L’après-Covid-19 : 5 points clés pour mieux comprendre le défi économique

Christophe Blondeau
SCIAM
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9 min readMay 26, 2020
Image par Gerd Altmann de Pixabay

Pourquoi sommes-nous soudainement passés de messages d’austérité et de politiques budgétaires restrictives à une doctrine où l’économie cède le pas (on s’en réjouit) à la préservation de vies humaines, où l’argent paraît couler à flot et où les dettes ne seraient plus un problème ? Livrons-nous à l’analyse de quelques dynamiques économiques pour tenter d’y voir plus clair.

Vers une économie post-covid décroissante ? Rien n’est moins sûr

Confinement : -38%.

Selon la pyramide de Maslow (qui priorise nos besoins), nous avons sacrifié velléités d’accomplissement, d’estime et d’appartenance, pour nous cantonner à la nécessité de nous nourrir et nous protéger. D’aucuns y voient l’occasion de repenser de façon plus frugale notre consommation. C’est oublier que nos économies sont devenues des sociétés de services. Du tourisme aux coiffeurs, restaurateurs et gens du spectacle, les services sont une des principales sources de création d’emplois.

Revenir à l’essentiel se comprend. C’est bien parce que tout le patrimoine de la nature (la terre, les minéraux, le vent,…) n’est pas intégré dans nos économies qu’il est créateur de valeur. Un légume a plus de valeur que sa graine parce qu’il nous permet de survivre et que la nature nous l’offre sans contrepartie. La valeur étant la différence entre l’utilité créée et le coût de production, il a fallu des siècles pour dépasser esclavagisme et colonialisme, dont le coût était limité à la nourriture. Cependant, le grand succès économique du XXeme siècle réside dans une découverte : la classe ouvrière peut créer plus de valeur si éduquée, payée et protégée, elle consomme sur toute la pyramide de Maslow.

On peut certainement mieux consommer, consommer durable, mais au regard du recours massif au chômage partiel constaté durant le confinement, moins consommer reste contradictoire avec la capacité à maintenir l’emploi. Aussi, quelle que soit la couleur politique des pays touchés par le covid-19, sortir de la crise sans politique de croissance paraît utopique.

La finance ou l’économie dangereuse mais si séduisante de la confiance

La création de valeur est rarement instantanée. Il faut du temps pour la matérialiser. L’investissement consiste à engager des moyens et attendre que la valeur soit créée pour être remboursé. L’hypothèse est que cette valeur sera bien créée.

C’est donc un pari, mais qui offre un levier magistral : plus il sera possible d’étaler le remboursement dans le temps (confiance), à coût faible (taux d’intérêt) et d’obtenir une richesse rapidement (productivité), plus la valeur créée à court terme est importante.

Une hormone de croissance à l’état pur car le levier est énorme entre la nation qui peut rembourser à long terme sans charge d’intérêt (les USA, l’Allemagne, La France) et l’Etat qui n’inspire pas confiance (Le Venezuela,…). En somme, pour une nation, insuffler la confiance c’est être autorisée à grandir.

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La mécanique de la confiance, c’est le rôle des banques : modéliser la capacité d’un individu à rembourser son prêt immobilier, d’une grosse entreprise à rembourser ses émissions obligataires, d’un Etat à rembourser sa dette. Le monde de la finance reflète la puissance de l’économie de la confiance. Pour les gouvernements, tout est devenu enjeu de confiance à l’horizon d’un mandat électoral.

Or la confiance, c’est fragile, entachée d’affectif et de subjectif. Nous vivons dans une économie émotive, ce qui explique certainement le retournement politique si soudain du rapport à la dette dans le contexte du Covid-19.

Car avant la pandémie, pour conserver cette confiance, les Etats devaient maintenir une doctrine austère : rembourser plus qu’ils n’empruntent, en réduisant les dépenses publiques. Exigences des marchés financiers devenues la drogue des économies. Dealers ou médecins, on peut songer à s’en passer, mais le sevrage sera sévère.

