Billet d’humeur d’Aurélie

Aurélie Crop
Pixelis
Published in
14 min readJun 5, 2018

La série des billets d’humeur de nos créatifs, c’est aussi les articles de Joséphine, Virginie, Valentine, Mathilde et Nicolas.

Directrice artistique chez Pixelis, je vous livre à travers ce billet d’humeur mes derniers coups de cœur… mais aussi quelques coups de gueule. Vous comprendrez vite qu’il y a un thème commun à tous les exemples que j’ai choisi. Vous n’aurez pas à chercher très longtemps ;-)

Coup de cœur pour la campagne Always « Like a girl »

Mon premier coup de cœur est la campagne d’Always « Like a girl ». Elle a été lancée en 2014 mais est toujours active aujourd’hui et continue de bien marcher. Je me souviens de la première fois où je l’ai vue à la télé : je me suis dit qu’il se passait quelque chose. Beaucoup de marques ont essayé de valoriser la femme mais c’était maladroit ou cliché et souvent trop « produit ». Là, ils ont réussi à monter le niveau d’un cran en parlant aux femmes d’estime de soi, réel problème chez les jeunes filles dès la puberté (encore plus que chez les garçons) démontré par des études.

La vidéo nous montre les a priori que les adultes et les jeunes garçons ont sur les filles. On leur demande de « courir comme une fille », « se battre comme une fille », « lancer une balle comme une fille » et ils le font de manière ridicule voire humiliante. Quand la même demande est faite à des toutes jeunes filles, elles donnent le meilleur d’elles-mêmes. Cela nous fait nous interroger : depuis quand l’expression « comme une fille » est-elle devenue une insulte ?

Je trouve que le discours de la marque est sincère et frappe juste, et ça change tout car les femmes se l’approprient naturellement, se rassemblent autour du message sans se sentir arnaquée par du marketing. Pour la petite anecdote chiffrée, la vidéo a été vue plus de 90 millions de fois dans le monde et c’est la 2ème vidéo virale au niveau monde ! (source : https://www.campaignlive.co.uk/article/case-study-always-likeagirl/1366870). Selon ces mêmes sondages, cette publicité a changé la perception des gens vis-à-vis de l’expression « comme une fille » pour environ 70% de femmes et 60% d’ hommes.

Je trouve fabuleux qu’une marque fasse évoluer les mentalités. Dans la campagne, le fait qu’il y ait de toutes jeunes filles permet aux jeunes spectatrices de s’identifier, ça parle à la petite fille qu’on était mais aussi aux petites filles qui vont devenir des femmes (et des clientes). C’est une campagne très bien réalisée, simple, efficace et le hashtag #CommeUneFille fonctionne super bien, facilement appropriable sur les réseaux sociaux.

Cette campagne d’Always est une petite avancée sociétale avec un réel impact et j’avais envie de valoriser la démarche.

Coup de cœur pour la campagne « Equality » de Nike avec Serena Williams

Tous les ans aux États-Unis, au mois de février, a lieu le Black History Month. Pendant un mois, toute l’histoire, la fierté et le combat pour l’égalité afroaméricaine sont médiatisés. L’année dernière, Nike a lancé la campagne « Equality » pendant cette période. Elle avait pour objectif de mettre en avant les afroaméricains. Cette année, à l’occasion de la journée de la femme, ils ont poursuivi la campagne avec un hashtag plus féministe #UntilWeAllWin, avec Serena Williams comme égérie. On découvre l’évolution de Serena Williams au fil des années, les critiques qu’elle a subies tout au long de son parcours malgré son palmarès d’athlète extraordinaire, mais aussi à la naissance de son enfant, moment intime où tout le monde s’est permis de faire des remarques sur sa façon d’être mère. Elle porte avec force un message déculpabilisant à destination des femmes : il n’y a pas de mauvaises façons d’être une femme/mère malgré les critiques qui peuvent leur être adressées.

