Football & Radio : L’histoire du multiplex (8/8)- Face à une nouvelle concurrence, le multiplex des années 2000

Johnny Pilatte
Football & Radio
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11 min readJun 12, 2020
Jean-Michel Larqué, premier consultant à participer au multiplex sur RMC en 2002

Unique en son genre, le multiplex de football est un programme mythique des stations de radio. La saison prochaine, il quittera sa case traditionnelle du samedi soir pour s’installer le dimanche après-midi. L’occasion de revenir sur l’histoire de ce rendez-vous qui existe depuis près de soixante ans dans le paysage radiophonique.

Dans les années 2000, le football envahit définitivement les écrans. Tous les matchs sont diffusés à la télévision, on peut accéder au score de chaque rencontre en temps réel, alors la radio doit se réinventer dans son traitement du sport et le multiplex n’en est pas exempté. À travers l’émergence de RMC, avec un modèle qui fait du sport l’un de ses piliers, les radios réalisent une profonde refonte du format dans les années 2000.

Le révolution RMC

Pour enrichir son multiplex, RMC mise sur ses consultants : Jean-Michel Larqué puis Rolland Courbis

Au début des années 2000, le traitement du sport prend un nouveau tournant à la radio. En 2001, la station RMC est rachetée par Alain Weil, ancien vice-président du directoire de NRJ Group. Accompagné de Franck Lanoux, qui l’assiste à la direction des programmes, ils vont faire de l’ancienne station régionale, en perte de vitesse, l’étendard d’un nouveau modèle inspiré des États-Unis. Tout d’abord une radio entièrement parlée à forte dose d’information, un modèle alors utilisé en France uniquement par France Info et BFM. À cela, ils ajoutent le format du « talk », des programmes incarnés par de fortes personnalités, importé d’outre-Atlantique faisant la part belle au débat en plaçant l’auditeur au cœur de la discussion. De l’information, du « talk », il ne manquait qu’une dernière partie du trinôme pour affirmer une identité forte à la refonte de RMC, ce sera le sport comme l’explique Franck Lanoux : « Le sport passe pour un univers de passionnés, d’initiés, et ne constitue pas un programme crédible et efficace. Il nous restait à prouver le contraire, bien sûr. RMC organisera et produira un spectacle sportif unique du sport à la radio. Tout sera mis en place pour y parvenir. Ce sera la feuille de route d’RMC »[1]. Dès janvier 2001, le sport prend une place importante notamment le week-end de 18 h 45 à 22 heures avec comme rendez-vous central le multiplex de football du samedi soir. À la rentrée 2002, au sortir de la Coupe du Monde de football que la radio a diffusé en exclusivité au détriment de ses concurrents, la station accentue son tournant sportif en programmant des « talks » consacrés au sport en semaine de 18 heures à 23 heures (puis plus tard de 16 heures à minuit). Le week-end, la radio est consacrée au sport de 10 heures à minuit avec les Intégrales et propose des retransmissions sportives en direct de 14 heures à 23 heures, entourées de « talks ». L’Intégrale Foot deviendra la marque du multiplex de la station devenue incontestablement la première radio sur le sport, un titre que tenteront de lui ravir Europe 1 et RTL tout au long de la décennie 2000.

Avec sa refonte, la station mise sur ce qu’elle appelle sa « Dream Team », une équipe de consultants sur différents sports qui interviennent régulièrement à l’antenne. Les plus charismatiques ont même leur propre émission, à l’image de Jean-Michel Larqué et son programme intitulé Larqué Foot. L’ancien capitaine de l’AS Saint-Etienne intervient également dans d’autres programmes dont L’Intégrale Foot. Il devient le premier consultant à livrer ses analyses dans un multiplex dès 2002. Cependant il n’intervient pas pendant la retransmission des rencontres, mais dans l’avant-match puis dans l’après-match lors duquel les supporteurs viennent débattre à l’antenne et interagir avec le consultant. L’antenne est également ouverte aux premières réactions des acteurs de la soirée. RMC veut également prolonger les soirées football et c’est notamment le souhait du présentateur du multiplex de l’époque, Gilbert Brisbois, qui propose lors de la fin de saison 2005–2006 le concept de L’After Foot qui prolonge les soirées football jusqu’à minuit en permettant aux auditeurs de venir s’exprimer à l’antenne et débattre avec les consultants et éditorialistes. Le programme est dans un premier temps diffusé lors des soirées de rencontres de football, dont les multiplex, avant de devenir une émission quotidienne.

