Biden le populiste

Philippe Corbé
6 min readJun 22, 2024

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He’s for him, I’m for you. Pour accentuer le contraste avec Trump, le président choisit le “populisme économique” anti-riches et la lutte des classes.

Evan Vucci / Associated Press

Vendredi matin, nous saurons si Joe Biden a déjà perdu la Maison Blanche.

Le président s’est replié à Camp David avec son équipe rapprochée pour préparer le premier des deux débats de la campagne face à Donald Trump, qui doit se tenir à Atlanta jeudi soir. C’est Joe Biden qui a imposé ses conditions et l’ancien président les a acceptées. En affrontant Donald Trump dans des circonstances qu’il a provoquées, bien plus tôt que les débats des précédentes élections qui se tenaient à quelques semaines du scrutin, le président prend un risque à un moment d’incertitude.

Ses sondages de popularité atteignent leur plus bas niveau depuis le début de sa présidence. Mais les enquêtes électorales montrent que l’écart entre les deux candidats se resserre depuis la condamnation au pénal de Donald Trump.

Dans le dernier sondage national Fox News publié cette semaine (il faut être prudent sur les sondages nationaux, car l’élection se joue dans quelques États, mais c’est une indication d’une tendance), Joe Biden repasse devant Donald Trump dans les intentions de vote pour la première fois depuis août 2023.

L’enjeu du débat de jeudi soir est donc simple. Si Biden s’en sort correctement, il peut espérer prolonger cet élan. S’il déçoit, s’il inquiète, s’il apparaît fragile sur la forme, s’il n’est pas assez percutant sur le fond, il cassera ce début de dynamique que son équipe peinait à lancer depuis des mois. Trump reprendra l’avantage et la presse recommencera à spéculer sur un improbable remplacement de dernière minute du candidat démocrate.

On devine déjà la stratégie du camp Biden avant ce débat dans une publicité qui vient d’être dévoilée et va être diffusée massivement. La campagne a acheté pour 50 millions de dollars d’espaces publicitaires dans les huit États déterminants de l’élection : trois États de la Rust Belt, la ceinture de la rouille (Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin) où se sont jouées les élections de 2016 et 2020 (s’il les perd, c’est fini pour Biden) ; trois États de la Sun Belt, la ceinture du soleil, Arizona, Nevada, Géorgie (trois États gagnés par Biden, grâce à son avance dans les communautés noires et hispaniques, qui s’est depuis réduite) et deux États, Caroline du Nord et Floride, gagnés par Obama en 2008, mais qui ont voté Trump en 2016, en 2020 et devraient faire de même en 2024 (mais le camp Biden veut forcer l’équipe Trump à continuer à y faire campagne et à y dépenser beaucoup d’argent).

Voici cette publicité.

Trois choses intéressantes à noter :

1- Pour la première fois, la campagne Biden attaque clairement Donald Trump sur sa condamnation pénale. Beaucoup de démocrates ne comprenaient pas pourquoi le président évitait de l’évoquer trop ouvertement et le pressaient d’adopter un ton plus agressif.

Nous voyons Donald Trump tel qu’il est”, dit la publicité. “Il a été reconnu coupable de 34 délits, reconnu responsable d’agression sexuelle et a commis une fraude financière (…) Cette élection se déroule entre un délinquant reconnu coupable qui ne s’occupe que de lui même et un président qui se bat pour votre famille.

2- C’est dans cette dernière phrase que se trouve le second élément intéressant de cette publicité. Biden y dévoile ce qui sera sa stratégie jeudi soir et qu’il va développer au cours des derniers mois de campagne.

Trump se bat pour lui, je me bats pour vous.

He’s for him, I’m for you.

Nous devons faire passer le message et le message est très clair : cette élection se joue entre quelqu’un qui se réveille chaque jour pour se battre pour le peuple américain, et Donald Trump qui est un délinquant condamné, Donald Trump qui ne mène cette campagne que pour lui-même.” justifie Quentin Fulks, le directeur adjoint de la campagne Biden, sur MSNBC. “Comme le dit la publicité, il fera tout pour conserver le pouvoir et continuer à mener une campagne de vengeance et de représailles. Nous devons nous assurer que le peuple américain sache que Donald Trump ne pense pas à eux. Pendant ce temps, le président Biden se réveille chaque jour en se battant pour réduire les coûts, faire en sorte que les entreprises paient leur juste part. Et c’est cela l’enjeu de cette élection”.

