Cours 3 : l’autre, son histoire et la marque

Benjamin Berut
Web content : theorie et stratégie
11 min readSep 21, 2015

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Les élèves ont choisi leur projet web et en ont défini les cadres. Il va falloir maintenant poser une question très simple : comment cette marque web compte-elle intégrer le quotidien de ses cibles ? Et pour cela, il va falloir penser à l’autre, celui qui est de l’autre côté de son écran… quel que soit cet écran.

La série d’articles “Mettre en place une stratégie de communication transmédia” est en fait le texte d’accompagnement du cours du même nom que je tiens à l’école de la communication à Sciences Po. De quoi donner aux élèves les moyens de revenir sur le cours, d’échanger avec eux et avec tous ceux que ça intéresse.

Et pour aller plus vite, voilà les présentations du cours 2 et du cours 3.

Dans le cours 2, on a lancé la création du site en s’appuyant sur un processus itératif fondé sur les règles de l’UX design. Même si ce processus devrait être bien plus long, il faut bien avancer et le cours 3 a consister à essayer, après avoir positionner le projet web dans son environnement, de trouver les moyens de toucher son public.

Sinon, sans se poser la question de son public, une marque web va vite rester sans écho, seule, à se parler pour elle même. Ce qui peut être très drôle mais un peu limité en termes d’efficacité.

Bon, il va donc falloir trouver l’autre en face. Celui avec qui vous voulez partager. Parce que, au fond, c’est bien ça que vous allez tenter de faire : créer une expérience commune entre un public et vous, enfin, vous à travers votre marque. Et oui, c’est un peu de vous que vous mettez dans votre projet web.

Connaître ou imaginer son usager

Bien-sûr, quand on pense à la manière de connaître sa cible et que l’on est plus ou moins dans le marketing, on pense immédiatement à de nombreuses méthodes de sondage, quantitatifs ou qualitatifs, qui doivent en se recoupant vont pouvoir vous dire ce qu’il veut se fichu internaute, ce fichu consommateur. Et au fond, toutes ces méthodes, même si le big data, le data mining et tout la data science sont largement passés par là, peuvent ne pas toujours être efficaces, et vous donner l’impression de vous dire ce que, au fond, vous saviez déjà.

Bon, je suis un peu dur, mais il y a un moyen bien plus simple même si il nécessite une gymnastique bien plus quotidienne (en fait, une gymnastique à mettre en place chaque fois que l’on produit le plus petit des contenus).

Essayons simplement de comprendre ce pauvre usager. Comprendre au sens de faire sien, de prendre avec soit… bref de se mettre à sa place.

Et ça, grâce à la méthode des persona. Alors là encore, avant même de commencer à définir ce qu’est un persona et de montrer un exemple venu du cours, autant dire qu’il existe une littérature très dense autour de cette notion phare de l’UX design. Ce que je garde ici, c’est cette manière dont ils nous poussent à imaginer l’autre et, à chaque fois que l’on souhaite écrire/tourner/enregistrer quoi que ce soit, se mettre à sa place. Se mettre à sa place tout simplement pour se poser la question de ce dont il a besoin, de ce qu’il veut, de l’heure à laquelle il est disposé à vous donner les quelques secondes ou les quelques minutes que vous lui demander… Bref, de ne pas parler pour vous mais pour lui.

Un nom, un visage, l’âge et une base line…

Ce qui est intéressant dans le persona, c’est que la première chose que vous faites, c’est de lui donner un visage et un nom. Finalement, ce n’est pas nécessaire. Vous pourriez très bien l’appeler “Cadre moyen de 30 à 35 ans dans une banque”, mais ça vous empêcherait chaque fois que vous écrivez quelque chose pour lui de vous dire : est-ce que ça sera utile à Arnaud ou non ? Tout en ayant son visage, son nom et son âge à l’esprit.

Sans repasser par toutes notions d’éthique que porte le visage chez un philosophe comme Emmanuel Levinas ou même chez Paul Ricoeur, il est clair que donner un nom et un visage à votre persona va faciliter l’empathie que vous aller devoir développer pour lui.

Empathie parce qu’il faut bien comprendre qu’au début vous allez écrire pour vous même. Soit parce que vous écrivez sur un sujet qui vous intéresse, soit parce que vous intégrez une institution quelconque qui, souvent, pense qu’être sur le web c’est parlé d’elle-même.

Au nom et au visage on peut ajouter une base line, c’est-à-dire une courte phrase qui définit le persona par rapport à vos contenus. Avec si possible déjà une problématique : soit il n’a pas le temps, soit il n’est pas engagé, soit il est déjà largement engagé dans une marque concurrente…

Prenons comme l’exemple d’un des persona du site Girls, Girls qui relie pop culture et féminisme ; nous avons donc Freddie, qui a 27 ans et que l’on peut résumer, pour ce qui concerne le site comme : “une mère célibataire d’un enfant de 6 ans”.

