Le combat à deux épées au Moyen Âge, invention ou réalité?

HistOuRien
10 min readMar 29, 2017

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Nous avons tous dans notre imaginaire le souvenir d’un combattant badasse brandissant deux épées et tranchant dans ses ennemis en effectuant quelques mouvements stylisés et pirouettes entre chaque coup asséné avec facilité. Toutefois, entre les mythes propagés par le cinéma et les jeux vidéos et la réalité il y a parfois un fossé qu’il est préférable de ne pas franchir dans la reconstitution historique. C’est pourquoi nous allons étudier ici la réalité au Moyen-Âge d’un combat qui supposerait le maniement d’une épée dans chaque main.

Afin de définir l’historicité d’un élément il est nécessaire de se baser d’une part sur la raison qui peut apporter quelques pistes de réponses. Cependant, celle-ci risque parfois d’induire en erreur car ce qui nous semble évident ou logique aujourd’hui ne constitue pas forcément une réalité dans le passé. On ne peut déduire des faits sans les replacer dans leur contexte culturel, social, économique ou religieux. D’autre part, et prioritairement, il est capital de trouver des témoignages écrits, iconographiques ou matériels qui appuient le propos et tendent à prouver l’existence de l’élément recherché.

Pour ce qui est du combat à deux épées, il n’existe, à ma connaissance, que deux occurrences iconographiques de cette pratique au Moyen-Âge. Il s’agit, pour commencer, d’une miniature purement décorative ornant le bas d’un manuscrit qui porte sur les Décrétales du pape Grégoire IX et qui fut rédigé à la fin du XIIIe siècle (voir supra). Toutefois, comme je l’avais précisé dans mon article “[…] comment aborder l’iconographie médiévale?” les représentations des manuscrits ne sont pas toujours fiables et demeurent donc sujettes à caution. Pourtant, si l’on admet que cette décoration possède un fond de vérité, nous y observons deux personnages en habits civils, l’un armé d’une sorte de masse ou d’un gourdin (peut-être orné d’une croix) avec un bouclier et l’autre arborant effectivement une épée dans chaque main. Il me semble que cela fait penser à un contexte très particulier : celui du combat civil ou judiciaire ritualisé (jugement de Dieu). En effet, ce dernier était régi par des règles particulières (et parfois étonnantes) qui octroyaient un certain type d’arme et, parfois, un malus ou un bonus à l’un des participants, selon la nature du litige qui les opposait. Le manuscrit de Talhoffer en donne d’ailleurs un bon aperçu dans l’affrontement entre un homme dans un trou et une femme, par exemple (voir ci-contre).

Dans le cadre d’un combat judiciaire, le maniement de deux épées ne serait représentatif que d’une situation extrêmement limitée et serait, peut-être, la manifestation, le symbole du litige qui oppose les deux combattants. Celui des deux maniant la masse et le bouclier, ne pouvant faire couler le sang (enfin tout est relatif), pourrait combattre pour l’Eglise ou serait peut-être lui-même un ecclésiastique (ce qui pourrait expliquer ce qui ressemble à une croix sur son arme) tandis que l’autre, maniant les deux armes, serait “doublement capable de faire couler le sang” mais sans aucun moyen de défense. Toutefois, ce ne sont que des conjectures sans réelles preuves et cette image n’est peut-être qu’une représentation allégorique ou, tout simplement irréaliste tirée de l’imagination de l’enlumineur. Ceci semble être confirmé par les décorations plutôt surréalistes des autres folios du manuscrit. Nous allons donc devoir nous pencher sur d’autres documents. Toutefois, ceux-ci ne sont pas nombreux.

