Les conditions et ressources pour entreprendre — #5 Extrait du mémoire de fin d’étude de YMJ

Yann-marie Johnson
19 min readMar 25, 2022

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C’EST BIENTÔT L’ATTERRISSAGE🚩

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Pour rappel, je m’étais lancé dans cette série d’articles pour vous partager les résultats de recherches et références théoriques issues de mon mémoire de fin d’étude. 4 extraits ont déjà été publiés auparavant et celui-ci sera certainement parmi les derniers, avec la bibliographie à venir.

Avant de vous lancer dans la lecture de ce cinquième extrait et pour vous assurer de suivre le fil, n’hésitez pas à consulter:

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ET, MAINTENANT ON PEUT CONTINUER. BONNE LECTURE!

Le capital psychologique de l’entrepreneur

Luthans, Avolio, Avey et Norman (2007) ont défini le capital psychologique comme étant l’” état de développement psychologique positif d’un individu caractérisé par une forte confiance en soi”. Cette confiance en soi est nécessaire pour se motiver à atteindre les objectifs qu’on se fixe, faire preuve de résilience face aux difficultés et persévérer pour réussir. L’exemple de Thomas Edison est souvent cité pour illustrer le capital psychologique. Malgré plusieurs tentatives infructueuses, ce dernier a su faire preuve de résilience et garder espoir jusqu’à atteindre son objectif, il dira d’ailleurs “Je n’ai pas échoué, j’ai juste trouvé 10000 moyens qui ne fonctionnent pas”.

Le capital psychologique serait composé de 4 sous-dimensions : l’auto-efficacité, l’optimisme, l’espoir et la résilience. L’auto-efficacité désigne la croyance de l’individu qui est certain d’avoir les capacités pour accomplir une tâche ou un objectif (Bandura, 1986). L’individu sent qu’il a les compétences ou ressources nécessaires pour réussir et surmonter les obstacles. Cette notion d’efficacité a également été prise en compte dans l’analyse de Shane et Venkataraman (2000). Ces derniers ont suggéré que pour que l’entrepreneur puisse identifier et exploiter l’opportunité, il est nécessaire qu’il possède les compétences, les ressources et les relations requises. L’auto-efficacité peut donc être vue comme une prise de conscience par l’entrepreneur du fait qu’il dispose des ressources pour mener à bien son projet. Plusieurs auteurs ont montré l’influence de ce sentiment d’auto-efficacité sur la motivation, la résilience et sur les performances économiques de l’entreprise (Mazra, Braune, Teulon, 2010). La littérature a également suggéré que le sentiment d’auto-efficacité peut être renforcé par le capital humain et le capital social (Khelil, 2018 ; Mazra & al, 2010).

L’optimisme quant à lui se définit comme une aptitude à envisager des événements positifs plutôt que négatifs lorsqu’on se projette dans le futur. L’individu optimiste a donc tendance à être plus motivé et plus résilient car il s’attend à un dénouement heureux contrairement à celui qui est pessimiste. Concernant l’espoir, Snyder, Irving et Andreson (1991), l’ont conceptualisé “ comme un processus cognitif ciblé qui porte sur la production d’objectifs clairs, les voies pour atteindre ces objectifs et la capacité d’agir en conséquence “. Enfin, la résilience désigne un processus qui permet de se reconstruire et une qualité qui favorise le rebond de l’entrepreneur à la suite d’un échec ou face à une situation difficile.

Dans leur article Mazra et al (2019), soulignent que les auteurs qui ont considéré le capital psychologique du dirigeant comme une variable qui influe sur la croissance des entreprises ont obtenu des résultats moins aléatoires et plus significatifs que ceux qui se sont intéressés à d’autres variables telles que l’âge, le genre, le niveau d’étude ou encore les expériences précédentes. Il y a donc une influence de la confiance en soi du dirigeant sur la performance de l’entreprise.