Cette campagne a ensuite été déployée dans les magasins Nike aux États-Unis : les passants pouvaient se prendre en photo avec un polaroïd et écrire sur leur photo ce qu’est, selon eux, l’égalité des chances et des sexes. Le tout était remonté sur un site façon « pinterest », permettant à tous de lire les témoignages.

À ma connaissance, Nike est la première marque à avoir lancé des campagnes exclusivement adressées aux femmes, qui ont toujours été justes et très bien écrites.

On sent qu’il y avait des femmes dans l’équipe qui a pensé la campagne et ce genre de publicité ne peut qu’être inspirante dans mon travail de directrice artistique.

Au passage, on est super fier d’avoir comme partenaire O2 Management, agents de Serena pour l’Europe et l’Asie, la classe !

Coup de gueule contre la campagne contre le harcèlement sexuel de la RATP

Pour continuer avec les campagnes de publicité, mon premier coup de gueule est contre la dernière campagne de la RATP contre le harcèlement sexuel dans les transports. Je trouve tellement dommage que des budgets soient enfin débloqués pour ces thèmes importants et qu’ils soient gâchés dans une campagne qui, selon moi, ne fonctionne pas.

On y voit une femme tenant la barre du métro dans l’obscurité et un animal considéré comme dangereux derrière elle, comme le requin, l’ours ou le loup (qui sont aussi au passage de gros clichés).

La prise de parole de la RATP sur le harcèlement est tout-à-fait légitime, mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas d’adéquation entre le message et la cible dans le cas présent. Toutes les femmes savent qu’il y a des harceleurs dans le métro, elles en sont les premières victimes. Cette campagne cible les hommes mais aucun d’entre eux ne pourra s’identifier et se comparer à une bête sauvage, un prédateur (ou alors pour le coup c’est encore pire comme effet). Elle ne permet donc pas de les sensibiliser, elle se contente d’énoncer les faits.

D’autres pays ont travaillé sur ce problème à travers des campagnes mais en montrant des « M. tout le monde », ce qui a fait considérablement baisser les statistiques de harcèlement dans les transports. Dès lors que les hommes du quotidien peuvent s’identifier et réaliser que les gestes qu’ils pensent anodins sont considérés comme du harcèlement par les femmes, la projection se fait plus facilement et les comportements ont plus de chance de changer. Ce coup de gueule me permet de rappeler l’importance de toujours bien faire correspondre message et cible… Un faux-pas peut entièrement anéantir le sens d’une campagne.

Un dernier petit conseil, toujours veiller à avoir des femmes dans l’équipe de création dans une publicité comme celle-ci et à leur laisser la parole, sur ces sujets, elles savent mieux de quoi elles parlent ;)

Coup de cœur pour le podcast « La Poudre »

Le podcast est un média qui se développe énormément. Il permet de donner la parole à des personnes qui n’auraient pas la même place dans les médias traditionnels, avec un ton moins formaté.

Le premier podcast que je veux mettre en avant est « La Poudre » présenté par la journaliste Lauren Bastide, anciennement chroniqueuse dans Le Grand Journal de Maïtena Biraben. Elle aborde le féminisme de manière très large et reçoit de nombreuses femmes influentes comme des dessinatrices, des cinéastes, des auteures, des femmes politiques. Elle invite ses interlocutrices à parler de leur enfance, de leur rapport avec leurs parents afin de savoir s’ils les incitaient à être elles-mêmes ou s’ils les freinaient, ou encore de leur rapport avec les hommes dans leur travail. Elle a réussi à créer un réseau et une solidarité féminine qui est très inspirante et apaisante.

On peut assister à certains enregistrements des podcasts chez Mona, l’espace de coworking créé par My Little Paris qui a ponctuellement mis à disposition des sessions d’enregistrement ouvertes au public. J’avais assisté à l’une de ces sessions où la journaliste avait invité trois écrivaines : les retours des invitées et du public féminin avaient été super positifs. Cela fait du bien de se retrouver entre femmes uniquement. Elles avaient même remarqué qu’elles n’avaient pas été coupées quand elles parlaient, « ce qui arrive incessamment lors de conférences avec des hommes ». Elles pouvaient donner le fond de leur pensée en toute bienveillance et sans pression.