Voilà, un visage et en quelques mots une histoire qui va positionner le persona par rapport au site.

Son quotidien et son intérêt pour vous

Deuxième temps du persona, il va falloir fixer son quotidien. On a déjà son âge reste à savoir ce qu’il fait dans la vie. De prime abord son métier est important, mais ça peut être autre chose si le site ne le vise pas dans son espace professionnel. On verra plus loin qu’il va falloir penser à ses routines quotidiennes.

Alors son quotidien peut être constituer de son métier, de sa famille, de ses amis… De tout ce qui scande le temps de ses journées et dans lequel vous allez tenter d’intégrer votre marque web.

C’est bon, on a commencé à définir son quotidien, reste à fixer quelques éléments concrets qui disent à quel point il peut s’intéresser à vous. C’est là qu’il faut définir ses objectifs auxquels pourraient répondre vos contenus. Pourquoi il viendrait vous voir ? C’est là aussi qu’il faut dire à quel point il est familier avec le web et ses différents outils. Fondamental bien-sûr car c’est que l’on va savoir comment il pourra rencontrer vos différents points de contact. Est-ce qu’il est constamment accroché à son téléphone portable à télécharger les dernières applications ou est-ce qu’il a plutôt un usage limité du web ?

Et puis il y a également son état d’esprit et son engagement par rapport à vos contenus. Est-ce qu’il vous connaît déjà ? Est-ce qu’il est familier avec le sujet que vous traitez ou est-ce qu’il n’y connaît rien ? Est-ce que les valeurs de votre marque lui parlent ou non ? Est-ce qu’il pourra rapidement s’identifier à vos contenus ou est-ce qu’il va falloir le convaincre ?

Voilà, entre son quotidien et son engagement pour votre marque vous avez de quoi imaginer votre persona à chaque fois que vous mettez en ligne quelque chose pour lui.

Vous pouvez à chaque fois vous poser la question de savoir si ça lui est utile ou non. Si il aura le temps de le lire ou non. Si ça va lui parler ou est-ce qu’il n’y prêtera, à première vue, aucune attention ? Ou même simplement si vous avez une chance de le voir passer à l’endroit où vous publiez ? (Si, si, c’est beaucoup plus fréquent que vous pensez. Vous n’imaginez pas à quel point les décideurs sont fans des home page qui ne servent souvent à l’utilisateur qu’à refaire le même chemin qu’il fait toujours et qui, en réalité, n’offrent pas vraiment de visibilité à cette actu…)

Bon, voilà alors ce que peut donner la description du persona, ici en gardant l’exemple de Freddie.

Name: Freddie

Freddie is a 27 year old single mum to a lively 6 year old girl from London. She recently finished art school and now works as a children’s book illustrator.

Tech mastery: Reasonably tech savvy but does not have much time for social networking being a full time working mum. Occasionally posts snaps of her daughter on Instagram, which she keeps private for her friends and family.

Objectives: Doesn’t have enough time/too tired to watch TV or read many books to switch off in the evenings after her daughter has gone to bed, so she is looking for a website that she can browse at her leisure. Her guilty pleasure is reading gossip about celebrities but she is worried it is dumbing her down, so she wants a site where she can find light subjects with an intellectual twist.

State of mind: recently became interested in feminism because she sometimes feels stigmatized being a single mum. She finds this unfair as she feels quite empowered having a job that she loves, and a small human to take care of!

Engagement: Medium, too busy cleaning up after her small child!

Alors bien-sûr, il y a de nombreux moyens de rendre cette fiche de persona plus visuelle, plus jolie. Mais finalement tout est là et surtout le dernier point sur l’engagement qu’elle est prête à offrir au site est excellent et crée d’emblée un personnage réel à la place duquel on peut se mettre. Au fond, pour Freddie, la priorité c’est son enfant.

L’expérience, c’est une petite histoire dans la grande

Bon allez, on repart dans les grandes théories pour finalement dire quelque chose d’assez simple. L’expérience que chacun de vos contenus (oui, même un simple tweet ou une petite storie sur Snapchat) va faire vivre à votre internaute est une petite histoire qui prend place l’histoire plus grande, et beaucoup plus importante pour lui, qu’est son quotidien.

Bon, et une histoire c’est quoi ? Une histoire c’est la résolution d’un désordre. C’est le passage d’un moment où tout va bien au retour à un autre moment où tout va bien. Et pour en savoir plus, c’est par là avec un petit #autopromo.

Ce qui veut dire que du début à la fin de votre contenu, vous allez devoir emmener l’internaute d’une problématique à sa résolution.

Dans son article Psycholgy of Waiting Lines Don Norman explique bien ce processus qui fait que, au fond, la mémoire s’appuie surtout surtout sur l’expérience et que celle-ci tient avant tout dans son début et dans sa fin. Ce qui signifie que ce que les internautes vont retenir de vous c’est la manière dont vous avez su répondre au désordre face auquel ils étaient.

