Point d’orgue d’un travail entamé depuis plusieurs mois, le RBDH a organisé, le 4 octobre 2018, un forum consacré aux pratiques inspirantes en matière de logement. S’y sont croisé.e.s des actrice.eur.s du logement active.f.s sur le territoire de presque toutes les communes bruxelloises, qu’elles.ils soient membres d’une administration communale, exercent des fonctions politiques ou encore travaillent dans une association locale. Le trio administration — politique — associatif constitue l’attelage idéal pour faire naitre des projets et les mener à terme. Au RBDH, nous sommes persuadé.e.s que les zones de pouvoir et d’influence des uns, l’ingéniosité et la créativité des autres, combinés, peuvent faire bouger les lignes.

L’objectif du forum : favoriser la rencontre et la découverte de projets locaux qui ont fait leurs preuves, mais aussi donner de nouvelles impulsions pour transposer ces façons de faire ailleurs, dans d’autres communes, avec d’autres partenaires. Les projets mis à l’honneur, ce sont ceux qui ont nourri les dernières analyses publiées par le RBDH.

Les porteurs de projets qui ont accepté de jouer le jeu, ce sont les travailleuse.eur.s que l’équipe du RBDH a rencontré ces derniers mois pour connaitre, comprendre et faire connaitre au mieux ces initiatives locales favorables au logement. Chaque participant.e a eu l’occasion, tour à tour, de découvrir les projets, se les approprier et imaginer comment les transposer[1].

Un pari réussi ! Avec un bémol malgré tout, l’ensemble des participants a regretté la très faible présence politique. Pourtant, les élu.e.s ont un rôle majeur à jouer pour impulser de nouveaux projets à l’échelon communal. Regret d’autant plus amer que notre forum intervenait à quelques jours à peine des élections communales. Seuls deux échevins du logement nous ont rejoints. Un signal dans la mauvaise direction pour le logement. Un témoignage de plus qui indique que le mal logement et le manque de logements abordables ne font malheureusement pas partie des priorités de nos (futurs) décideurs, qui bien trop souvent, privilégient d’autres enjeux (soutien à la promotion privée par exemple), plutôt que de prendre à bras le corps les problématiques sociales liées au logement.

Le forum s’est organisé autour de six ateliers, regroupant une dizaine de participant.e.s chacun, qui possédaient une expérience propre et utile sur les questions liées à l’insalubrité, à l’inoccupation, au logement temporaire, aux expulsions locatives, aux habitats mixtes ou encore aux occupations temporaires de bâtiment et terrains vides. L’occasion d’échanges constructifs autour des enjeux et principaux obstacles qui limitent l’action de chacun.e, et, surtout, des moyens de les surmonter. Les participant.e.s ont ensuite eu l’occasion de co-construire, ensemble, un nouveau projet, ou du moins d’en dessiner les grandes lignes : les motivations qui justifient l’initiative, les forces et freins qui l’entourent et les premières actions à mettre en place pour qu’elle puisse se concrétiser.

Imaginer de nouvelles pistes

Arrêtons-nous sur ces propositions et sur les nouvelles pistes d’actions qu’elles ouvrent. Trois enjeux majeurs ressortent, toutes thématiques confondues : lutter contre l’impunité, informer et mettre en réseaux les partenaires et produire du logement même temporaire dans les espaces inoccupés.

Lutter contre l’impunité de bailleurs peu scrupuleux

Lorsque l’on est confronté à des logements qui restent inoccupés ou à des logements loués en très mauvais état, l’impunité de bailleurs manifestement en infraction aux règles régionales ne manque d’interpeller. En cause : des outils légaux sous-utilisés, des procédures longues, qui s’enlisent, des locataires qui risquent de pâtir des actions entreprises, des solutions de relogement qui font cruellement défaut, un manque d’effectif au sein des services de contrôle… Résultat des courses, les travailleur.euse.s sociaux sont sans-cesse confronté.e.s à des logements dégradés mais reloués malgré une interdiction, à des propriétaires qui payent taxes et amendes pour laisser leurs biens vides, ou, pire encore, à d’autres qui laissent vivre des personnes déjà fragilisées (sans-papier par exemple) entre 4 murs parfaitement inhabitables. Des marchands de sommeil qui abusent des faiblesses de locataires démunis qui n’ont aucune autre solution alternative.

Pour y remédier, la proposition envisagée, c’est un « programme pour agir contre l’impunité des propriétaires ». Un programme ambitieux, en trois temps, qui tiendrait compte des outils existants (taxe communale ou saisie possible de l’immeuble notamment) et qui demanderait d’en établir de nouveaux (permis locatif, par exemple).

