Football & Radio : L’histoire du multiplex (5/8)- « Interfootball », le pari de France Inter

Johnny Pilatte
Football & Radio
Published in
9 min readMay 25, 2020
Jacques Vendroux, présentateur du multiplex de France Inter de 1988 à 2009

Unique en son genre, le multiplex de football est un programme mythique des stations de radio. La saison prochaine, il quittera sa case traditionnelle du samedi soir pour s’installer le dimanche après-midi. L’occasion de revenir sur l’histoire de ce rendez-vous qui existe depuis près de soixante ans dans le paysage radiophonique.

Dans les décennies 1960–1970, la radio et le football français professionnel se réinventent. Ce nouveau contexte pose les conditions de l’émancipation et de la consécration du multiplex de football à la radio. D’abord dans une formule courte pour suivre les dernières minutes des matchs désormais programmés en soirée, puis dans une formule plus complète sur laquelle France Inter sera la première à parier avec son Interfootball.

Le football s’invite en soirée

Dans les années 1960, les grandes manifestations sportives ne sont plus systématiquement organisées le dimanche après-midi ce qui amène les stations de radio à changer leurs stratégies. Si l’ORTF et Radio Monte-Carlo conservent leur émission dominicale, Sports et Musique et Monte-Carlo Sports, Radio Luxembourg et Europe n°1 suppriment la leur. Désormais, les retransmissions sportives interrompent les programmations musicales s’il le faut. Sur France Inter, Sports et Musique reste l’émission phare pour les auditeurs amateurs de sports. Le poids du football dans le programme ne cesse de grandir et lors de la saison 1968–1969 l’émission propose jusqu’à neuf rencontres en multiplex. La saison suivante, le championnat de France de football quitte sa case habituelle du dimanche après-midi et programme dorénavant ses rencontres en soirée : le mardi, le mercredi, le vendredi ou le samedi.

Bulletin après diffusion de France Inter Ondes Londes du Mercredi 6 août 1969

À l’occasion de la première journée du championnat de France de première division, le mercredi 6 août 1969, France Inter extirpe son multiplex de son traditionnel Sports et Musique pour proposer, entre 22h08 et 22h15 sur les Ondes Longues, les dernières minutes des huit rencontres programmées ce soir-là. Le programme s’intercale entre la fin du journal Inter Actualité 22h et la deuxième partie de l’émission Pop Club de José Arthur. Non mentionné initialement dans le conducteur de la journée de programme de France Inter, il semble que ce programme proposé par André Bibal, responsable du service des sports, a été validé dans les derniers instants par Roland Dhordain, directeur de la radiodiffusion de l’ORTF, comme le mentionne le bulletin d’après-diffusion. Il est orchestré par le journaliste Richard L’Hote en direct du studio 133 de la Maison de la Radio. Ce module d’une dizaine de minutes est diffusé jusqu’en 1975 avec comme présentateur référant Alain Ganne. Le journaliste, présent en studio, entreprend un « tour des stades » lors duquel il distribue la parole à chacun de ses reporters qui donnent ainsi aux auditeurs le temps qu’il reste à jouer, le score et les buteurs. Une fois effectué, les reporters donnent des « commentaires » plus détaillés sur les rencontres qu’ils suivent, avec de courts résumés des temps forts des matchs. Si un but est marqué, les reporters peuvent ainsi prendre la parole pour le faire vivre en direct. Le programme se conclut par un rappel des résultats de la soirée et le classement du championnat. On découvre sur les stades les premiers pas de futurs grands noms du journalisme sportif français : Pierre Loctin, Pierre Salviac ou Jacques Vendroux. Cette formule, communément rebaptisée Spécial But va être adoptée par les radios concurrentes : RTL, Europe n°1 et RMC. La concurrence fait rage entre les quatre radios généralistes sur le terrain du multiplex, chacune redouble d’inventivité pour devenir la radio du football.