RMC va même prolonger son leadership sur internet en proposant à ses auditeurs de créer leur propre multiplex. Intitulé Multilive RMC, ce dispositif offre à l’auditeur l’opportunité d’écouter le samedi soir la rencontre de son choix et lui laisse la liberté de zapper d’un match à l’autre comme pourrait le faire le téléspectateur avec sa télécommande. Il devient le chef d’orchestre de son propre multiplex. Franck Lanoux explique le dispositif :

2006 se terminera sur une nouvelle invention. À partir du 1er décembre, à l’occasion de chaque journée de championnat de France de football, RMC produira sur son site le Multilive RMC. Pour la première fois, grâce à un commentaire radio intégral pour chacun des matchs de la soirée, l’internaute pourra suivre gratuitement et où qu’il se trouve dans le monde, le match de son choix. Il peut même zapper d’un match à l’autre. Quelle affaire ! Le Multiplex, qui couvre tous les matchs en même temps à la radio, ne peut être que l’apanage du broadcast. Avec l’Internet nous avions trouvé un nouveau concurrent … à chaque match son commentaire.[2]

En 2008, Rolland Courbis, autre consultant vedette de la station, succède à Jean-Michel Larqué, dans un rôle similaire de consultant autour du multiplex. À la rentrée 2010, François Pesanti, directeur général de l’agence RMC SPORT, choisit de faire intervenir ses consultants sur les directs. Ainsi, Rolland Courbis participe désormais au multiplex aux côtés du présentateur Gilbert Bribois. Il est donc invité à réagir à l’antenne sur les différentes rencontres grâce aux images de la télévision retransmise dans le studio. Pour la station, cela permet aussi de rebooster un multiplex qui ne comptait à ce moment-là que six rencontres chaque samedi. Il y a désormais un espace de parole qui se libère pour un consultant.

Un format à réinventer

RTL va réinventer son multiplex avec ses éditorialistes : Pierre Ménès puis Pascal Praud

La révolution de RMC et l’éparpillement des rencontres de championnat tout au long du week-end — seulement six lors du Multiplex du samedi soir dès la saison 2008–2009 — obligent les autres stations à se réinventer. En 2008, cette fois sur RTL, c’est l’apparition d’un consultant d’un autre type qu’on pourrait catégoriser d’éditorialiste. Un journaliste de sport qui, après avoir atteint un seuil de notoriété, est désormais invité à donner son point de vue et son humeur. Christian Ollivier, chef du service des sports et présentateur du multiplex, choisit de s’entourer de Pierre Ménès. Ancien journaliste au quotidien L’Équipe et éphémère dirigeant du Stade de Reims, il est alors chroniqueur dans le talk-Show 100% Foot diffusé sur M6. La station recrute une image, un personnage cassant qui ne laisse pas indifférent et qui livre son avis sans retenue. Jacques Esnous, le directeur de l’information de la station explique alors : « le commentaire pro mais classique ne suffit plus. Il faut mener des débats hauts en couleur, avec des prises de positions et une expertise. C’est ce qu’attendent nos auditeurs de 35 à 50 ans »[3]. Avec une cote de popularité grandissante, Pierre Ménès est recruté par Canal Plus en 2009. Un an plus tard, il choisira de donner l’exclusivité de ses interventions audiovisuelles à la chaîne cryptée. Cette nouvelle formule du programme, avec un éditorialiste en studio qui donne son avis et lance des débats pour dynamiser le multiplex, est un succès. RTL, satisfait par ce format, décide de la prolonger après le départ de Pierre Ménès et choisit Pascal Praud comme successeur. Même si le style diverge, leurs parcours eux se ressemblent — ancien journaliste de TF1 et éphémère dirigeant du FC Nantes — tout comme leur réussite au sein du multiplex.

