Retour d’un pays en guerre

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Retour en France
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7 min readSep 4, 2016

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Vivre à l’étranger est une expérience qui permet de découvrir de nouveaux horizons, au sens propre comme au sens figuré, au niveau personnel et professionnel, de sortir de sa zone de confort, de découvrir le monde et se découvrir soi-même.

Selon le temps passé dans le pays, les rencontres faites et les expériences vécues, on s’attache plus ou moins à l’endroit, aux nouveaux amis et aux personnes moins proches mais déjà partie intégrantes de notre vie, de nos souvenirs.

Les travailleurs humanitaires vivent des expatriations toutes particulières, débarquant dans des pays qu’ils savent “ en crise “, allant de leur plein gré, consentants et prêts psychologiquement, là où la pauvreté est la plus prégnante, là où les catastrophes viennent de s’abattre, apporter leur expertise et leur temps pour soulager les souffrances.

J’imagine que les personnes rencontrées sur place sont d’abord perçues comme des victimes avant d’acquérir un nom, d’obtenir des confidences, avant que l’identification ne soit possible. La catastrophe et les malheurs du pays vous touchent certainement, peu importe les barrières internes que vous érigez pour cloisonner et garder votre motivation, pour ne pas sombrer avec ceux que vous essayez d’aider.

Mais lorsque vous vivez dans un pays et qu’une crise éclate sans crier gare, la donne est toute autre.

Une camarade d’université était partie en échange à l’étranger, dans une ville dont le patrimoine historique était mondialement connu, où tout bouillonnait de vie et culture. La ville fut ravagée par une catastrophe naturelle. Notre amie avait quitté la ville à temps, respectant les consignes de sécurité qui avait été diffusées. Mais son année universitaire fut compromise, les opportunités s’étaient envolées et ont été délogées par de multiples incertitudes. Où vivre, où étudier, que faire… Questionnement, chamboulement, dépression. Beaucoup ne purent comprendre son désarroi.

Pourquoi ne regardait-elle pas le bon côté des choses, contrairement aux habitants de la ville, elle n’avait pas perdu ni proches ni tout ce qu’elle possédait, ni ses souvenirs d’enfance. Elle avait où aller, pouvait rejoindre une autre université du pays, dans une autre ville, où tout autant de choses passionnantes avaient lieu. (Rassurez-vous, finalement, elle se consacra à l’étude de cette catastrophe et trouva une nouvelle voie).

Après plusieurs années dans un beau pays qui rencontrait de nombreuses difficultés mais qui se développait et avait un potentiel colossal, la guerre a éclaté.

La ville où je vivais n’a été que très peu touchée directement par des combats, par endroits seulement, par moments seulement, puis plus rien. Il n’était pas risqué d’y vivre.

Mais du jour au lendemain, tout bascule.

Tout prend une nouvelle tournure, et tous les gens que vous connaissez changent. Chacun, citoyens du pays et étrangers qui y vivent, se trouve emporté par le tourbillon de la crise, la masse de travail augmente pour presque tout le monde (un conflit entraîne des conséquences à tout niveau, économique, professionnel…), et les autres consacrent tout leur temps libre à mettre en place une aide, transmettre l’information et faire tout ceux qu’ils peuvent pour amoindrir les conséquences néfastes de la situation ou permettre à leurs idées de finir de s’imposer.

Il devient difficile de voir ses amis. La discussion devient pénible et la tension est à son comble : ne pas être d’accord rallume immédiatement de vives étincelles. Une fois qu’on a abordé le sujet du conflit (et comme tout le monde est préoccupé, tout le monde aborde ce sujet) l’ambiance est plombée, on ne peut plus parler d’autre chose. Un lourd silence s’installe et se quitte un peu mal à l’aise. Bien sûr, au bout d’un moment, on s’habitue à l’horreur, au pire, et les choses redeviennent un peu plus légères.

Vous vous habituez à l’angoisse.

L’angoisse de l’inconnu quand le pire semble possible, l’angoisse quand chaque matin vous allumez les informations et des catastrophes se sont produites pendant la nuit et vous garde pendu aux nouvelles, l’angoisse devant l’impuissance vis-à-vis de la haine qui envahit les plus calmes, l’angoisse quand la logique est inversée, comme tout le reste, et que chacun devient en un instant un ennemi à anéantir, que les valeurs fondamentales sont reléguées au second plan et qu’il n’est plus possible de les implorer, l’angoisse de la mobilisation, couperet qui menace de s’abattre au hasard, sur vos collègues, vos amis, vos connaissances, l’être aimé…

Dans ces conditions là, le retour peut être vécu comme un soulagement.

En tout cas, même si ce beau pays où j’ai vécu tant de choses me manque, je ne regrette absolument pas de l’avoir quitté. Si les anciens expatriés sont souvent déçus qu’à leur retour personne ne s’intéresse à ce qu’ils ont vécu et que cela leur casse un peu l’ambiance, quand vous rentrez d’un pays en guerre, c’est différent. Il va régulièrement se trouver quelqu’un pour dire : mais, il n’y avait pas la guerre là-bas ? Et là, vous devenez le temps d’un moment le centre de l’attention, une sorte de héros qui a vécu quelque chose hors du commun, d’effrayant mais un peu excitant. Vous répondez alors à leurs questions, leur expliquez que oui, tout continue, oui, tout est affreux.