1Un permis locatif obligatoire, d’abord, précédent toute mise en location. Chaque logement serait ainsi contrôlé sur ses aspects techniques, pour éliminer à la source une grosse partie des situations d’insalubrités graves. Contrôlés, oui mais par qui ? Les agents régionaux sont débordés. L’administration communale a-t-elle les moyens humains nécessaires pour prendre la main ? Si ce n’est pas le cas, faut-il externaliser le contrôle en faisant appel à des inspecteurs « privés » ? Comment alors s’assurer de la qualité d’un tel contrôle, afin d’éviter les dérives qu’a rencontré la certification PEB[2] ? Le débat n’est pas clos.

2 Une plateforme qui réunirait les partenaires communaux et associatifs et disposerait d’outils multiples à mobiliser en fonction des situations rencontrées :

  • La création de taxes communales ad hoc dans toutes les communes de la Région, et l’application réelle de ces taxes à l’instar de ce qui est mis en place à Molenbeek[3];
  • Des fermetures effectives de logements et un contrôle strict pour éviter les remises en location illicites;
  • Des conventions pour réaliser des opérations tiroirs qui permettraient la rénovation du logement et le relogement temporaire de ses locataires;
  • Des partenariats renforcés avec le Parquet et des saisies d’immeubles concrètes dans les cas les plus lourds pour lutter contre les marchands de sommeil;
  • Des logements de transit disponibles pour éviter que les locataires, déjà en situation délicate, ne subissent les conséquences de ces interventions…

3 Une grille des loyers pour éviter les loyers abusifs, totalement déconnectés de l’état réel du logement, et une meilleure information des locataires sur leurs droits !

Autre piste similaire : la « tolérance zéro » envers les propriétaires qui maintiennent leurs logements inoccupés. Ici aussi, ce sont des plateformes communales et une plateforme régionale qui ont été envisagées pour identifier et sanctionner avec des outils réellement dissuasifs (actionner taxes et amendes mensuellement plutôt qu’annuellement par exemple) ces propriétaires qui, jusqu’alors, parvenaient à passer entre les mailles du filet.

Informer, partager et mutualiser

Si certaines initiatives locales ont le mérite d’exister, elles restent cependant trop isolées. C’est ce constat très largement partagé qui est à l’origine des idées listées ci-dessous, qui visent toutes à favoriser l’échange d’expériences et le partage d’informations.

Une « Maison du Logement » virtuelle a été imaginée avec l’objectif de rassembler tous les projets, tous les opérateurs et toutes les informations pratiques pour que les travailleurs sociaux, les administrations et les personnes en recherche de logements puissent y avoir accès. Cette maison du logement a été pensée pour les occupations temporaires de bâtiments et terrains vides, suite à un double constat :

  • Le potentiel est énorme, tant en terme d’associations[4] et d’occupants qu’en terme de bâtiments et terrains vacants,
  • Beaucoup de partenaires potentiels ne se connaissent pas, ce qui freine ou empêche l’éclosion de nouveaux projets.

Elle pourrait aussi intégrer des projets logements autres que des occupations temporaires.

Autre piste : un « médiateur immobilier » qui aurait pour mission de prévenir la vacance immobilière en informant au mieux les bailleurs. Il pourrait mener un travail préventif basé sur une relation de confiance avec les bailleurs qui ne connaissent ni les sanctions, ni les solutions pour les soutenir dans la gestion de leur patrimoine immobilier.

Même constat en matière de prévention des expulsions : on pourrait envisager un « outil préventif des expulsions ». Il aurait une double mission : informer les locataires sur les services qui peuvent les accompagner avant qu’il ne soit trop tard — c’est-à-dire avant que l’expulsion ne soit imminente — et intensifier les contacts en réseau de toutes les parties prenantes impliquées dans une procédure d’expulsion (on entend ici le juge de paix, les services d’habitat accompagné existants, les permanences logement des communes et CPAS, les associations locales intervenant auprès d’un public précarisé…)

Mutualiser l’information, mais aussi les ressources ! C’est en tout cas le souhait à l’origine de l’esquisse de « l’intercommunale du logement » qui viserait à faciliter l’accès au logement d’urgence ou de transit. Cette intercommunale poursuivrait aussi une double mission :

  • Permettre l’échange entre toutes les personnes (il faudrait les identifiées d’abord), toutes les communes, qui sont confrontées quotidiennement aux difficultés liées au logement, dans une optique d’intervision pour les travailleur.euse.s. et d’échange de pratiques. Pourquoi ne pas, en plus, formuler des revendications ou avis consultatifs qui pourraient éclairer les décideurs sur les problématiques évoquées lors de ces rencontres ?
  • Faciliter l’accès aux logements temporaires en centralisant les demandes de logements de transit et d’urgence et l’information quant aux disponibilités dans chaque commune.

