Les sources de financement de la méditation de pleine conscience
Nous nous penchons ici sur les 10 plus importants donateurs du “Mind and Life Institute”, principal organe de promotion de la méditation de pleine conscience. Leur mise en lumière révèle des colosses de la philanthropie nord-américaine peu visibles du grand public, aux intérêts parfois très éloignés des valeurs généralement associées à la Mindfulness.
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La fortune de la famille Kemmerer remonte à la fin du XIXe siècle et à la Kemmerer Coal Company, société fondée par l’arrière-grand-père, à l’origine de l’exploitation de la plus grande mine de charbon à ciel ouvert des États-Unis.
Alors que l’entreprise est revendue en 1981 à une société qui elle-même fusionnera avec Chevron (2e compagnie pétrolière aux USA), la famille Kemmerer acquiert en 1992 le Jackson Hole Mountain Resort – considéré aujourd’hui comme l’une des plus luxueuses stations de ski nord-américaines – et y injecte plus de 230 millions $.
Une fondation – la Kemmerer Family Foundation – est parallèlement créée en 2000 dans l’optique de “redonner aux communautés et aux organisations avec lesquelles les membres de la famille sont impliqués”. En 2019, ce sont donc 2,6 millions $ qui sont reversés à des universités, des hôpitaux, des institutions sociales, des clubs sportifs, des communautés religieuses et des centres de méditation.
Plus récemment, en août 2021, le frère de la fratrie Kemmerer co-organisait une soirée de levée de fonds dans le resort familial mettant à l’honneur l’ancien chef de cabinet de la Maison Blanche de D. Trump ainsi que la représentante républicaine au Congrès Marjorie Taylor Greene, connue pour s’être opposée à la non-réélection de Trump et pour avoir comparé les mesures sanitaires durant la pandémie à l’Holocauste, tout comme pour son soutien aux théories complotistes QAnon. Le prix minimum du ticket d’entrée (pour un couple) était fixé à 2000 $.
Ici, des manifestants s’opposant à la tenue de l’événement en faveur du House Freedom Fund, groupe de l’extrême-droite du Parti Républicain, au Jackson Hole Mountain Resort, Wyoming (USA), août 2021 :
Cette protestation précède celle de l’entreprise de vêtements Patagonia, qui décide dans la foulée de rompre toutes ses relations commerciales avec la station de ski. Quand bien même il s’agit d’un des plus juteux contrats de partenariat de la marque californienne, ses dirigeants expliqueront que leur décision “n’est pas neutre” et qu’ils se font les porte-paroles de la population locale en dénonçant les agissements de la famille Kemmerer.
Cette situation n’empêche néanmoins pas le Mind and Life Institute – association créée au début des années 90 sous l’impulsion du Dalaï-Lama pour promouvoir le dialogue science-bouddhisme, la neurophénoménologie et la pratique de la Mindfulness – de recevoir des dons annuels en provenance de la Kemmerer Family Foundation depuis au moins 10 ans, cette dernière étant dès lors considérée comme Vision Partner.
C’était 100’000 $ en 2019.
Cela n’empêche pas non plus Mme Kemmerer (la soeur de la fratrie) de siéger au sein de son conseil d’administration.
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Passons à la Riordan Family Foundation, entité liée à la fortune d’un ancien magnat du papier. Initialement ingénieur dans le domaine des RH, son MBA en poche, M. Riordan suit l’appel paternel et devient dès 1997 président et directeur des opérations de la Fort Howard puis Fort James Corporation.
Il s’agit au tournant de l’an 2000 du plus grand fabricant de papier tissu aux États-Unis, rachetée en 2000 par Georgia-Pacific – un des plus importants fabricants et distributeurs actuels de distributeurs de papiers, mouchoirs, essuie-mains, papier toilette, emballages et produits chimiques associés – pour la somme de 11 milliards $.
Riordan devient ensuite président et CEO de la société Paragon Trade Brands, autre géant-fabricant de distributeur à papier vendant jusqu’à 1/4 de sa production à Walmart, avant que celle-ci ne soit rachetée en 2002 par un autre géant du secteur.
La fondation en question est donc créée la même année. Elle redistribue annuellement environ 620’000 $ notamment à des hôpitaux, des institutions médico-sociales et des écoles, dont plusieurs d’obédience chrétienne et/ou axées sur les approches holistiques, ainsi qu’à des églises.
Depuis 2018, la donation la plus importante revient de loin au Mind and Life Institute. C’était 100’000 $ en 2020.
