Football & Radio : L’histoire du multiplex (6/8)- Europe 1, RMC et RTL, quand les stations périphériques entrent dans la course

Johnny Pilatte
Football & Radio
Published in
11 min readMay 28, 2020
Eugène Saccomano, commentateur des affiches du multiplex d’Europe 1 jusqu’en 2001

Unique en son genre, le multiplex de football est un programme mythique des stations de radio. La saison prochaine, il quittera sa case traditionnelle du samedi soir pour s’installer le dimanche après-midi. L’occasion de revenir sur l’histoire de ce rendez-vous qui existe depuis près de soixante ans dans le paysage radiophonique.

Inauguré sur les ondes de France Inter en 1975, le format du multiplex, avec la diffusion en intégralité des rencontres, va se propager quelques années plus tard sur les ondes des stations concurrentes. Dès le début des années 1980, Europe 1 va contester le leadership de la radio publique en adoptant le format. RMC et RTL, plus réfractaires à faire grandir la place du sport sur leur antenne, finiront également par intégrer le multiplex dans leur grille des programmes.

Europe 1, nouveau concurrent de France Inter

Europe 1 s’affiche sur les maillots des clubs français, ici sur celui du FC Nantes en 1977

La dernière née des stations de radio périphériques a connu des débuts en dents de scie avec le sport. Au départ très active sur la diffusion de reportages sportifs, avec notamment dès sa création en 1955 le lancement du programme Europe-Sport diffusé le dimanche après-midi, la station va rapidement opérer un rétropédalage. L’émission disparaît dans le courant des années 1960 marquant le désintéressement de la station pour les évènements sportifs. Pour Etienne Mougeotte, directeur de la rédaction d’Europe n°1 dans les années 1970 : « On peut expliquer cela, peut-être, par l’absence de résultats dans les différentes disciplines mais également par le fait que la présence du sport à l’antenne amène à bousculer les programmes, ce que n’apprécient pas toujours les auditeurs »[1].

En 1975, la station effectue un virage éditorial. Pour satisfaire son public jeune et masculin, elle décide à nouveau de miser sur le sport : « Nous avons pris conscience de la renaissance du football en France, que ce soit au niveau des clubs ou à celui encore plus intéressant de l’équipe nationale. Il nous semble également que le sport est un élément à part entière dans l’actualité et qu’il ne faut pas le négliger ou l’enfermer dans des horaires particuliers ». Cela se traduit par le lancement la même année de la formule du quart d’heure par quart d’heure qui est installée sur la station pour concurrencer France Inter et RTL. Elle se lance également sponsoring de clubs de premier plan du championnat de France de Division 1. La station Europe n°1 aime le football, elle en diffuse et elle le fait savoir en s’affichant sur les maillots de clubs français majeurs. D’abord sur celui du Racing Club de Lens dès la saison 1975–1976 puis la saison suivante sur celui du Football Club de Nantes. Deux partenariats qui dureront jusqu’à la saison 1982–1983. Durant cette période, ces deux clubs mythiques du championnat vont briller : Lens termine deuxième du championnat en 1977, Nantes est champion de France à trois reprises, autant de fois dauphin et vainqueur d’une Coupe de France. La publicité est optimale pour la station.

Au niveau de la programmation, le quart d’heure par quart d’heure évolue au gré des saisons pour s’enrichir. En 1980, la formule prend de la consistance et propose de suivre toutes les rencontres de la soirée lors des différents points dès 20h30 et avec à 22 heures un tour des stades avec les envoyés spéciaux et les correspondants. Débute ensuite un multiplex durant les quinze dernières minutes des matchs, sur tous les terrains avec la priorité sur trois rencontres. Puis à 22h15, après un nouveau tour des terrains pour connaître les résultats, place aux commentaires des journalistes sur les rencontres, aux interviews et au classement du championnat avant de rendre l’antenne à 22h30. Une formule également mise en place sur RTL.