L’année 1975 marque un véritable tournant dans l’histoire du multiplex de football. Le samedi 4 octobre, à l’occasion de la neuvième journée du championnat de France, RTL et Europe 1 inaugure une nouvelle formule de leur multiplex : le quart d’heure par quart d’heure. Ce système permet de faire le point sur l’évolution des scores des matchs qui se disputent. Le journaliste présent en studio intervient donc chaque quart d’heure entre 20h30 et 22h15 pour un tour d’horizon des rencontres. Puis, de 22h20 à 22h30, les auditeurs bénéficient des commentaires des rencontres qui viennent de se terminer avec l’intervention des envoyés spéciaux présents sur les deux, trois ou quatre matchs les plus importants. Les autres scores sont également communiqués, ainsi que le nom des buteurs et le classement à l’issue de la soirée. De son côté, RMC propose depuis quelque temps déjà, mais de manière beaucoup moins régulière, un concept un peu différent intitulé le But par But. À l’occasion de cette nouvelle saison, la station décide d’intensifier son dispositif. Une opération qui consiste à communiquer l’évolution des scores moment même où que les buts sont marqués, interrompant ainsi le cours des programmes (généralement des chansons ou des publicités). Pour chaque journée de championnat, un ou deux matchs sont couverts par des envoyés spéciaux. Il s’agit des matchs les plus importants des clubs issus de la zone d’écoute de la station. Ce sont bien souvent des matchs de l’équipe locale, l’AS Monaco mais la station est également écoutée à Lyon, Saint-Étienne, Nice, Marseille et Bastia. Ces reporters interviennent à tout moment pour signaler les faits marquants (buts, penaltys, coups francs dangereux, blessures ou autres incidents de jeu). D’autres correspondants (issu de l’AFP ou de journaux régionaux) communiquent par téléphone l’évolution des scores des rencontres qu’ils suivent.

« Interfootball », une réponse à l’attente des auditeurs

Publicité de 1987 pour le multiplex de France Inter en association avec France Football

Cette concurrence des stations périphériques va pousser France Inter à innover dans sa programmation. Le vendredi 17 octobre 1975, soit une semaine après le lancement du quart d’heure par quart d’heure par RTL et Europe 1, à l’occasion de la dixième journée du championnat de France, la station propose à ses auditeurs un multiplex intégral des dix rencontres de la soirée. La station confirme qu’elle est l’antenne qui retransmet le plus de sport en direct. Pour mener à bien cette opération, la chaîne bénéficie des moyens importants du service public. Le programme est proposé sur la Modulation de Fréquence, réseau où il y a encore de la disponibilité dans la grille des programmes. Réseau privilégié par Jean-Paul Brouchon, chef du service des sports de France Inter, car « l’audition y est idéale, et puis, que contrairement à une opinion très répandue, elle ne coûte pas plus cher. On trouve partout des transistors équipés en M.F. pour 120 F environ, ce qui permettra aux spectateurs de se tenir au courant des autres matchs »[1]. La formule est lancée sans demande d’autorisation auprès du Groupement du Football Professionnel. Le multiplex peut ainsi s’appuyer à la fois sur les journalistes issus du service des sports parisien mais également sur les équipes de France Régions 3 (FR3), puis plus tard sur les stations de radio locales et services décentralisés. Le premier multiplex intégral est présenté par Alain Ganne. Sur les neuf terrains de la soirée, on retrouve notamment Jacques Vendroux, Pierre Loctin, Jean-François Rhein ou Fabrice Baledent, les piliers du service des sports de France Inter.

Le multiplex est instauré et le format de l’émission est fixé. La préparation du programme débute vers 19h30, les techniciens présents sur les stades aux côtés des reporters, entrent en contact avec le C.D.M (Centre Distributeur de Modulation) à la Maison de la Radio pour « assurer la liaison » (faire des essais) avec le studio où s’installera le journaliste qui animera le multiplex à partir de 20h05. À noter que les lignes doivent être retenues 48 heures auparavant auprès du B.C.R (Bureau de Coordination Radio) pour les matchs disputés en France et 15 jours à l’avance pour l’étranger. Après le flash de 20 h, aux alentours de 20h04 intervient un « décrochage ». Cette opération consiste à dissocier les réseaux des Ondes longues, Petites Ondes et Modulation de Fréquence de France Inter. Après cela, l’indicatif Sports et Musique : Spécial Football passe sur la Modulation de Fréquence et l’émission peut commencer.