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Fondateur et propriétaire dirigeant de la maison d’édition TASCHEN, collectionneur d’art contemporain, l’Allemand Benedikt Taschen étend sa société au segment du luxe dès la fin des années ’90, notamment en publiant des éditions en série limitée ainsi que des monographies monumentales. Vendu à partir de 10'000 €, l’ouvrage édité en collaboration avec le Dalaï-Lama – fruit de près de 10 ans de travail – rassemble des photos de fresques tibétaines millénaires.
Le site internet de l’éditeur précise que “chaque exemplaire a été béni et signé par Sa Sainteté [et] en signe de gratitude, TASCHEN a fait un don [de plus de 100’000 $ en 2019, ndlr] au Mind & Life Institute de la part de Sa Sainteté [afin de répondre] aux défis de la vie avec plus de colère et moins de résilience, plus de compassion.”
Remarque : soulignons, comme indiqué ci-dessus, qu’il semble bien s’agir d’une donation effectuée via une fondation liée au Dalaï-Lama (sur laquelle nous reviendrons), et ce pour l’année 2019 uniquement. L’occasion de préciser ici que la période prise en compte dans cette mini-série – à l’exception du dernier portrait – sont les années 2019 et 2020.
Revenant sur son premier séjour aux États-Unis, M. Taschen avait un jour déclaré dans une interview :
“Tout me semblait très familier. J’avais tout appris de la société capitaliste avec les aventures de Donald Duck et cela m’a beaucoup servi par la suite !”
L’occasion peut-être d’entrevoir la vidéo-teaser de ce magnifique ouvrage d’un autre oeil :
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L’entrepreneur irano-franco-américain Pierre Omidyar est le très discret fondateur du site de commerce en ligne eBay et propriétaire du service de paiement en ligne PayPal entre 2002 et 2015.
On ignore souvent qu’il a aussi massivement financé un média en ligne servant de plateforme pour présenter les révélations d’Edward Snowden sur les programmes de surveillance de masse (archives dont il se sépare en 2019 et dont il est dit que moins de 10 % ont été exposés au grand jour).
Avec une fortune estimée à 23,8 milliards $ (vous avez bien lu), vivant totalement reclus dans sa propriété à Hawaï, il pilote ses actions philanthropiques notamment dans le domaine de la microfinance et de la promotion du bouddhisme.
C’est en effet un fervent adepte du Dalaï-Lama et un proche de Tenzin Dhonden, émissaire personnel de Sa Sainteté aux États-Unis, démis de ses fonctions en 2017 pour cause de corruption et comportements déviants.
À la tête d’un vaste empire philanthropique incluant entre autres Omidyar Network – près d’un milliard $ de donations depuis 2004 – et Omidyar Foundation, le génie discret de la Silicon Valley soutient également la recherche et la promotion de la Mindfulness en contribuant au Mind and Life Institute.
C’était entre 50’000 et 100’000 $ en 2019 (plus de précision par la suite).
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Directeur général de sa propre société d’investissement spécialisée en capital-risque et capital-investissement (RBG Capital Advisors), membre du conseil d’administration de Marriott Vacations Worldwide, Raymond Gellein a notamment été président du conseil d’administration et CEO de Strategic Hotels & Resorts, une société de gestion immobilière d’hôtels de luxe américain, acquise en 2015 par le fonds d’investissement Blackstone pour 6 milliards $.
Il a aussi occupé la fonction de président du développement de Starwood, autre groupe hôtelier et de loisirs acquis en 2016 par Marriott pour 12,2 milliards $ – ce qui en fait le plus gros groupe hôtelier mondial (avec 5500 hôtels).
Passionné de Mindfulness et de ses échanges avec le Dalaï-Lama (pour qui il a co-produit un film), Mr. Gellein était vice-président et membre du conseil d’administration du Mind and Life Institute de 2010 à 2021, mais aussi un de ses principaux donateurs (ce n’est pas le seul à avoir cette double casquette).
C’était 100’000 $ en 2020.
Actuellement membre du conseil d’administration de la fondation Compassion Institute dirigée par Thupten Jinpa (traducteur anglais du Dalaï-Lama), notre manager en hôtellerie expliquait dans une interview être “passionnément engagé dans la façon d’introduire la Mindfulness […] dans les écoles et les universités” mais aussi que…
“… Dialoguer avec Sa Sainteté le Dalaï-Lama a été une expérience de vie merveilleuse et enrichissante”.
La fondation en question est brièvement mentionnée dans ce fil Twitter sur le Conscious Food Systems Alliance du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Une preuve de plus s’il en est que le débat dépasse largement le cadre nord-américain.