Le capital psychologique est souvent interprété à travers la motivation de l’entrepreneur et sa détermination à persister. Lorsqu’on a une approche motivationnelle, on peut même interpréter l’absence ou la dégradation du capital psychologique comme un signe d’échec de l’entrepreneur. Plusieurs auteurs se sont intéressés aux facteurs et conditions qui renforcent ou au contraire amoindrissent le capital psychologique de l’entrepreneur. Comme cela fut mentionné auparavant, Cooper & Artz (1995) ont montré que la satisfaction de l’entrepreneur par rapport à ses attentes initiales renforce sa volonté de poursuivre l’aventure entrepreneurial avec espoir et en faisant preuve de résilience. Le capital psychologique se renforce donc lorsque les résultats obtenus correspondent à ceux qui étaient attendus. Cela montre l’importance pour l’entrepreneur de définir clairement ses objectifs, idéalement sur des critères mesurables, avant de se lancer. Attention cependant à ne pas se fixer des objectifs trop élevés car si l’écart avec la réalité se révèle important, l’insatisfaction sera au rendez-vous. En effet, il faut préciser que l’excès d’optimisme peut conduire à des échecs retentissants car les individus se sont fixé des objectifs démesurés (Mazra et al, 2019). Il en va de même pour l’excès d’espoir ou d’auto-efficacité qui peuvent pousser l’entrepreneur à avoir des attentes surréalistes au point de finir par être déçu par des résultats qu’il juge en deçà de ses capacités.

Par ailleurs, plusieurs auteurs ont suggéré qu’il y a une influence des motivations de l’entrepreneur sur les performances de son entreprise. Dans ces travaux récents, Khelil (2018) a établie 2 catégories de motivations : “ (1) les motivations économiques versus celles qui sont non-économiques ; (2) les motivations Push ou de pression (sortir du chômage, créer son propre emploi, etc.) versus les motivations Pull ou d’attraction (développer de nouveaux produits/services, développer de nouveaux procédés de fabrication, etc.)”. En mentionnant les travaux de Murphy et Callaway, Khelil montre que les entrepreneurs qui ont des motivations d’attraction s’investissent davantage dans leur entreprise et sont moins enclins à la vendre ou à faire une cessation volontaire d’activité. De la même manière, les entrepreneurs qui ont d’abord des motivations non-économiques seraient davantage satisfaits et plus résilients face aux difficultés. Les travaux de Khelil n’ont pas confirmé l’influence des motivations sur la performance des entreprises, en revanche ils ont permis de démontrer qu’il y a un impact des motivations sur la satisfaction de l’entrepreneur et donc d’une certaine manière sur son capital psychologique. La défaillance du capital psychologique peut quant à elle s’observer à travers les périodes de doutes de l’entrepreneur qui peuvent parfois conduire à l’abandon du projet (Valéau, 2006) et donc introduire la notion d’échec.

1.1.2. Le capital humain de l’entrepreneur et de l’entreprise

Dans la littérature, le capital humain désigne les connaissances, compétences et expériences du porteur de projet et de son équipe. Généralement les auteurs s’y intéressent à l’échelle de l’entreprise via le niveau de qualification des salariés et autres collaborateurs qui va influencer la performance ou le niveau d’innovation dans un environnement concurrentiel. Des études ont suggéré que le capital humain devait faire l’objet d’une gestion stratégique de la part des entreprises mais aussi sur le plan macroéconomique au travers des politiques publiques (Lopez, Jubenot, Feige, 2018). Néanmoins la littérature précise que ce capital humain de l’organisation n’en demeure pas moins la somme du capital humain propre à chaque individu. Pour Becker (1993) “ chaque individu est considéré comme un gestionnaire rationnel de son propre capital humain afin d’obtenir par la suite une meilleure situation sociale.”.

Plusieurs auteurs se sont interrogés sur les connaissances ou compétences que l’entrepreneur doit avoir s’il souhaite augmenter ses chances de réussite. Les tentatives pour mettre en place des outils d’évaluation des compétences témoignent d’une volonté de vouloir rendre tangible le capital humain de l’entrepreneur. En limitant leurs études aux entrepreneurs évoluant au sein des incubateurs, Loué et al (2008) ont proposé un référentiel des compétences de l’entrepreneur que l’on peut considérer comme une base d’analyse du capital humain. Les tableaux ci-dessous, extraits de leur étude, recensent différentes compétences qui ont pu être identifiées par la littérature entrepreneuriale.