Le tournant majeur a lieu le mercredi 3 mars 1982. À l’occasion d’une fin de championnat des plus indécises, Europe n°1 décide de bousculer son antenne pour proposer une soirée « non-stop » de football, un multiplex intégral. C’est aussi le cas de sa concurrente RTL mais cette dernière avait déjà l’habitude de réaliser ce type de dispositif de manière ponctuelle. Pour Europe n°1, l’enjeu est différent, la station prend le pari pour la première fois de diffuser un multiplex intégral et ce jusqu’à la fin de la saison, ce qui fait office de test. La volonté de concurrencer France Inter sur son terrain était présente depuis un certain temps chez les dirigeants de la station de la rue François Ier. Seul bémol, ce programme à un coût, et la station prospectait pour trouver un sponsor afin de financer l’émission. L’heureux élu est ERAM, la marque de chaussures devient le principal annonceur du multiplex. Ainsi, chaque intermède publicitaire du programme commence et se termine par le refrain devenu célèbre : « Partout où on aime le football, il y a les chaussures Eram ».

En 1984, la marque de chaussures se retire mais le multiplex peut vivre dans les meilleures conditions possibles grâce aux nombreux annonceurs que l’on trouve tout au long de l’émission. Chaque pause publicitaire dure à peu près deux minutes, avec en moyenne quatre spots, ce qui sur deux heures représente environ 25 minutes de publicité. Mais les règles du multiplex veulent que les annonces publicitaires puissent être interrompues par les reporters lors d’un but ou d’un autre événement significatif. Le multiplex d’Europe 1 va s’imposer et prendre des auditeurs à France Inter.

Jean-Loup Lafont, présentateur du multiplex d’Europe 1 de 1983 à 1987

Après une présentation tournante avec différentes voix du service des sports (Dominique Bressot, Jean-Yves Dhermain, Jean-René Godart et Fernand Choisel), la station installe à la rentrée 1983 Jean-Loup Lafont. Ancien animateur du Hit-Parade, le présentateur d’émissions musicales devient l’anchorman de référence du multiplex. L’affiche de la soirée est, elle, commentée par Eugène Saccomano. De 20h30 à 22h30, chaque soirée de championnat de France de football est à vivre en intégralité sur Europe n°1, la station ayant pour slogan publicitaire : « La seule radio qui fasse circuler le ballon sur les grandes ondes ». Un slogan qui peut paraître anodin mais qui révèle la stratégie mise en place pour déstabiliser son concurrent France Inter. La station publique a fait voyager son multiplex sur différentes fréquences ce qui va avoir pour conséquence d’égarer une partie de son auditoire en cours de route. Lancée sur la Modulation de Fréquence en octobre 1975, l’émission bascule sur les Petites Ondes en juillet 1983 mais la réception étant défaillante pour de nombreux auditeurs, le multiplex prend place sur les Ondes Longues en août 1984. Ces balbutiements de programmation permettent à Europe n°1 d’installer durablement son programme et d’attirer de nombreux auditeurs.

Le programme installé, Europe 1 (nouveau nom d’Europe n°1 depuis 1983) va ensuite tenter d’innover pour se distinguer. Dès 1989, la station va s’intéresser à la Deuxième Division et plus particulièrement aux rencontres présentes dans la grille du Loto Sportif. En intégrant ces matchs à son multiplex, deux ou trois par journées, mais surtout en opérant le tour des stades — appel des reporters sur chacun des terrain — dans l’ordre de la grille du Loto Sportif, la station va satisfaire les auditeurs parieurs et rendre plus lisible le déroulé de son programme. Un contenu plus dense et une nouvelle expertise symbolisée par le recrutement du journaliste Hervé Kérivel. Prête-plume pour la collection de livres « Une saison de football » d’Eugène Saccomano, c’est ce dernier, alors chef du service des sports de la station, qui lui propose d’intervenir dans le programme pour enrichir l’information, notamment grâce à ses statistiques. En mars 1991, il fait ses premiers pas à l’antenne, une collaboration qui durera dix-huit saisons. L’expertise s’invite dans le programme radiophonique, il en est sa première voix.