3- C’est le troisième élément révélateur de cette publicité : se battre pour les Américains, c’est se battre pour leur pouvoir d’achat (j’ai déjà raconté ici comment l’inflation est l’une des trois clés de l’élection) et pour que les entreprises payent davantage.

Le populisme économique serait-il le meilleur espoir de Biden pour battre Trump ?” s’interrogeait il y a quelques semaines New York Magazine.

Il existe une école de pensée ancienne mais toujours dynamique dans la politique du centre-gauche, connue sous le nom de populisme économique” rappelait l’éditorialiste politique du magazine, plutôt dubitatif sur cette stratégie. “Elle a tendance à soutenir que des attaques sans relâche et de style lutte des classes contre les riches et les entreprises sont la clé du succès pour les politiciens démocrates et envisage généralement un retour à la “coalition du New Deal” — basée sur les électeurs de la classe ouvrière qui ont fait des démocrates le parti majoritaire de la Grande Dépression jusqu’aux années 1980 — comme son objectif. Pour certains observateurs, c’est une option particulièrement tentante en ce moment, à une époque où le président démocrate des États-Unis risque de perdre son poste en raison de préoccupations économiques face à un rival républicain riche aligné sur les intérêts de ses compagnons ploutocrates.

Pour son ultime campagne, plus d’un demi-siècle après sa première sénatoriale victorieuse en 1972, après trente-six années au Sénat et huit à la vice-présidence pendant lesquelles il a tracé un sillon très centriste, Joe Biden s’est déplacé vers la gauche depuis sa victoire en 2020.

Il a conclu que la pandémie a bouleversé l’économie et les rapports de force dans la société américaine. L’État fédéral a pris une plus large place. Le Covid a exposé les inégalités qui minent la nation la plus riche du monde. Les Américains les plus pauvres, les Noirs, les Hispaniques, étaient statistiquement plus nombreux dans les chiffres des contaminations et des décès. Biden a répondu par des plans de dépenses publiques de plus d’un millier de milliards de dollars, avec l’Inflation Réduction Act, la loi d’investissements dans les infrastructures, et celle sur les semi conducteurs. C’est aussi pour cela que Biden critique sèchement les banques, les compagnies aériennes, l’industrie pharmaceutique, et poursuit peu ou prou le protectionnisme de Donald Trump.

Aucun milliardaire ne devrait payer moins d’impôts qu’un enseignant” clame Biden pour dénoncer les baisses fiscales massives de la présidence Trump.

Après avoir mis en oeuvre une politique économique qui a rompu avec la ligne pro-business du parti démocrate depuis l’ère Clinton, Joe Biden parie qu’un message de populisme économique est nécessaire pour espérer battre Trump en novembre.

Lors d’une tournée en Pennsylvanie, Biden se tourne vers le populismetitrait le Washington Post en avril après un déplacement de Biden dans sa ville de natale de Scranton, en Pennsylvanie, le plus important des États-bascule.

Il a cherché à marquer une nette différence entre ses origines et celles de Trump. “Tout ce que je savais des gens comme Trump, c’est qu’ils nous méprisaient”, a déclaré Biden à la foule dans sa ville natale, contrastant son enfance avec la résidence de Trump dans son complexe à Palm Beach, en Floride. “Ils ne nous laissaient pas entrer chez eux ni dans leurs clubs privés. Quand je regarde l’économie, je la vois à travers les yeux de Scranton, pas à travers ceux de Mar-a-Lago.

He’s for him, I’m for you. Biden mise sa réélection sur ce message.

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Philippe Corbé

Journaliste / Auteur du roman "Cendrillon est en prison" et des essais "J’irai danser à Orlando" et "Roy Cohn, l’avocat du diable" chez Grasset