Communiqué annoncant le premier multiplex intégral sur France Inter

Le journaliste-animateur présente l’émission en studio et tel un chef d’orchestre il commence par organiser un « tour des stades » lors duquel les envoyés spéciaux et les correspondants interviennent pour présenter leur match (composition des équipes, les conditions climatiques, etc.). Il les « lance » les uns après les autres. Il peut également avoir des invités qui interviennent. Et s’il reste du temps, il fait passer quelques disques avant le coup d’envoi des matchs généralement prévus à 20h30. Entre 20h30 et 21h15 se déroule la première mi-temps. Les envoyés spéciaux et correspondants interviennent soit quand le chef d’orchestre leur donne la parole ou bien si un fait de jeu se déroule sous leurs yeux. Tous les reporters sont en « retour total » c’est-à-dire qu’ils entendent tout ce qui se dit sur l’antenne. Ils peuvent alors intervenir à tout moment, coupant celui qui parle dès qu’il y a un but, un penalty ou une action de jeu qui vaut la peine d’être vécue ou décrite. Telle est la règle du jeu. Lors de la mi-temps, entre 21h15 et 21h30, le football laisse place à la musique. Cependant, les résultats à la mi-temps sont relayés sur les Ondes Longues. Entre 21h30 et 22h15 se déroule la seconde mi-temps selon le même principe que la première. À partir de 22h10 s’effectue le « raccrochage ». Cette opération consiste à réunifier l’ensemble des réseaux. À la suite du journal de 22 heures, les auditeurs d’Ondes Longues bénéficient du « Tour de France des stades », ils connaissent alors résultats, buteurs et classement.

La première émission est saluée par le quotidien L’Équipe : « Après une excellente présentation des neuf matchs concernés, les trois envoyés spéciaux, Pierre Loctin (OM-Nice), Jacques Vendroux (Saint-Étienne — Nantes) et Fabrice Baledent (Lille — Lyon), qui couvraient les trois matchs les plus importants de la journée, se relayèrent au micro, les correspondants intervenant toutes les dix minutes pour donner un flash sur leur rencontre ».

L’émission, rebaptisée Interfootball est dans un premier temps présentée par Jean-Paul Brouchon jusqu’en 1980, avant que Pierre Loctin ne lui succède ensuite pendant près de huit saisons. Puis Jacques Vendroux, qui participe à l’émission en tant radioreporter depuis la création du programme, est promu chef d’orchestre en 1988. Il va devenir la figure emblématique de l’émission en l’incarnant pendant plus de vingt ans sur France Inter.

Entre 1960 et 1975, le multiplex se structure autour d’un nouveau format, de manière indépendante il s’extirpe de son émission omnisports initiale. Cette évolution qui a eu lieu en Italie, s’est inspirée de l’expérience française pour l’enrichir et la sublimer. C’est à la fois les moyens techniques et la passion pour ce sport qui pousse la radio publique italienne à proposer ce concept. En France, il faut patienter, le temps que le football redore son image et que la radio innove — avec notamment l’instauration du Nagra et le développement de la modulation de fréquence — pour que le programme puisse être mis en ondes. Grâce à ses moyens humains et financiers, mais aussi poussé par la concurrence des radios périphériques, France Inter est en mesure de répondre à l’attente des auditeurs en proposant le premier multiplex en intégralité. Le succès du concept va pousser ses concurrents à l’imiter, plus ou moins rapidement, pour engendrer une véritable guerre des multiplex.

Les autres épisodes :

Episode 1 : « Sports et Musique », l’invention d’un nouveau genre radiophonique

Episode 2: Et Radio Luxembourg créa le multiplex de football

Episode 3: « Tutto il calcio mininuto per minuto », quand l’Italie s’empare du concept

Episode 4 : Un football français ressuscité et une radio modernisée

Episode 6 : Europe 1, RMC et RTL, quand les stations périphériques entrent dans la course

Episode 7 : L’image et le son, la télévision fait son multiplex

Episode 8 : Face à une nouvelle concurrence, le multiplex des années 2000

Cet article est extrait de mon mémoire de recherche en Histoire Contemporaine, soutenu en 2017, traitant de la médiatisation du sport intitulé « Football et Radio : analyse des rapports à travers l’histoire des multiplex (1975–2012) ».

[1] « Tout le championnat de France en direct sur France-Inter (MF) ! », L’Équipe, 17 octobre 1975.

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