Le duo Jacques Vendroux — Julien Brigot qui inaugure la nouvelle formule sur France Info en 2009

En janvier 2009, France Inter décide de cesser le décrochage sur les Grandes Ondes de son multiplex du samedi soir en raison de sa faible audience et du développement d’internet. L’émission est dans un premier temps programmée sur internet comme l’explique son présentateur historique Jacques Vendroux car « les Grandes Ondes sont un produit vieillot, avec une mauvaise qualité sonore, alors qu’Internet représente l’avenir ». L’émission reste tout de même diffusée sur RFI et RFO pour les auditeurs africains et ceux des DOM-TOM. Après quelques mois passés sur internet, le programme connaît une seconde jeunesse, près de quarante ans après sa création, en s’inscrivant dans la nouvelle grille de France Info. Pour le service public, le multiplex n’est plus un spectacle radiophonique mais un programme d’informations :

Le multiplex c’est de l’information. C’est pour ça d’ailleurs qu’il passe très vite sur France Info. Le multiplex passe en intégralité sur France Info en 2009 avec l’arrivée de Jean-Luc Hees [Président de Radio France de 2009 à 2014]. Jean-Paul Cluzel [son prédécesseur de 2004 à 2009] le cautionne et il est officialisé par Jean Luc-Hees puis confirmé par Mathieu Gallet [Président de Radio France de 2014 à 2018] mais dans une forme différente. Il faut reconnaître que les matchs sont beaucoup moins intéressants entre 20 heures et 22 heures. On fait le boulot d’annoncer les matchs, d’essayer de donner les résultats. Parce que ce qui intéresse les gens ce sont les résultats, avec un résumé à 21h50. Donc là il n’y a pas de problème.[4]

L’appel d’offre des droits télévisuels de la Ligue 1 de la période 2012–2016 continue le morcellement des journées de championnat du vendredi soir au dimanche soir avec cinq rencontres le samedi soir, réduit parfois à quatre seulement. Les clubs qui participent aux compétitions européennes ne jouent plus sur le créneau du samedi soir mais lors des rencontres décalées. Les affiches du samedi soir, réduites en nombre, mais aussi comportant des clubs moins attractifs, sont de plus en plus délaissées par les auditeurs. Dès la rentrée 2012, et les premiers sondages radios, le morcellement de ces journées a un impact direct sur l’audience du multiplex comme l’explique François Pesanti, alors directeur de l’agence RMC Sport: « Comme je l’avais annoncé à l’intersaison et comme on pouvait s’y attendre le seul créneau qui est impacté sur l’ensemble des radios d’ailleurs par cette nouvelle donne c’est l’ancien créneau du multiplex à 20h le samedi soir où effectivement il y a des baisses de l’audience car les plus grands clubs de football ne jouent plus à cette heure-là »[5]. Le multiplex perdure sur les quatre stations généralistes mais il n’est plus le rendez-vous radiophonique qu’il fut auparavant.

Depuis 2012, la programmation de la Ligue 1 le samedi soir n’a presque pas évolué, les cinq matchs du multiplex débutant désormais à 20 heures au lieu de 19 heures, et les radios ont misé sur la continuité. La prochaine saison sera celle de la révolution. Avec une nouvelle programmation, qui a permis de dépasser le milliard d’euros de droits TV par saison, le multiplex, composé de seulement quatre matchs de Ligue 1 par journée, aura désormais lieu le dimanche à 15 heures. Il laisse sa place, le samedi soir, au multiplex de Ligue 2 à 19 heures et à un match de Ligue 1 à 21 heures. Plus que jamais, les radios vont devoir s’adapter pour faire perdurer ce monument radiophonique sur les ondes.