Extrait 1 des travaux de Loué et al (2008)
Extrait 2 des travaux de Loué et al (2008)

Des études ont montré une influence de la formation, des expériences passées ou encore du statut social, sur les compétences de l’entrepreneur. Les travaux de Omrane & al. (2011) ont quant à eux montré que les compétences ne sont pas toutes mobilisées au même moment du processus entrepreneurial ; certaines le sont au déclenchement du processus, d’autres au moment de l’engagement total de l’individu ou encore aux étapes de survie et développement de l’entreprise créée. Loué & al. (2008), ont insisté sur cette dimension processuelle de la mobilisation des compétences ; d’ailleurs certaines compétences vont être acquises ou se développer seulement dans un second temps de l’aventure entrepreneuriale.

Extrait des travaux de Omrane & al. (2011)

Les compétences de l’individu forment une partie de son capital humain. Ce dernier est également enrichi par le parcours et les expériences précédentes. Ainsi par exemple des études ont montré que les personnes ayant déjà créé une entreprise auparavant ont davantage d’aptitudes et comportements nécessaires pour créer, maintenir et développer l’activité.

Au début, la littérature sur l’entrepreneuriat s’est intéressée au capital humain en ayant une approche par les traits, c’est-à-dire en considérant qu’il y a des traits de personnalité propres aux individus et qui les rendent apte à entreprendre. Avec le temps, cette approche déterministe a laissé place à une analyse du capital humain via les compétences et connaissances que l’entrepreneur mobilise dans son aventure. Malgré l’incapacité des scientifiques à établir un référentiel commun, le changement de paradigme a érigé les informations, connaissances et compétences de l’entrepreneur, comme un facteur contribuant de sa réussite ou de son échec. Cela a également conduit à l’essor des formations et dispositifs de soutien à l’entrepreneuriat pour renforcer ce capital humain.

Le niveau de capital humain peut également être augmenté au travers la formation d’une équipe. Des études ont montré l’influence de l’entrepreneuriat en équipe sur la performance de l’entreprise. La constitution d’une équipe entrepreneuriale permet d’additionner les compétences et ressources de plusieurs personnes pour ainsi augmenter le niveau de capital humain de l’organisation. Les entretiens avec des membres d’équipes réalisés par Moreau (2006), montrent que la constitution d’une équipe peut être motivée par les raisons suivantes : “ une diversification et une accumulation des ressources, l’intelligence du groupe, un sentiment accru de sécurité et une pression des partenaires financiers “. Entreprendre en équipe est vue comme une décision stratégique pour réduire les risques et augmenter les chances de réussite. Il faut d’ailleurs noter que dans la littérature, la réussite dans le cadre de l’entrepreneuriat en équipe est généralement analysée à travers la survie de l’entreprise ou ses performances financières. En effet, le fait qu’il y ait plusieurs individus rend compliqué la prise en compte des indicateurs de réussite personnel et de la satisfaction (Gueguen, 2013).

En tout cas, les travaux de Stam et Schutjens (2006) confirment une influence positive de l’entrepreneuriat en équipe sur le taux de survie des entreprises. Ce dernier est meilleur les trois premières années suivant la création de l’entreprise, en revanche l’effet est moins évident au bout de 5 ans. On pourrait expliquer ce phénomène à partir des travaux de Gueguen, dont les travaux montrent qu’en fonction du niveau de ressources et de moyens engagés par l’entreprise, l’enjeu est plus ou moins élevé et il faut donc une structure décisionnelle et managériale plus ou moins établie. Autrement les crises entre les membres de l’équipe à propos du management et des ressources, ont un impact sur la performance. Dans le même sens, Gueguen (2013) observe que des “moyens financiers importants profitent plus à des entreprises créées en solitaire qu’à des entreprises créées en équipe”. Cette dernière observation permet de suggérer que l’entrepreneuriat en équipe est un facteur de survie ou de performance lorsque le projet d’entreprise souffre d’un déficit de ressources ou que le niveau de risque est important. Dans ces cas-là, la somme du capital social, du capital humain et sans doute du capital psychologique de chacun de membres compense le déficit initial de ressources financières et augmente les chances de réussites. En revanche lorsque les moyens suffisent et que l’apport de ressources supplémentaires n’est pas indispensable, entreprendre en équipe devient risqué notamment sur le plan managérial.