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Au moment de son décès, Samuel B. Hanser* est un jeune diplômé en “psychothérapies somatiques” du California Institute of Integral Studies“ et rêve de “développer un centre qui proposerait des thérapies holistiques intégrées”. En plus de ses compétences en design d’intérieur, il espérait en effet construire “une clinique de guérison et d’autonomisation basée sur ses récentes études sur la spiritualité, le conseil et la pratique corps-esprit” [en anglais : mind-body].
En effet, “grâce à sa propre exploration du travail énergétique et des pratiques corps-esprit, il avait découvert que la méditation et l’introspection étaient de puissants outils de guérison”.
“La vision de Sam inspire Mind & Life à continuer à favoriser l’épanouissement et l’interconnexion, à comprendre comment chacun de nous fait partie de quelque chose de beaucoup plus grand.”
*Toutes les citations issues du site internet du “Mind and Life Institute”.
Difficile d’en savoir davantage sur cette énigmatique fondation – le “Samuel B. Hanser Memorial Trust” – si ce n’est que la mère du défunt, Suzanne Hanser, est professeure émérite et fondatrice du Département de musicothérapie du Berklee College of Music (Boston, USA). Son beau-père, Alan Teperow, a lui occupé plusieurs hautes fonctions dirigeantes au sein de sa communauté religieuse et est aujourd’hui un des administrateurs de la fondation aux côtés de son épouse et de ses belles-filles.
Une fondation familiale qui effectue annuellement quelques dizaines de milliers de dollars de dons (de 0 à 65'000 $ selon les années) à destination d’un centre de jeunesse et de yoga ainsi que du California Institute of Integral Studies cité plus haut. Depuis 2020, 25'000 $ alimentent également annuellement le “Mind and Life Institute” dans le cadre d’un partenariat et l’octroi de la bourse PEACE Grants (voir encadré ci-après). Dans son rapport annuel 2019, ce sont donc plus de 100'000 $ qui viennent remplir les caisses de l’institut – la plus importante contribution du “Samuel B. Hanser Memorial Trust” depuis sa création.
“Peu importe où nous nous trouvons, les choses peuvent s’améliorer et nous sommes profondément soutenus par quelque chose de bien plus grand que nous.” – Samuel B. Hanser
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La Tides Foundation est une association à but non lucratif peu connue du grand public, considérée comme idéologiquement positionnée au centre-gauche (libéral) de l’échiquier politique. Elle agit en tant que “sponsor fiscal” pour faire avancer des “causes progressistes et des initiatives politiques dans des domaines tels que l’environnement, la santé, les questions de travail, les droits des migrants, les droits LGBTQ+, les droits des femmes et les droits humains”. Concrètement, la fondation propose des services de conseils aux donateurs et distribue les fonds alloués de manière anonyme.
Parmi les bénéficiaires, citons notamment les mouvements et organisations Occupy Wall Street, Wikimedia Foundation, The environmentalist League of Conservation Voters, Black Lives Matter Global Network Foundation, America Votes, des groupes de défense pour l’avortement, de représentation de salariés, mais aussi de nombreuses actions en faveur des collectivités locales, etc. Parmi ses contributeurs les plus connus : les fondations Ford, Rockefeller, Kellogg ou encore Open Society.
Aucun portrait ne peut être davantage précisé ici dans la mesure où Tides n’est pas légalement tenu de divulguer l’identité de ses donateurs et où la plupart d’entre eux préfèrent rester masqués. De l’argent progressiste tout en étant anonyme, donc, qualifié par certains adversaires politiques (conservateurs ?) comme du dark money, c’est-à-dire des financements provenant de discrètes organisations – de gauche comme de droite – tentant par là de marquer le processus démocratique de leur empreinte.
Considérations sur la provenance des fonds mises à part : avec un actif qui dépasse le milliard de dollars en 2021 (dont 600 millions $ distribués au total en 2020), la fondation basée à San Francisco contribue annuellement au “Mind and Life Institute” en versant des sommes atteignant parfois le million de dollars (comme en 2012 et 2013).
C’était 600'000 $ en 2019 et 2020.
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Le réalisateur américain Barry J. Hershey débute sa carrière dans le cinéma en produisant une poignée de courts métrages spiritualisants portant notamment sur la transcendance (1986), la “réalité profonde”(1987) ou encore Lucifer (1991). Il réalise aussi quelques films (dont certains seront primés) à caractère politique (sur George W. Bush en 2008) et historique (A. Hitler en 2010) notamment.