De nouveau, après avoir abordé ce sujet, un silence de plomb s’installe. La politesse empêche vos interlocuteurs de passer à un sujet plus léger, cela leur semble inconvenant, après avoir évoqué tant de malheur. C’est vous qui cassez l’ambiance. En racontant que la guerre continue et ce que cela veut dire, vous interdisez la frivolité parisienne, les préoccupations sur quel bar le plus à la mode il faut visiter, où s’envoler pour ses prochaines RTT, les défauts de promesse de la gauche et le cynisme de la droite.

Lorsque l’on rentre d’un pays où l’on a passé des mois et des années, l’oreille se tend dès qu’on entend le nom du pays, d’une de ses villes, la langue qu’on y parle. On a tout de suite envie d’engager la conversation, d’écouter l’émission radio ou télé, de partager son expérience, sa nostalgie peut-être, ses plus beaux souvenirs, d’entretenir un lien avec ce pays d’adoption en restant au fait de ce qui s’y passe.

Au retour d’un pays en guerre, j’ai découvert un nouveau type de réaction. Si on tend légèrement l’oreille, en même temps, quelque chose se ferme en nous. Je ne lis pas le dernier ouvrage sorti sur le pays, je ne vais pas voir le dernier film qui en parle. Ça m’intéresse, oui, je pourrais éventuellement en lire la critique.

Mais je préfère attendre quelques années avant d’aller plus loin. Je n’ai pas le recul nécessaire pour cela. Et il faut avouer, il y a autre chose.

Une barrière émotionnelle qui peut se traduire de différentes façons : un nœud dans la gorge, de la chair de poule ou un tsunami de tristesse qui s’abat sur vous. Non, ça sera pour plus tard.

En revenant d’un pays en guerre, vous réalisez également que vous réagissez de façon très différente à l’actualité. Les attentats, c’est terrible, vous suivez les infos et prenez les nouvelles de vos amis susceptible d’être sur place, en vous disant que ce n’est pas la peine de paniquer pour eux tant qu’ils ne sont pas dans une liste macabre. Vous ne mettez pas de bannière « Je suis (telle ou telle ville) » le lendemain sur Facebook pour exprimer votre solidarité. Non, vous êtes solidaires, c’est évident, mais vous savez combien sont nombreux les cas de mort dans des circonstances terribles, et vous avez choisi de ne pas opter pour une solidarité plutôt qu’une autre. Et non, vous n’allez pas changer la photo de votre profil tous les jours, donc vous ne la changez jamais. Les gens vous disent : « mon dieu, quelle horreur », et vous êtes presque surpris du choc de ceux qui n’avaient personne sur place. Peut-être parce que vous vous êtes habitués à l’indifférence concernant les événement dont vous avez été témoins, dans le pays de votre expatriation. Peut-être parce que vous vous êtes habitués aux nouvelles terribles et votre réaction est devenue plus distanciée, car autrement ça n’est pas possible.

Oui, tous les jours, des gens meurent. Parce que c’est la guerre dans leur pays. Mais aussi, parce que leur gouvernement vole dans les caisses de l’Etat sans vergogne et que le système de santé est tout à fait défaillant, ou bien parce qu’ils tentent, dans des radeaux de la mort, de fuir leur pays où la misère ne leur laisse aucune perspective, aucun espoir, aucune chance, ou bien car des bombes y tombent tous les jours. C’est terrible. Oui. Faut-il s’arrêter de vivre car quelqu’un d’autre n’en a pas la pleine possibilité ? Non, bien au contraire.

Il faut profiter de la chance et des opportunités que l’on peut trouver là où l’on est, dans notre cas la France, et qui ne nous accueille pas avec un tapis rouge quand on rentre, oui, mais qui a beaucoup à proposer ! On peut d’ici aider là-bas, simplement en trouvant du travail et versant de l’argent à une association en qui on a confiance, ou en consacrant un peu de son temps pour informer, pour aider ou quoi que ce soit d’autre. C’est une motivation incroyable. On peut déplacer des montagnes et, après avoir traverser une telle crise, votre résistance au stress et à la pression, qualité fortement recherchée sur le marché du travail, est décuplée !

Merci à l’auteur de ce magnifique témoignage qui préfère conserver l’anonymat. On mesure en lisant ses lignes à quel point cette expérience a pu être bouleversante et profonde. Non, décidémment, regrouper l’ensemble des “expats” sous le même toit n’a pas de sens, de même que parler du retour comme un simple déménagement. Chaque expérience de l’ailleurs est unique, forte, grande. Parfois violente aussi. Comme une histoire d’amour.

L’écriture est une formidable thérapie pour “faire sortir” les émotions. Nous avons tous besoin de lire les histoires des autres, de savoir qu’on est pas seuls avec ses pensées, ce sentiment de décalage. Nous avons besoin de dire les émotions et la richesse de ce qui s’est passé “là-bas”, d’être entendu, de partager ce qu’on ne peut dire à personne d’autre, parce que l’écoute n’est pas souvent là.

Cette publication est là pour ça. Pour proposer vos textes, c’est par ici. Pour en savoir plus sur la publication “Retour en France”, c’est par là.

Pour m’écrire : annelaure@retourenfrance.fr
Notre site web :
retourenfrance.fr
Le livre :
Guide du retour en France 2016

Au plaisir de vous lire ! :-)
Amicalement,

Anne-Laure

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Après plusieurs années de vie à l'étranger, je rentre en France. Petit journal de bord :) #expatriation #retour #retourdexpatriation