Sauf si les marchés financiers prennent eux-mêmes peur et que leurs exigences changent. Car bon médecin ou méchant caïd, si tout le monde est en faillite, échec et mat. C’est le contexte d’effondrement économique, engendré par le covid-19, qui permet d’entrevoir d’autres voies possibles dans lesquelles s’engagent les discours politiques.

Quelles seraient les conséquences d’un sevrage financier qui assainirait nos économies ?

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Annuler unilatéralement les dettes amassées ? Plus de dette, c’est vrai. Mais plus personne pour nous prêter non plus. Une économie à qui on demande de continuer le marathon de la productivité sans boire, ni manger. Pas sûr que seuls les plus riches finissent à terre.

Relocaliser la production ? Il faudra en assumer le surcoût. Car plusieurs siècles d’application de l’avantage comparatif cher aux néo-classiques font qu’on délocalise parce que c’est moins cher. Avec le covid-19, on découvre que c’est vrai au quotidien, mais faux en temps de crise. Donc seuls les biens stratégiques dont la population acceptera le surcoût seront relocalisés. Probablement certains médicaments, mais on peut douter que les fraises bretonnes à 25€ le kilo remplacent définitivement les fraises espagnoles à 5€.

Reprendre la main sur notre monnaie ? Une dynamique attrayante, mais qui a fait son temps. On peut créer artificiellement de la valeur en battant monnaie. C’est la création monétaire. Un bien vaut 10€ et j‘ai 10€ dans mon économie. Je peux l’acheter. Je bats 10€ en plus injectés en hausse de salaire. Je peux m’acheter 2 fois le bien. Le problème, c’est la valeur de ma monnaie à l’extérieur. J’ai doublé ma masse monétaire puisque mon économie détient 20€, mais les pays avec lesquels je commerce exigent d’ajuster le taux auquel nous échangeons nos biens. Mon taux de change est divisé par deux. Est-ce en somme un plus, si je suis contraint d’acheter mon iPhone deux fois plus cher ? Une stratégie aisée pour acquérir des suffrages, mais caduque dans nos économies mondialisées.

De la confusion entre création de monnaie réelle ou comptable

Les milliers de milliards dont on nous parle ne sont donc pas de la création monétaire. Il s’agit d’argent créé techniquement et voulu temporaire. Un artifice comptable mais efficace.

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Rappelons-nous l’économie de la confiance. Lorsque la Banque Centrale Européenne (BCE) ajoute une écriture comptable de 750 Milliards d’euros dans son bilan le 18 mars 2020, le montant astronomique est suffisant pour dire aux financiers : « quoique vous fassiez, j’achète les actifs qui vous inquiètent, inutile de s’emballer ». L’artifice sert à maintenir le prix des actifs financiers et ainsi à empêcher tout vent de panique. Car ce sont ces derniers qui mettent en faillite les banques.

Rappelons-nous : la santé des banques reflète la santé de l’économie de la confiance. Il s’agit de préserver à tout prix ce système. Car, lorsque la vague de panique sera terminée, les investisseurs classiques pourront racheter les dettes en lesquelles ils n’avaient plus confiance. Les emprunteurs qui ont passé la crise rembourseront ces dettes, et la BCE, qui n’aura servi que de maître d’école, réduira son bilan en supprimant l’écriture passée.

Ce Quantitative Easing (Q.E), déclenche l’ire des non financiers. Lorsque la Federal Reserve (FED) émet 1 000 Milliards de dollars, cela donne l’impression que cet argent est offert aux marchés. Si cela réduit le taux de faillite des PMEs à 1%, la FED injectera réellement 10 Milliards d’euros. Mais dans le système bancaire, pas dans l’économie réelle. Injuste, c’est vrai.

Mais si elle laisse une banque couler, les autres banques risquent, pour se protéger, de ne plus pouvoir prêter et ainsi laisser les PMEs qu’elles financent faire faillite. L’effort qu’il faudra dès lors impulser sera bien plus lourd. Le quantitative easing est donc un pansement puissant, mais qui surprotège les banques.