RMC et RTL, dernières stations à se lancer

Jean-Louis Filc, présentateurs du multiplex sur RMC dans les années 1990

Si Europe 1 s’impose rapidement dès le début des années 1980 comme le concurrent à France Inter sur le créneau du multiplex, RMC et RTL vont mettre plus de temps à stabiliser leurs formats. Entre volonté d’ancrage régional pour la première station et l’inquiétude de proposer un multiplex intégral pour la seconde.

Depuis les années 1970, RMC propose sur son antenne le format original du But par But consistant à interrompre la programmation musicale lorsqu’un but est marqué sur les rencontres suivies par les envoyés spéciaux de la soirée, généralement une ou deux rencontres. En 1988, Jean-Louis Filc, alors grand reporter au sein de la station RMC, se voit promu chef du service des sports. Il développe alors un projet, afin de proposer une radio qui serait entièrement tournée vers le sport, qu’il soumet aux directeurs successifs sans résultats. En 1989, Hervé Bourges est nommé directeur général de RMC. L’ancien président de TF1, qui avait lancé en 1984 Multifoot — la version télévisée du multiplex — sur la première chaîne, semble écouter son chef du service des sports et décide de proposer un multiplex intégral qui remplace le But par But. La première a lieu le 22 juillet 1989. Coordonné par Jean-Louis Filc, le fonctionnement est des plus classiques : tous les matchs de Division I et trois ou quatre affiches phares de Division II sont suivies, la prise d’antenne a lieu à 20h45 avec le tour rapide des stades pour prendre la température puis les commentaires des rencontres en multiplex, le récapitulatif des résultats à 22h15 et à 22h30 et enfin, il y a le Spécial Sport à 23 heures où sont regroupés tous les résultats de football mais aussi ceux des autres sports de la soirée (par exemple le basket).

S’adressant aux auditeurs du sud de la France, sa zone d’écoute se situant autour de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la radio monégasque propose chaque samedi soir quatre matchs dont ceux de l’AS Monaco et de l’Olympique de Marseille, les autres rencontres sont suivies selon l’évolution des scores. Sa force réside dans son ancrage régional comme l’explique Jean-Louis Filc : « Je suis persuadé que Europe 1 et France Inter ne nous prennent pas dix auditeurs par soir de football sur le sud de la France. Les gens sont habitués à notre manière de travail, il n’y a pas de commentaire superflu ou de causerie, on donne le maximum d’actualité, c’est un micro ouvert et en plus on présente les deux, trois affiches de Super DII » [2]. La station s’affiche comme le sponsor de l’Olympique de Marseille, ce qui lui apporte une visibilité très importante. Le multiplex est lui réalisé en partenariat avec la Française des Jeux, l’organisatrice du Loto Sportif, ce qui permet d’associer la marque de la radio avec le football dans l’esprit des auditeurs.

Durant les années 1990, alors que l’Etat, propriétaire de la station via la Sofirad, tente à plusieurs reprises d’obtenir sa privatisation, les responsables se succèdent à la tête de la station, avec des visions très différentes, certains voulant en faire un programme national, d’autres régional. Cela empêche RMC de garder une cohérence éditoriale, elle tente diverses formes de relance avec des programmes sportifs plus ou moins présents selon les formules. Le multiplex, lui, tente de garder sa cohérence avec la diffusion de l’intégralité des rencontres de Division I et les rencontres de Division II des clubs du sud de la France.

Guy Kédia, premier présentateur du Méga-Foot sur RTL en 1993

Entre RTL et le football, l’histoire est complexe. Comme Europe 1, la station a lancé en 1975 la formule du quart d’heure par quart d’heure, elle l’a aussi fait évoluer en proposant le dernier quart d’heure commenté en direct de quatre ou cinq stades. Mais quand Europe 1 choisit de proposer un multiplex intégral en 1982, RTL préfère ne pas se lancer dans cette concurrence, sauf lors de la fin du championnat si l’enjeu sportif l’impose. Pourtant RTL associe son image au football, la station s’affiche sur le maillot du Paris Saint-Germain entre 1974 et 1991 et également sur ceux de la Coupe de France durant les années 1980. Cependant elle reste la seule des quatre grandes stations généralistes à ne pas proposer de multiplex au début des années 1990. Guy Kédia, chef du service des sports explique alors : « Nous avons choisi une formule (le point tous les quart d’heure pendant les soirées de Championnat et le dernier quart d’heure en direct) et nous nous y tenons. Mais nous ne sommes pas figés : lorsqu’un match le justifie nous le retransmettons en intégralité. De même, s’il y a une soirée avec plusieurs affiches intéressantes, nous les couvrons toutes ». Pour lui : « RTL joue en Première Division, les autres équipes n’arrivent pas à franchir les barrages ! »[3]. Car la station, forte de sa place de première radio généraliste selon les sondages depuis 1982, n’entend alors pas modifier une grille des programmes qui fonctionne.