De manière plus générale, Cooper et al (1994) ont démontré que le fait d’avoir des capitaux financiers élevés au démarrage de son activité a un impact réel sur la survie de l’entreprise. Khelil (2018) a confirmé cette analyse en plus de montrer que des capitaux financiers élevés influencent positivement la performance de l’entreprise et par conséquent la satisfaction de l’entrepreneur.

1.1.3. Le capital social de l’entrepreneur

Le capital social est un autre élément qui est souvent mentionné dans la littérature pour expliquer la réussite des entrepreneurs. J. Coleman (1988) a montré qu’il joue un rôle positif à l’échelle de l’individu notamment en termes de carrière ; W. Baker (1990) quant à lui montre qu’il contribue à la performance des entreprises. Le sociologue Pierre Bourdieu est l’un des premiers auteurs à avoir analysé en profondeur le concept de capital social ; il le définit comme “l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance” en d’autres termes “le volume du capital social que possède une personne, peut ainsi être mesuré par l’étendu du réseau des relations qu’il peut mobiliser”.

Ranie-Didice Bah (2008) a rappelé dans ces travaux que pour qu’on puisse parler de capital social, il est nécessaire de mobiliser le réseau de connaissances dans le but d’atteindre un objectif fixé. Dans son analyse théorique, elle a également montré comment l’entrepreneur peut mobiliser son capital social pour faciliter l’accès à certaines ressources. L’étude de Prajapati et Biswas (2011) ont montré qu’il peut avoir un lien entre le réseau de relation d’un entrepreneur et le développement de son entreprise. Celle de Géraudel (2011) quant à elle montre que le fait d’avoir de nombreuses relations en tant que dirigeant permet de réduire voire supprimer les coûts liés à la recherche d’informations et à la prise de décision. D’autres études constatent qu’au-delà du nombre de contacts, la structure du réseau a aussi une importance. Certains réseaux relationnels seraient plus efficaces que d’autres, ainsi par exemple, le fait d’avoir des contacts “non-redondant” c’est-à-dire qui ne donnent pas accès aux mêmes bénéfices, ou encore le fait d’appartenir à un réseau fermé ou les liens sont supposés plus riches et plus forts entre les membres, seraient plus avantageux (Géraudel, 2011). Granovetter (1973) quant à lui distingue les liens forts et les liens faibles. Les premiers correspondent aux liens avec des personnes de notre entourage proche, ils sont considérés comme forts sur la base de 4 critères : la fréquence des contacts, l’intensité émotionnelle, l’intimité et la réciprocité des services rendus. Les liens faibles quant à eux sont ceux où l’intensité émotionnelle, l’intimité ou la fréquence des contacts sont plus faibles. Dans ces travaux, Granovetter (1973) affirme que les liens faibles offrent davantage de bénéfices à l’individu que les liens forts. Sans rentrer dans ce niveau de détails, l’étude de Nimpa, Braune, Teulon (2019) menée sur un échantillon de 4538 entreprises camerounaises non agricoles montre qu’il y a un impact évident du capital social sur la pérennité des entreprises. Leurs travaux confirment l’intérêt de considérer le capital social du dirigeant comme un facteur de survie et de performance des entreprises. L’étude de Paturel, Richomme-Huet et De Freyman (2015), va dans ce sens en montrant que le capital social représente un véritable atout, lorsqu’il fait l’objet d’une organisation et d’une gestion stratégique par exemple pour faciliter l’accès aux compétences.