La deuxième occurrence est issue d’un autre manuscrit, lui aussi daté de la fin du XIIIe siècle, présentant un personnage en habits civils menaçant ou attaquant de ses deux épées une sorte de démon à corps humain ou d’homme à tête d’animal (peut-être un loup-garou?). Il s’agit ici d’un contexte issu de l’imaginaire. D’ailleurs, cette miniature, qui n’a aucun lien avec le texte du manuscrit, décore un document relatant la légende arthurienne. Le monstre nu semble être apeuré. Il se pourrait que le personnage lui ait pris son arme ce qui expliquerait que les deux épées n’aient pas le même type de garde. Quoi qu’il en soit, encore une fois, cette miniature est peut-être, elle aussi, issue de l’imagination de son auteur. Il est cependant intéressant de souligner que les deux représentations du maniement de deux épées sont également datées de la fin du XIIIe siècle. De plus, les “pratiquants” de cette technique sont représentés en habits civils.

Il n’existe, à ma connaissance, aucun texte ou chronique mentionnant la pratique du maniement de deux épées. Les traités illustrant ce qui se rapproche le plus du combat à deux épées apparaissent à la fin du Moyen-Âge - début des Temps Modernes et nous montrent des combattants maniant des lames plus fines et surtout asymétriques (ex. : traités de Marozzo et de Manciolino). En réalité, il ne s’agit pas de deux épées mais bien d’une rapière et d’une “main-gauche”, sorte de dague ou de poignard. Cependant, cela ne rentre pas réellement en ligne de compte dans ce qui nous intéresse ici. Toutefois, cette pratique pourrait donner des pistes d’explication pour mieux appréhender les raisons pour lesquelles le maniement de deux épées est absent des textes et presque totalement de l’iconographie.

Pour moi, si la pratique du combat à deux épées a bien existé, elle n’avait cours que dans le contexte du combat civil et même judiciaire, dans le cadre de règles particulières. Toutefois, encore une fois, nous n’avons aucune preuve pour l’attester. Pour ma part, sauf s’il y est forcé par une loi contraignante, en aucun cas un combattant ne choisira de renoncer à un bouclier pour une deuxième épée. En effet, il me semble que pour bien évaluer l’efficacité de l’emploi d’une arme ou d’une technique au combat il faut la juger à l’aune de l’équilibre qu’elle propose entre attaque et défense. Chaque technique présente ses avantages et ses inconvénients qui privilégie un point par rapport à l’autre. En ce qui me concerne, l’avantage offensif que procure la deuxième lame ne compense pas le manque défensif dû à l’absence de bouclier ou l’impossibilité de manier une épée plus longue (bâtarde) avec la technique de la demi-épée.

Pour ce qui est du combat militaire de masse, il me semble que le constat reste le même : le maniement de deux épées demeure une erreur technique. Effectivement, il faut replacer la pratique dans le contexte du champ de bataille médiéval. Pour ce faire, l’on peut diviser le Moyen-Âge en deux périodes qui s’entremêlent mais qui changent aussi la manière d’appréhender le combat : celle où la maille domine le monde de la guerre et celle où l’armure de plate commence à s’imposer. La cotte de maille s’impose surtout à partir du XIe siècle sur les champs de bataille médiévaux mais existait déjà auparavant. Elle va progressivement être complétée par des pièces d’armure de plate et se raccourcir pour finalement se trouver totalement couverte ou complétée au maximum par le “harnois blanc” au milieu du XIVe siècle (voir article “Y a-t-il mailles qui m’aillent […]”). Or la défense de mailles était associée à un bouclier, long au départ (en amende) qui va lui aussi se raccourcir, puis finalement disparaître à mesure que les pièces de plates vont venir couvrir les membres de l’homme d’armes.

Aujourd’hui, nous pratiquons l’escrime médiévale comme nous pratiquons un sport, sans peur d’être touché et donc blessé ou tué. L’importance de l’efficacité défensive s’efface donc face à la confiance que nous portons à nos compagnons et à leurs arrêts de coups. Qui plus est, le style prend parfois la place du réalisme et de l’efficacité. Cependant, il n’en allait pas de même au Moyen-Âge et excepté certains inconscients, l’instinct de préservation dictait le comportement de la plupart des combattants.