Cependant, l’anomalie est rétablie le 11 septembre 1993, soit près de dix-huit ans après le lancement du multiplex intégral sur France Inter, RTL lance le sien, intitulé Mega-Foot et présenté par Guy Kedia. Sur les stades, tout le service des sports est mobilisé avec notamment Bernard Roseau, Christian Ollivier, Jean-Michel Rascoli et Hervé Béroud. L’émission est en partenariat avec le bihebdomadaire France Football. La station, alors première radio de France en audience, entend avec cette émission devenir la radio référence sur le football. Pour Guy Kedia, chef du service des sports depuis 1978, la programmation de cette nouvelle émission est une victoire personnelle dans son combat pour imposer le sport comme pilier de la station depuis des années :

En tant que service des sports, on regrettait de ne pas faire le multiplex, mais cela correspondait à une politique-maison. À savoir que les autres le font, mais nous on privilégie ceux qui écoutent la musique et le quart d’heure foot peut satisfaire. Ce n’était pas fatalement le point de vue de tout le monde … Philippe Labro [Directeur des programmes de RTL] a pris la décision dans une année importante pour le football d’accorder les moyens de réaliser les intégrales. Depuis longtemps, on souhaitait rendre compte de l’intégralité des journées, on était un peu frustré de n’intervenir que tous les quarts d’heure sur seulement deux, trois matchs, même si le dernier quart d’heure était en continuité. Le multiplex nécessitait une infrastructure, l’obligation de débloquer des moyens, etc. La décision a été prise, c’est fait, j’en suis ravi. [4]

Pas d’innovation majeure dans son organisation : l’émission propose l’intégralité des matchs de Division I et ceux de Division II comptant pour le Loto Sportif.

Dernière station à proposer son Multiplex intégral, RTL ouvre une nouvelle ère de concurrence entre les quatre grandes radios généralistes sur le créneau du samedi soir. Cette concurrence intramédiatique ne sera pas seule dans la décennie 1990. La télévision, qui s’intéresse progressivement au football et au championnat de France, va elle aussi entrer en compétition avec les stations de radio pour instaurer cette fois une concurrence intermédiatique.

Les autres épisodes :

Episode 1 : « Sports et Musique », l’invention d’un nouveau genre radiophonique

Episode 2: Et Radio Luxembourg créa le multiplex de football

Episode 3: « Tutto il calcio mininuto per minuto », quand l’Italie s’empare du concept

Episode 4 : Un football français ressuscité et une radio modernisée

Episode 5: « Interfootball », le pari de France Inter

Episode 7 : L’image et le son, la télévision fait son multiplex

Episode 8 : Face à une nouvelle concurrence, le multiplex des années 2000

Cet article est extrait de mon mémoire de recherche en Histoire Contemporaine, soutenu en 2017, traitant de la médiatisation du sport intitulé « Football et Radio : analyse des rapports à travers l’histoire des multiplex (1975–2012) ».

[1] « Etienne Mougeotte : « Le football ? C’est de l’information » L’Équipe, 4 octobre 1977.

[2] GLIKSMAN Alexandre, « Jean-Louis Filc : « RMC jour l’OM à fond … » », Le Foot, n°12, du 20 octobre au 5 novembre 1993.

[3] « RTL en Première Division » L’Équipe, 28 août 1990.

[4] BERTRANDE Arnaud : « Guy Kedia : Pourquoi RTL mise sur Méga-Foot ? », Le Foot, n°11, du 5 au 20 octobre 1993.

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