Dans le cas de l’entrepreneuriat en équipe, la composition et le mode de formation de cette dernière ont une influence sur la performance qu’elle peut réaliser. Certains auteurs se sont intéressés au mode de formation rationnelle avec un choix des associés qui se fait sur la base de critères économiques ou stratégiques en fonction des besoins du projet. D’autres ont analysé la formation des équipes avec une dimension sociale qui pousse à davantage mettre en avant les liens personnels et à favoriser le degré de proximité social dans le choix des collaborateurs. La littérature ne fournit pas d’éléments qui permettent d’affirmer qu’un mode de formation de l’équipe est supérieur à l’autre. En revanche, elle s’accorde pour dire que dans la pratique, la dimension sociale intervient plus que la méthode de formation sur des critères objectifs et stratégique. Granovetter (2000) va jusqu’à considérer la dimension sociale comme primordiale pour assurer la cohésion de l’équipe entrepreneuriale.

1.1.4. Les dispositifs d’accompagnement et de soutien

La littérature concernant l’accompagnement des entrepreneurs est riche. Elle identifie plusieurs formes d’accompagnement et différents types d’acteurs : coachs, mentors, business angels, incubateurs ou autres structures d’accompagnement. Messeghem, Sammut, Temri et St-Jean (2020) ont fait état des transformations de l’accompagnement entrepreneurial ces dernières années. Leur analyse met en avant la diffusion d’une culture startup et la spécialisation des structures qui s’adaptent à la diversité des entrepreneurs et à leur singularité.

Avant tout, il convient de s’intéresser aux raisons qui amènent un entrepreneur à se faire accompagner par un tiers. Pierre, Burret (2014) ont mis en valeur une série d’avantages qui poussent l’entrepreneur à s’orienter vers des structures d’appui. Avec l’analyse du cas des espaces de travail collaboratif, leur travail montre que la possibilité de réseauter et d’interagir avec d’autres acteurs de son écosystème favorise le développement des compétences de l’entrepreneur ainsi que sa compréhension de son environnement et de son métier. Le dispositif d’accompagnement est vu comme un moyen de renforcer son capital social et son capital humain notamment les compétences.

Extrait des travaux de Pierre, Burret (2014)

Redis (2006) s’est intéressé aux incubateurs, il leur a attribué les fonctions suivantes : détecter, accueillir et accompagner les projets de création d’entreprises innovantes. Généralement, le porteur de projet qui rejoint un programme d’incubation est soumis à un processus de sélection. Ce dernier permet à l’incubateur d’évaluer le projet ou son porteur par rapport à des critères préétablis qui tiennent compte des spécificités de son programme d’accompagnement. L’incubation va ensuite permettre au porteur de projet de bénéficier d’un ensemble de moyens humains, matériels ou financiers. On parle ici de porteur de projet car généralement l’entreprise n’est pas encore créée au moment de l’incubation, d’ailleurs elle ne le serait peut-être jamais si le projet venait à prendre fin.

Studdard (2006) note quant à lui que les porteurs de projets peuvent être attirés par la réputation de l’incubateur qui leur permet d’augmenter leur légitimité et leur crédibilité. Ce point est confirmé par l’étude de Messeghem, Sammut (2010) pour qui la stratégie de légitimation peut prendre trois formes : l’improvisation, l’engagement de ressources et le réseautage. La même étude considère la légitimation comme un enjeu pour l’entrepreneur qui veut s’intégrer dans son environnement et ainsi sortir de l’isolement ; elle reconnaît que la structure d’accompagnement peut y contribuer. A travers la structure d’accompagnement l’entrepreneur a la possibilité de renforcer sa crédibilité, sa légitimité mais aussi plus généralement son capital social. La structure d’accompagnement peut également représenter un soutien pour l’entrepreneur durant les périodes de doute. En ce sens ont peut lui reconnaître une influence sur le capital psychologique (Valéau, 2006).