Une émission intemporelle

De la création du concept dans les années 1950 aux années 2010, on peut être frappé par l’évolution du multiplex en plus d’un demi-siècle. D’ une création technique pour répondre à un besoin de programmation au sein d’une émission omnisports mêlant radioreportages sportifs et intermèdes musicaux, le format a su prendre son indépendance pour exister en tant que programme. Pour cela, il a dû quitter la France pour s’épanouir en Italie, où grâce à sa « culture football », la radio publique lui a donné le temps et les moyens pour exister. Cette transmission culturelle a permis à la France, dans le milieu des années 1970, de se réapproprier son format sur le modèle à succès de son voisin transalpin. France Inter, grâce à ses moyens et son réseau régional déjà développé, a pu mettre en ondes le multiplex, qui révolutionne le traitement du sport à la radio. Concept à succès, les radios périphériques s’y intéressent et à leur tour, les unes après les autres — Europe 1, RMC puis RTL — proposent leur multiplex. Si la mécanique ne change pas, avec un présentateur et ses reporters, le programme, lui, s’enrichit de contenu et de nouvelles voix. Cette concurrence intra médiatique, entre les quatre grandes stations généralistes, devient inter médiatique dans les années 1990 quand la télévision, auparavant complémentaire de la radio, devient son adversaire. Le format est transposé à l’écran, avec les images des matchs, alors que les ondes peinent à faire imaginer les actions à leurs auditeurs. Le format tente alors de se réinventer, non pas contre mais plutôt en complément de la télévision, pour tenter de conserver ses auditeurs. Si le spectacle est au stade, elles tentent également de le créer en studio, pendant les rencontres avec ses « experts » ou après, en faisant intervenir ses auditeurs à l’antenne. Face aux images, mais aussi à internet et la profusion d’information, le multiplex n’a eu guère le choix que d’évoluer, de se transformer pour ne pas disparaître.

Si aujourd’hui la radio, semble pour beaucoup, un média qui peut paraître d’une autre époque, les questions économiques, autour notamment du droit de retransmission des rencontres, montrent l’actualité de ces enjeux et du média. L’avenir du programme, qui a près de soixante années d’existence, semble en suspens. La disparition du grand rendez-vous du samedi soir au profit d’un nouvel horaire, le dimanche après-midi avec seulement quatre rencontres, remet en cause son existence. Il pourrait même, purement et simplement, disparaître de l’une ou plusieurs des quatre grandes stations généralistes. N’étant pas financier du spectacle qu’est le championnat de France, à l’inverse des chaînes de télévision, la radio doit se plier aux règles et aux décisions prises par les autres acteurs.

Cet article est extrait de mon mémoire de recherche en Histoire Contemporaine, soutenu en 2017, traitant de la médiatisation du sport intitulé « Football et Radio : analyse des rapports à travers l’histoire des multiplex (1975–2012) ».

Episode 1 : « Sports et Musique », l’invention d’un nouveau genre radiophonique

Episode 2 : Et Radio Luxembourg créa le multiplex de football

Episode 3 : « Tutto il calcio mininuto per minuto », quand l’Italie s’empare du concept

Episode 4 : Un football français ressuscité et une radio modernisée

Episode 5 : « Interfootball », le pari de France Inter

Episode 6 : Europe 1, RMC et RTL, quand les stations périphériques entrent dans la course

Episode 7 : L’image et le son, la télévision fait son multiplex

[1] LANOUX Franck, La deuxième vie de RMC, Paris, Editions du Rocher, 2013, p.114.

[2] Ibid.

[3] BROCARD Véronique, « Sport à la radio : la poule aux oeufs d’or ? », Télérama, n°3134, 6 février 2010, p.38.

[4] Entretien réalisé avec Jacques Vendroux en 2016

[5] L’interview Média De Vincent Rousselet-Blanc avec François Pesenti, Sport 365.

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