“Un quintette de courts métrages richement poétiques du cinéaste Barry J. Hershey explorant les intersections de la forme et du fond, de l’apparence et de la réalité, à la fois dans l’art et dans la vie. Dans ces méditations sur la nature paradoxale de la perception elle-même, nous sommes invités à faire l’expérience d’une révélation spirituelle qui est parfois étonnamment choquante et pourtant doucement réaffirmante.” – Descriptif officiel (traduit) de “Quintessence”
Membre du conseil d’administration du “Mind and Life Institute” depuis 2012, il produit plus récemment une série de courts-métrages sur le réchauffement climatique en compagnie de l’acteur Richard Gere – lui aussi grand admirateur du Dalaï-Lama et auditeur des Dialogues du “Mind and Life” – permettant pour l’occasion à la militante pour le climat Greta Thunberg d’apparaître dans le giron de l’organisation, le temps d’une conversation sur Zoom.
Relevons encore que Barry est aussi le producteur exécutif du film-documentaire The Dalai Lama: Scientist (2019) dont nous parlions plus haut et dans lequel on retrouve logiquement tous les proches du “Mind and Life” (Matthieu Ricard y compris).
Sans être à même de remonter à l’origine de sa fortune, mentionnons ici avec précaution l’existence d’une branche de la famille Hershey, contemporaine de celle de Barry, qui saura faire fructifier le business paternel : en effet, une dénommée “Capitol American Financial Corporation”, société cotée en bourse considérée à l’époque comme l’un des plus importants acteurs de l’industrie des assurances-vie aux Etats-Unis, est vendue en 1997 pour la somme de 650 millions $ au groupe Conseco (aujourd’hui CNO Financial Group).
Mais intéressons-nous de plus près à l’une des fondations de la famille, à savoir la “Hershey Family Foundation” dirigée par le couple Barry et Connie (à ne pas confondre avec la “Hershey Foundation” liée à la même famille et dont les bénéficiaires se recoupent parfois). Ses activités philanthropiques consistent en une cinquantaine de dons à destination d’organisations aux activités très louables, telles que des universités et bibliothèques, impliquant entre autres de la food education, une banque alimentaire, de l’assistance aux personnes en situation de précarité ou encore de l’aide aux pays en développement.
Mentionnons aussi les centaines de milliers de dollars annuels au bénéfice d’écoles Montessori – dont certaines finissent par porter officiellement le nom de la famille – et encore d’autres centaines de milliers à destination d’un centre zen, d’un centre de “formation spirituelle”, d’une “Divinity School”, d’un institut de “Dharma Studies”, d’une “Meditation School”, d’une “Insight Meditation Society”, de divers programmes de “Prison Mindfulness”, “Compassion” et “Character Education”, de la “contemplative research”, de la “Mindfulness Education”, des “Buddhist Studies”, de maisons d’édition (“Wisdom Publication”, “Institute of Tibetan Classics”, traduction des oeuvres de Thupten Jinpa et Zopa Rinpoche), d’un think tank sur la pensée du Dalaï-Lama, de diverses causes tibétaines, népalaises, indiennes, etc.
Au total, pour l’année 2019, ce sont près de 3,1 millions $ – plus de la moitié de la totalité des dons versés – que se partagent différentes organisations et fondations actives dans la pratique/promotion/recherche de la Mindfulness, du bouddhisme, de la spiritualité et des études contemplatives. A noter que ce chiffre n‘inclut pas les donations versées à titre de participation aux “frais généraux” de certaines universités, comme ces 275’000 $ dont bénéficie l’University of Wisconsin-Madison, siège du laboratoire d’un des pontes du “Mind and Life Institute”.
Et vous, que feriez-vous avec 5,7 millions d’euros à redistribuer chaque année ? Le couple Hershey a lui choisi d’être un important contributeur annuel du “Mind and Life Institute” notamment à travers son soutien aux Francisco J. Varela Research Awards, une des principales bourses accordées par l’organisation aux chercheurs du monde entier.
C’était 1,3 million $ en 2019 (y compris 432'000 $ pour 2020).
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Approchons l’avant-dernier portrait d’une manière quelque peu différente : sur les derniers rapports annuels du “Mind and Life Institute” apparaissent deux donateurs dont le nom n’est pas divulgué (des Vision Partners = don de plus de 100'000 $). Les documents du fisc américain (IRS) ne révèlent pas non plus ces mystérieux contributeurs, si ce n’est une adresse postale.