Par ailleurs, la littérature confirme un rôle de formateur des structures d’accompagnement, celles-ci ont pour responsabilité de transmettre des connaissances nouvelles aux entrepreneurs (Becker et Gassmann, 2006). Cette formation permet à l’entrepreneur d’acquérir ou de renforcer les connaissances et compétences qu’il devra mobiliser dans son aventure. Cela signifie que l’accompagnement de l’entrepreneur doit bel et bien contribuer à augmenter son capital humain. Bakkali, Messeghem et Sammut (2010) ont suggéré une liste de compétences que l’accompagnant doit posséder. On y retrouve la capacité à transmettre des connaissances et à mobiliser des savoirs liés à la création d’entreprise et sa gestion au sein d’un environnement. D’autres auteurs ont fait état de l’importance de la qualité de l’accompagnement pour que celui-ci ait un impact sur la réussite de l’entreprise ou de l’entrepreneur. Par exemple, Nkakleu (2018) en observant l’accompagnement des entrepreneurs au Cameroun et au Sénégal, affirme un manque de qualité des prestations et d’implication des principaux acteurs.

Extrait des travaux de Bakkali, Messeghem et Sammut (2010)

Bakkali, Messeghem et Sammut (2015), se sont également penchés sur la problématique de la mesure de la performance des incubateurs. Leur travail a permis de proposer un modèle d’évaluation qu’il serait pertinent de présenter dans le cadre de notre étude théorique. En effet, certains des critères de performances proposés par les auteurs permettraient d’apprécier l’impact de l’accompagnement sur la réussite des entrepreneurs. C’est par exemple le cas du nombre de création/nombre de projets incubés, du développement des compétences des entrepreneurs, du retour à l’emploi des entrepreneurs ou encore du taux de pérennité des entreprises créées. Les études empiriques qui ont éprouvé le modèle de mesure de performance proposé par Bakkali et al (2015) sont rares pour ne pas dire inexistantes. Pourtant leur modèle se révèle très pratique pour mesurer la performance d’un incubateur et la comparer à celle d’autres incubateurs ou structures d’accompagnement.

En considérant les critères de l’axe développement économique et social (Axe 1) comme des conséquences de l’accompagnement qui lui serait pris en compte par les axes incubés (Axe 2), incubation (Axe 3) ou apprentissage-innovation (Axe 4), on pourrait même utiliser ce modèle pour comparer les entreprises qui ont bénéficié d’un accompagnement par rapport à celles dont ce n’est pas le cas. Cette approche nécessiterait cependant d’avoir des critères d’évaluation de l’accompagnement (Axes 2, 3 et 4) plus spécifiques et mesurable. En effet, dans le modèle de Bakkali et al, la mesure est parfois très subjective du fait d’une approche qualitative ; c’est le cas par exemple de l’animation active de l’incubateur ou la mise en relation avec des réseaux d’aides qui pourraient respectivement être appréciés par des indicateurs plus quantitatifs comme le nombre d’événements ou le nombre de mise en relation effectué par l’entrepreneur. En tout cas, lorsqu’on limite l’analyse à un indicateur comme le taux de survie des entreprises créées, des études constatent effectivement un rôle positif des incubateurs et plus généralement de l’accompagnement de l’entrepreneur.

Extrait des travaux de Bakkali, Messeghem et Sammut (2015)

L’influence des structures d’accompagnement sur la réussite des entrepreneurs dans les pays en développement comme le Togo, a moins fait l’objet d’étude par la littérature. Samir Abdelkrim (2017), en se concentrant sur les écosystèmes techs autour du numérique, montre qu’il y a une augmentation des structures d’accompagnement en Afrique notamment. Dans son ouvrage, il considère que les accompagnants jouent un rôle majeur dans le cadrage, la pérennité et l’accès aux ressources des startups africaines. Le tableau ci-dessous extrait du rapport Afric’innov sur les enjeux et opportunités des incubateurs en Afrique de l’Ouest, récapitule les avantages et services qu’offrent les différentes structures d’accompagnement. Le conseil, la mise en relation et la formation qu’on peut considérer aussi à travers les évènements sont inclus dans la plupart des structures d’accompagnement. L’aide à la création du produit au travers du prototypage, la location d’espaces et l’appui au financement sont d’autres services mis à disposition des entrepreneurs. Les informations de ce tableau confirment un rôle d’apporteur de ressources des structures d’accompagnement qui vont enrichir le capital humain et social de l’entrepreneur, en plus de lui faciliter l’accès au capital financier ou à d’autres biens matériels comme un espace de travail.