Quelle que soit la thématique concernée (logements vides, logements insalubres, expulsions locatives, logements de transit, occupations temporaires), le morcellement des compétences et les logiques de services limitent l’efficacité des interventions. Face à ce constat, les rencontres transversales qui permettent le partage et la création de synergies sont appelées avec force par les acteur.rice.s de terrain. Gageons que le forum du 4 octobre ait pu enclencher quelque chose pour qu’elles se multiplient !

(Re)créer du logement dans les bâtiments vides

Enfin, plusieurs groupes de travail se sont arrêtés sur les manières, très concrètes, de produire du logement. Car les solutions de relogement font terriblement défaut, alors qu’elles sont indispensables pour lutter efficacement contre l’insalubrité ou pour soutenir une famille qui doit faire face à une expulsion notamment. Les bâtiments inoccupés pourraient permettre la création de ces nouveaux logements. Comment ? En appliquant le droit de gestion publique[5] (ce qui passe d’abord par un travail en réseau pour identifier les logements potentiels, mais aussi par des partenariats avec les Agences Immobilières Sociales notamment) ou en mobilisant le stock énorme de bureaux inoccupés.

Oser, pour faire naitre plus de bonnes pratiques dans les communes bruxelloises.

Pour clore ce tour d’horizon, nous retiendrons trois mots d’ordre : la volonté politique, la transversalité et l’audace ! Ces mots d’ordre, ce sont les participant.e.s qui les ont fait émerger lors du débat de clôture de la matinée. Morceaux choisis.

« Moi je pense que pour développer des projets innovants, il y a une véritable volonté politique qui doit être insufflée, au niveau de la commune et de la Région »

« Pour ouvrir cette conscience politique, il faut montrer des exemples concrets et réussis et montrer que d’autres possibles sont envisageable et de cette manière-là faire bouger les lignes »

« C’est à nous d’ouvrir les yeux et les oreilles de nos décideurs »

« Ce qu’on est en train de faire aujourd’hui, ce serait aussi utile aux élus ! »

« Si on veut voir plus de volonté politique émerger en faveur du logement, il faut plus de citoyens mobilisés pour le logement, il faut sensibiliser Mr et Mme tout le Monde, qui se dit que la problématique du logement ne les concerne pas, — je ne suis pas dans la pire des situations — alors que si, la situation est déjà difficile. »

« On a besoin de plus de brainstorming entre les différents interlocuteurs pour avoir une vision beaucoup plus large qui dépasse les frontières de la commune »

« Il y a des éléments qui ont une influence sur le logement mais qui ne relèvent pas directement de la politique du logement. (la spéculation immobilière ou le statut cohabitant par exemple…). Il faut décloisonner ! »

« L’information et les expériences ne circulent pas assez. Il faut que les choses qui ont fonctionné soient mieux connues »

« Si on veut des choses inspirantes et innovantes, il faut du temps. On ne se donne pas assez de temps, ni les moyens d’échouer parfois »

« Moi je pense que pour voir naitre beaucoup plus de projets innovants, il faut cesser d’avoir peur »

Cette analyse est publiée à l’aide de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

[1] La réussite de cette matinée tient aussi au ton donné par collectiv-a, une ASBL rompue à l’exercice de la participation et de l’intelligence collective, qui a proposé des ateliers originaux pour faire en sorte que chacun.e des participant.e.s s’approprie les projets.

[2] Pour plus d’info : « Certification « Performance Énergétique des Bâtiments » (PEB) : quel impact dans un marché immobilier déséquilibré ? », Logement : 10 idées sous la loupe, art.23 n°63, Bruxelles, pp.11–13.

[3]Molenbeek possède une taxe sur les logements insalubres fixée à 2000€/an, par unité de logement. Ce montant augmente au fil des années. C’est un des dispositifs les plus performants qui pousse les propriétaires à remettre leur bien en conformité.

[4] Rappelons que la Fébul organise une agence d’occupations temporaires visant à faciliter la rencontre et l’entente entre propriétaires de bâtiments inoccupés et occupants potentiels, qui souffre encore d’un manque de visibilité.

[5] Le droit de gestion publique est le droit, pour un opérateur immobilier public, de prendre en gestion un logement inoccupé depuis plus de 12 mois ou insalubre pour le remettre sur le marché locatif. L’autorité publique procède, si nécessaire, à la rénovation du bien et le met en location à des conditions sociales. Elle reverse au propriétaire le montant du loyer, déduction faite des travaux de rénovation et des frais de gestion. La procédure est prévue par le Code bruxellois du Logement, article 15.

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