Celle-ci nous emmène dans la ville de Zurich, capitale économique de la Suisse et siège de l’Ecole Polytechnique fédérale (ETHZ), souvent classée parmi les meilleures institutions de formation au monde.
Une école qui semble justement représenter un point d’attraction pour notre contributeur dont l’adresse physique est, comme son nom l’indique, située à quelques pas du campus.
En tapant cette même adresse sur Google apparaissent un fournisseur d’électricité, un fournisseur d’équipement d’énergie solaire, une entreprise de construction, un salon de massage thaï et… une fondation liée au Dalaï-Lama.
Le terme Ganden Phodrang (ou Gaden selon la translittération choisie) renvoie au type de gouvernement tibétain mis en place en 1642 qui consistait en une “union des fonctions spirituelle et temporelle”. C’est aussi le nom du système de gouvernement en exil proclamé par le Dalaï-Lama depuis la ville de Dharamsala, en Inde, en 1959.
Un système politique liant sphère religieuse et sphère politique qui proclamait donc une “obligation politico-religieuse de la foi et de l’allégeance” à l’égard du Dalaï-lama, et ce jusqu’à sa retraite officielle des affaires politiques en 2011 (et son souhait affiché de laïciser les institutions). L’administration tibétaine est aujourd’hui une entité para-étatique qui n’est reconnue par aucun État mais qui représente un appareil institutionnel et législatif étendu, notamment en ce qui concerne la diaspora tibétaine (dont la plupart de ses membres en Europe se trouvent être en… Suisse).
Revenons à notre fondation : la Gaden Phodrang Foundation of the Dalai Lama se donne pour objectif de “maintenir et soutenir la tradition et l’institution du Dalaï-Lama en ce qui concerne ses devoirs religieux et spirituels”. Elle promeut le maintien de la culture tibétaine et le soutien du peuple tibétain mais “aussi d’autres personnes dans le besoin”, en réalisant des dons d’aide d’urgence dans les zones de crise humanitaire.
Elle encourage également “les valeurs et les devoirs auxquels Sa Sainteté le 14e Dalaï-Lama s’est engagé”, à savoir “la promotion des valeurs humaines fondamentales ; d’une compréhension et d’une harmonie plus étroites entre les religions du monde; de la paix et du principe de non-violence ; de la protection de l’environnement mais aussi du dialogue entre la science et la religion”.
Sur ce dernier sujet (sur lequel nous revenons dans le cadre du dernier portrait ci-dessous), nous apprenons encore que, depuis sa création, la fondation a financé et organisé de nombreux projets, conférences et séminaires visant à “promouvoir une meilleure compréhension entre science et religion, […] fournir un accès aux connaissances issues de la science et de la philosophie bouddhistes et [offrir] un large éventail de travaux de traduction et de publications”.
Situation d’autant plus vraisemblable lorsque l’on sait qu’il est le co-fondateur, aux côtés du neurobiologiste chilien Francisco Varela et de l’avocat et “entrepreneur social” nord-américain R. Adam Engle, des Dialogues – ces échanges annuels entre le Dalaï-Lama et d’éminents chercheurs portant sur des thèmes tels que l’éthique, l’altruisme, la compassion, le leadership, l’écologie, les addictions, la neuroplasticité, etc.
Initiés en 1987, ils seront à l’origine, 3 ans plus tard, de la création du “Mind and Life Institute” qui se donnera notamment pour mission d’“intégrer neurosciences et bouddhisme” dans un cursus de “sciences contemplatives”. L’Ecole Polytechnique de Zurich y avait d’ailleurs déjà ses aficionados…
Résumons : selon toute vraisemblance, l’un des plus importants contributeurs du “Mind and Life Institute” n’est donc autre qu’une fondation présidée par le Dalaï-Lama en personne et liée au soft power tibétain.
Pourquoi cette volonté de ne pas communiquer sur son identité ? C’est pourtant l’un des plus importants donateurs de l’institut avec 620'000 $ en 2019 (772'000 $ en 2020), sur un total de 3,3 millions $ de revenus durant cette même année (2,4 millions $ en 2020, sans les subventions publiques).
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Le dernier portrait de notre mini-série de l’été : une fondation parmi les plus importants bailleurs de fonds de la lutte anti-IVG, climatosceptique et anti-LGBT aux Etats-Unis et en Europe. Une contribution au “Mind and Life” d’environ 2 millions $ entre 2005 et 2015.
A SUIVRE…
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Par Free Binder, juin–août 2022. Suivre sur Twitter.
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