Alors, on y reviendra au moment du cours sur le storytelling, mais le désordre à résoudre n’est pas toujours négatif, ni même toujours connu par celui que vous ciblez. Par exemple, Harry Potter qui est un enfant maltraité et qui découvre qu’en fait il est un sorcier, c’est un événement qui vient destabiliser son quotidien, en bien, mais quand même, il sort d’un quotidien et il lui faudra sept livres pour en retrouver un autre. Pour que l’on puisse enfin dire que l’histoire est terminée.

Voilà, sept romans (et huit films) pour passer d’un quotidien à l’autre. Pour passer d’un monde qui ne bouge pas à un monde qui ne bouge plus.

Idem, l’internaute peut ne pas être conscient du désordre auquel il fait face et que vous vous proposer de résoudre… Ce qui peut paraître étrange mais il y a encore quinze ans est-ce que vous trouviez que c’était vraiment un désordre dans votre vie de ne pas pouvoir avoir un téléphone à portée de main en permanence ? Ah et étrange désordre aussi il vous fallait deux outils différents : l’un qui donne l’heure et l’un qui vous permet de téléphoner… Et bien Apple trouvait que ça, c’était un désordre dans votre vie et ils l’ont résolu.

Voilà, l’expérience que vous faites vivre à votre internaute doit être une petite histoire.

C’est quoi son quotidien ?

Ce qu’il va donc falloir faire, c’est fixer son quotidien et savoir comment vous pouvez intégrer ce quotidien. En terme de timing bien-sûr (à quel moment est-ce que vous pouvez tenter de pousser un contenu à Freddie et pour lui demander combien de temps à vous consacrer ?), mais également en terme de problématique : à ce moment, quel est le désordre que je peux lui proposer de résoudre ?

Et c’est là qu’interviennent les diagrammes d’alignement. Une expression un peu complexe pour simplement dire qu’il s’agit de savoir comment se caler sur la routine quotidienne de votre internaute. Alors voilà ça donne ça.

A voir sur http://boxesandarrows.com/alignment-diagrams/

Voilà, à la rencontre de la routine quotidienne de votre internaute vous avez vos points de contact (on reviendra sur cette notion) vous avez vos contenus et, donc, l’expérience que vous allez proposer à l’internaute.

Et comment lui proposer une expérience dont il va se souvenir ?

Parce que c’est ça qui est important. Comment penser votre contenu pour faire en sorte qu’il marque l’esprit de l’internaute et qu’il ait donc envie de revenir, que son engagement augmente ?

Alors pour ça Chip et Dan Heath proposent six éléments Succes (même si il manque un S) dans Made to stick.

Alors, qu’est-ce que ça veut dire Succes et en quoi cela peut vous servir à définir chaque contenu que vous proposer aux internautes, chaque expérience que vous tentez de leur faire vivre ?

  1. Simple : Il faut que ce que vous proposer soit simple, il faut éviter de complexifier l’expérience, au début en tout cas. Le premier contact doit être facile à comprendre et tous vos contenus, toutes vos interfaces doivent viser la simplicité.
  2. Unexpectedness (inattendu) : Proposer une expérience qui va surprendre l’internaute ; il n’y a rien de pire que de savoir à l’avance ce qui vous attend. Par exemple en intégrant des gif à votre texte qui est censé être sérieux.
  3. Concretness (concret) : Mieux vaut éviter l’abstraction, mieux vaut aller directement au point important en évitant l’abstraction.
  4. Credibility (crédible) : Dès le premier abord vous devez rendre votre contenu crédible. Stanford a mis en ligne un projet complet sur la crédibilité sur le web. Ce qu’il faut en retenir c’est que la crédibilité se gagne difficilement et se perd vite, qu’elle dépend autant des contenus que de l’interface. C’est un peu la confiance que vous construisez dans le temps long avec votre public.
  5. Emotions : Bon oui, on dit souvent que les émotions sont importantes mais c’est une matière complexe. Pour ma part, je préfère dire que tous les contenus efficaces proposent avant tout une relation. Comme on l’a vu dans le premier cours, on ne vend pas du Ricard, on vend des amis autour d’une table à l’heure de l’apéro. Au fond la relation que vous proposez à l’internaute, c’est ça l’émotion que vous allez créer.
  6. Stories (histoires) : Et ça on l’a vu, vous devez emmener votre internaute d’un début à une fin.

Alors voilà à quoi il faut penser chaque fois que vous aller proposer un contenu à vos internautes. Le prochain cours sera lui consacrer au parcours de l’usager sur vos contenus car si on veut lui faire vivre une expérience inoubliable et qu’elle peut tenir en un tweet, le mieux est quand même de le faire venir et naviguer sur vos contenus.

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Benjamin Berut
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