec les PWDR qui effectuent la recherche évaluative en développant leurs compétences vers le bas, jusqu’à ce qu’un système unique soit consolidé à travers les différentes strates.

Étude de cas numéro 2 :

Étude de cas : une entreprise avec un focus sur les tests utilisateur

Qu’en est-il d’une entreprise technologique axée sur une recherche
évaluative ? À quoi ressemblent leurs opérations ? Il est plus que probable que leur PWDR ou autres chercheurs décentralisés soient partagés entre les équipes de design, de développement et de produit, contraints par le temps et par le fait qu’ils doivent obtenir leurs insights auprès des bonnes personnes. Ils pourront avoir des recherches descriptives et génératives, mais elles ne soutiendront que la première strate, la plus bruyante.

Vous noterez qu’ici l’intérêt sera porté sur des outils et des infrastructures nécessaires aux tests d’utilisabilité modérés et non modérés. Il y aura un réel besoin de ressources et d’outils pour les PWDR, comme des templates ou des guides. Une communauté de pratique pourra être envisagée si l’équipe souhaite se déplacer vers les strates profondes. La question du consentement ne doit pas être une préoccupation à ce stade car la majeure partie de la recherche sera anonymisée au début du projet. Ils n’envisageront probablement pas d’utiliser une bibliothèque de recherche, et s’ils le font, elle pourra s’organiser au sein d’un système que les développeurs utilisent déjà, telles que les bibliothèques Confluence ou Jira.

Comment peuvent-ils évoluer ?

Ils peuvent descendre dans les strates en faisant appel à des chercheurs plus expérimentés en développant leurs PWDR. Ce choix leur permettra de se concentrer sur un type de recherche spécifique aux strates profondes. Ils ont très certainement au sein de l’entreprise des chercheurs qualifiés en statistiques due la nature quantitative des données du modèle de recherche rapide. Ces derniers pourront passer relativement facilement d’une recherche descriptive à une recherche causale sans que cela n’implique un fort investissement technologique ou une augmentation significative des opérations.

Ils devront cependant rester prudents quant à leur descente vers les strates plus lentes et plus profondes et leur façon de les intégrer dans leur cycle de recherche. En évoluant trop rapidement, la gestion des panels et des données (en termes d’éthique et de consentement) pourront alors devenir problématiques. Voici donc quelques éléments sur lesquels les responsables d’opérations peuvent se concentrer, tout en travaillant avec des chercheurs amenés à développer leurs compétences. S’ils parviennent finalement à l’étape de la création d’une bibliothèque de recherche, plus dans le but d’en utiliser les ressources que de l’utiliser comme preuve (comme certains ont tendance à le faire avec la recherche évaluative), ce sera alors le signe qu’ils atteignent les dernières strates, et qu’ils sont en bonne voie pour former un système de recherche à plus grande échelle.

Une autre pièce du puzzle, un atout pour votre boîte à outils.

Nous avons maintenant un incroyable atout, celui de pouvoir créer une stratégie. Le cadre d’analyse des 8 piliers peut nous servir d’ébauche de modèle, tout comme le traditionnel modèle PESTEL, incluant les facteurs politique, économique, sociologique, technologique, environnemental et légal, tous impliqués dans la concrétisation d’un projet de recherche.

En ajoutant quelques ingrédients supplémentaires, comme une vision ou une mission, nous nous approcherons de ce dont nous avons réellement besoin. Mais si nous voulons créer une stratégie solide et pérenne, nous devons en connaître toutes les composantes et comprendre comment elles contribuent à la formation d’un tout. Heureusement pour nous, il s’agit précisément du rôle des ResearchOps.

Grâce à la matrice vous pouvez maintenant intégrer votre recherche dans un système et en visualiser toutes ses parties. Vous pouvez vérifier si votre recherche s’intègre, ou pas, au sein de votre entreprise. Les strates rythmiques et la matrice des 8 Piliers sont des pièces essentielles du puzzle. Visualiser clairement où se trouvent vos points forts et vos points faibles vous aidera à concrétiser l’implémentation de vos projets de recherche à grande échelle.

Nous espérons que cette matrice vous sera utile afin d’évaluer où se trouve le cœur de votre stratégie, comment votre recherche y est intégrée et comment cela influence directement vos opérations. Nous pensons que cette matrice vous sera d’autant plus utile qu’elle vous permettra d’améliorer votre croissance et d’anticiper les domaines qui nécessiteront le plus d’attention de votre part en utilisant au mieux les ressources et les compétences que vous avez déjà en place.

Strates rythmiques / Matrice des 8 piliers

Pour accéder au contenu complet de la conférence Advancing Research (enregistrements des sessions, notes, croquis, documentation et présentations des conférenciers, veuillez contacter info@RosenfieldMedia.com)

Une description détaillée des strates rythmiques (Pace Layers) de la matrice est présentée dans le livre « Research Practice Book » édité par Gregg Bernstein. Vous pouvez rester informés de son actualité via sa newsletter.

Cette matrice itérative est issue de la communauté ResearchOps, et comme tous nos contenus provenant de la communauté, elle est sous licence CC BY-SA 4.0. En cas de doute, n’hésitez pas à nous contacter.

Si vous souhaitez participer au groupe et nous aider à développer les ResearchOps, vous pouvez nous rejoindre en complétant le formulaire d’inscription disponible sur notre site. Rendez-vous sur notre page.

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Clara Maj-Richard
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