Les éléments de protection vont donc connaitre un perfectionnement tout au long du Moyen-Âge. Or il est excessivement compliqué de percer cette défense sans s’exposer soi-même aux coups de l’adversaire. Jusqu’à l’emploi de l’épée bâtarde et à l’abandon du bouclier, le maniement de deux épées prive le combattant de ce dernier et donc d’une partie de cette défense. De plus, le haubert ou haubergeon de mailles avec anneaux rivetés ne peut être traversé que par un coup d’estoc ou par une frappe particulièrement puissante (voir article “5 erreurs récurrentes dans la reproduction du combat médiéval […]”) ce qu’il n’est pas si aisé à placer avec deux épées quand l’adversaire brandit un bouclier (voir article “5 raisons de choisir une épée courte à une main […]”). Il me semble que le combat à deux épées rend plus aisé les frappes de taillant et s’adapte donc mieux dans le cas où on affronte un adversaire sans protection de mailles, c’est-à-dire le combat civil.

De même, quand le bouclier fut rendu inutile par l’adoption de l’armure complète, l’épée bâtarde remplaça le binôme épée courte/bouclier sans y sacrifier la défense. Or, ici encore, pour percer cette protection efficace il est préférable de chercher le défaut de l’armure avec des coups d’estoc. Ceci explique l’emploi de la technique de demi-épée qui permet le combat rapproché, un contrôle de sa lame et une meilleure visée dans les interstices (voir article “10 raisons de préférer une épée bâtarde une main et demie […]”). L’épée une-main-et-demie permet aussi une meilleure allonge si ça s’avère nécessaire (contre des combattants aux protections corporelles moins efficaces, par exemple). Or le maniement de deux épées prive le combattant de cette allonge et de la capacité de saisir une épée à deux mains pour le combat rapproché. Sans considérer que le maniement de deux épées privilégie certainement les coups de taille par rapport aux coups d’estoc. Qui plus est, il doit être très complexe de manœuvrer deux épées au sein d’une mêlée côte à côte avec ses alliés.

Au final, il me semble que l’on peut dire que, excepté dans certaines situations précises, le maniement de deux épées en même temps n’a existé dans l’occident médiéval que dans un cadre extrêmement limité. Le manque de sources et un raisonnement sur les pratiques de combat de ce temps nous ont conduit à cette triste conclusion. La pratique de deux épées demeure donc un élément stylisé attaché à notre imaginaire médiéval mais sans réels fondements historiques solides.

Et vous? Quelle est votre opinion? Pensez-vous que le combat à deux épées a été davantage pratiqué? Connaissez-vous d’autres sources qui pourraient changer notre vision du combat à deux épées? N’hésitez pas à faire vos commentaires et à en débattre. Si vous avez aimé cet article n’hésitez pas à le partager, à le liker et faites un tour sur ma page facebook.

Un grand merci à Marc Muscadel du magasin de matériel médiéval Rêves d’Acier qui avait déjà effectué une recherche sur le sujet du combat à deux armes et qui, en plus d’une discussion très intéressante, m’a fourni les deux illustrations de manuscrits et leurs références.

Si, comme moi, vous êtes passionnés d’Histoire militaire médiévale, vous pouvez aussi aller voir cette bibliographie non-exhaustive d’Histoire militaire médiévale.

Vous pouvez aussi acquérir ces ouvrages de référence dans le domaine :

Références :

Manuscrit des Décrétales du pape Grégoire IX, Tours BM MS.568, Bibliothèque municipale de Tours, daté de 1280.

HANS TALHOFFER, Manuscrit de Gotha, BSB Cod.icon. 394 a, Bayerische Staatsbibliothek, Munich, daté de 1467.

Manuscrit de l’Histoire du Saint Graal / Histoire de Merlin, BNF Français 95, Bibliothèque Nationale, Paris, daté de 1280–1290.

Dans l’ordre, illustrations tirées du manuscrit des Décrétales du pape Grégoire IX, f°193r ; du Manuscrit de Gotha de Hans Talhoffer, f°124r et 124v et de l’Histoire du Saint Graal / Histoire de Merlin, f°199v.

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