Plusieurs limites à cet outil : la confiance dans la banque centrale, l’annulation, à terme, de l’écriture artificiellement créée, la latitude laissée aux banques de transférer ce soutien dans l’économie réelle, ou … soutenir la spéculation financière.

Or dix ans après les premiers usages du Q.E, force est de constater que le bilan de la Banque Centrale Américaine n’a pas été totalement réduit. Car une partie des sommes créées a alimenté la bourse.

Pour la BCE, il y a un autre risque : il faut gérer une monnaie de réserve pour continuer sans souci à user de cet outil. Or si la BCE devait éclater, ses membres affaiblir son pouvoir régalien et l’Euro devenir une monnaie de seconde zone, l’effet serait dévastateur tant que les artifices ne sont pas résorbés. A ce jeu, les européens jouent actuellement à se faire peur.

Croissance : et si on pariait sur la transition énergétique et la consommation ?

Mais pourquoi ne pas passer outre les banques et mettre l’argent directement dans les comptes des clients bancaires ? On l’appelle théorie de l’hélicoptère, par sa proximité avec une version illustrée dans la Casa de Papel, où l’argent tombe du ciel sur la Plaza del Callào à Madrid.

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Cela apaiserait probablement les classes modestes. D’autant que les victimes de l’effondrement économique causé par le covid-19 posent aux financiers un dilemme : le consommateur est source de croissance. A trop l’amoindrir, tout pourrait s’écrouler. Car un rouage simple lie consommation des ménages et investissement de l’Etat, c’est le multiplicateur keynésien.

L’injection d’argent se transformerait en croissance par la consommation avec un effet multiplicatif. Mais avec un risque : si l’on ne consomme pas c’est qu’on épargne, d’où la grande inquiétude du Ministre de l’économie Bruno Lemaire quant à la forte hausse de la collecte sur les livrets A depuis le déclenchement du confinement. Et il faudrait le faire au niveau européen, or cette possibilité est contrainte. Et simultanément avec les autres grandes puissances si l’on ne veut pas déstabiliser les équilibres de change. Enfin il faudrait que le prix des biens, l’inflation, n’augmente pas plus que l’argent donnée à chacun. Bref, une mesure séduisante mais compliquée et risquée.

Une autre optique serait d’emprunter massivement afin de créer une richesse future supérieure à la dette que devront payer nos enfants. Une relance par l’investissement afin d’exploiter de façon plus durable la nature. En mieux, en renouvelable, mais pas en moins. Un pari, comme le Plan Marshall en 1948, qui a provoqué la croissance des trente glorieuses. Il pourrait s’agir de créer de la valeur à partir du vent (éolien), des rayons solaires (photovoltaïque), etc. D’en réduire aussi les effets néfastes dont la pollution et de multiplier la valeur de la nature dans l’économie (par l’agro-tourisme par exemple). Stratégie séduisante en cas de succès car la dette contractée serait peu lourde pour nos enfants.

Les emprunts français actuels dépassent largement les besoins pour financer le chômage partiel (du moins à court terme) et serviront donc pour aider la relance, par l’investissement ou la consommation. Mais comme là encore il s’agit d’un pari, mieux vaut le penser à plusieurs. D’où les recovery-bonds, qui concentreraient une partie du budget des états sous un emprunteur unique européen, qui réinjecterait l’argent collecté dans de grands programmes de croissance. Un pari dont doutent certains pays du Nord.

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Il est donc vrai que de l’argent a été massivement, mais artificiellement, créé durant la pandémie afin de maintenir la confiance dans les possibilités de relance. Il est probable que le monde économique ne changera pas du tout au tout.

Il est encore trop tôt pour savoir si les institutions et les pouvoirs politiques pourront réellement avoir suffisamment de marge de manœuvre pour mettre en place des politiques d’investissement ou de consommation pour la croissance future, ou s’ils basculeront de nouveau vers la stratégie de l’austérité paralysante mais, à court terme, moins risquée.

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Christophe Blondeau
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Commando Management @SCIAM — Senior Project Program Manager chez BNP Paribas