Au-delà des structures dédiées, la littérature différencie d’autres formes d’accompagnement aux entrepreneurs. On peut citer par exemple :

  • Le business angels qui va soutenir l’entreprise financièrement mais aussi en mobilisant ses compétences ou son réseau. (Certhoux, Zenou, 2006) Le business angel peut aller jusqu’à s’impliquer opérationnellement dans l’entreprise. La présence d’un business angel peut s’apparenter à la formation d’une équipe entrepreneuriale. En fonction de son expérience, le business angel peut également être considéré comme un mentor ;
  • Le mentorat, où le mentor considéré comme un modèle fait bénéficier de son expérience d’aîné à l’entrepreneur qui est considéré comme un novice. Sous le couvert d’une relation plutôt paternaliste, le mentor oriente l’entrepreneur dans ses projets, élargit son réseau social et assure qu’il évolue dans les meilleures conditions (Geindre, Deschamps, 2014). Le mentorat a des caractéristiques que l’on pourrait comparer à celles de l’accompagnement par les pairs (Jaouen, Loup, Sammut, 2006);
  • Le coaching est une autre forme d’accompagnement qui vise à libérer le potentiel de l’individu. Le coach généralement bienveillant peut avoir une approche directive ou plutôt privilégier la co-construction avec son client (Geindre, Deschamps, 2014).

Geindre et Deschamps ont identifié d’autres formes d’accompagnement comme le counselling, le tutorat ou encore le conseil d’expert. Ils les ont ensuite catégorisés en s’appuyant sur les registres fondamentaux de l’accompagnement proposés par M.Paul (2004), présentés ci-dessous.

Extrait 1 des travaux de Geindre, Deschamps (2014)
Extrait 2 des travaux de Geindre, Deschamps (2014)

Malgré la variété des formes, l’accompagnement garde un principe général qui est celui de soutenir la création, la survie ou le développement des nouvelles entreprises. Pour le reste, en fonction du profil de l’entrepreneur et de sa situation, on va privilégier une forme d’accompagnement plutôt qu’une autre. A ce sujet, dans son étude sur l’accompagnement des entrepreneurs durant les phases de doutes, Valéau (2006) alerte sur l’importance de la qualité de la relation entre l’accompagnant et l’accompagné, en insistant sur la nécessité d’une confiance de l’entrepreneur en son accompagnant. Il montre que cette confiance est très fragile ; lorsqu’elle se brise, par exemple à cause des mauvaises performances de l’entreprise. Peu importe la raison, la relation accompagné-accompagnant se dégrade et crée un cercle vicieux qui influence négativement la performance de l’entreprise, la satisfaction de l’entrepreneur et sa relation avec l’accompagnant. Son étude montre également que l’accompagnement dans certains cas peut conduire à l’échec du projet ou de l’entreprise. Le sujet des contributions de l’accompagnement à la réussite de l’entrepreneur et de l’entreprise, est un sujet que les auteurs continuent d’étudier. Messeghem et al (2020) ont noté des mutations de l’accompagnement entrepreneurial face à des phénomènes tels que la singularisation et la diversification des profils d’entrepreneurs ou l’essor du digital qui facilite l’accès aux connaissances ou aux ressources grâce aux plateformes en ligne.

Ce dernier point permet d’introduire deux sujets qui ont émergé avec internet mais qui sont peu analysés par la littérature ; celui de l’auto-formation de l’entrepreneur et celui de la mise en place d’une stratégie personnelle d’acquisition des ressources, des connaissances et des compétences qu’il juge utiles ou nécessaires, une forme d’auto-accompagnement.

Et voilà pour le cinquième extrait. Dans le prochain article, je vous partage la bibliographie avec toutes les références mentionnées. 💡

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Yann-marie Johnson

Entrepreneur dans l’âme, je suis stimulé par la découverte, les rencontres, le partage et les résultats mesurables. 🤠