Le résultat donne des podcasts très intéressants qui creusent les projets en profondeur et nous offrent une autre vision qu’un média traditionnel. Quand on est une femme, écouter ce type de podcast fait juste du bien et donne envie de se bouger pour nos projets !

Coup de cœur pour le podcast « Génération XX »

Génération XX, le podcast créé par Siham Jibril sur l’entrepreneuriat féminin, propose des interviews exclusivement d’entrepreneuses. Elle reçoit des femmes venant de milieux très variés : certaines commencent leur activité, d’autres sont déjà à la tête d’entreprises qui ont levé des fonds, ou encore qui se sont développées à l’international. On peut les écouter parler de leur parcours, de leurs freins en tant que femmes, notamment du fait qu’être une femme à la tête d’une entreprise n’est pas toujours simple à gérer dans une équipe, avec des investisseurs ou même dans la vie perso.

Elles expliquent tout : leurs craintes, leurs freins, leurs challenges, leurs astuces. Elles donnent des conseils pour le quotidien des femmes et pour la vie pro, c’est le grand intérêt de ce podcast. Tout le monde file les infos à tout le monde, on s’entraide, on se soutient, et ça permet aux filles de toutes avancer ensemble. C’est une vraie solidarité et je trouve que c’est ce qui manquait jusqu’à maintenant. Je pense qu’avoir des conseils donnés par des femmes pour des femmes est bien plus efficace qu’un livre de développement personnel écrit par un homme car le contexte ne sera jamais le même que pour eux.

Coup de cœur pour la série animée Star Wars Rebels

Je suis fan de Star Wars depuis toujours. Même si au début c’était un univers très masculin, ils ont bien géré le tournant sociétal. Au fil des années, je trouve que la franchise a aidé à l’évolution de la position de la femme dans la société, notamment avec les derniers films Rogue One et la nouvelle trilogie avec l’héroïne Rey, créant des personnages féminins leaders. C’est encore mieux travaillé dans les séries animées, qui subissent moins la pression du box office, du cinéma, des gros budgets.

Après une première série Clone Wars qui avait déjà des personnages féminins forts, est sorti Star Wars Rebels qui présente les femmes en leaders de manière naturelle et intelligente, égales aux hommes dans les missions et jamais remises en question dans leurs décisions. Tous les personnages sont traités à égalité dans cette série. Je trouve génial que les enfants et surtout les petits garçons voient cela dès leur plus jeune âge et l’intègrent comme étant la normalité. Une bouffée d’air frais, et un scénario à la hauteur pour les fans ;

Disney, qui a racheté Star Wars, a également créé une mini-série au format court de 3 minutes s’appelant « Forces of Destiny » et qui cible les plus jeunes. Cette fois, la série est exclusivement composée de personnages féminins (en tout cas la première saison) et chaque épisode fait un focus sur une thématique, par exemple la confiance en soi ou la solidarité féminine. Ainsi, le message passe aux enfants : les femmes peuvent être fortes, stratégiques, manuelles. Je trouve ça super inspirant.

Coup de cœur pour le film Black Panther

J’ai également un coup de cœur pour le film Black Panther qui a littéralement explosé les chiffres du box office. Les femmes y sont toutes très bien représentées en allant de la jeune sœur ingénieure qui s’occupe de toute la technologie et des équipements militaires en passant par la leader des guerrières qui sert le pouvoir. Je trouve que c’est naturel et j’aurais adoré être une petite fille en 2018 pour voir ce genre de film avec toutes ces femmes badass !

Les producteurs ne s’attendaient sans doute pas à ce succès à cause d’a priori communautaires, et cette réussite fait passer un bon message.

Ce film est très riche également à différents niveaux : graphiquement avec tout le travail sur l’esthétique des traditions, des motifs, des couleurs, et dans les messages tissés dans le scénario à destination de la communauté afro. Il réussit à être intelligent ET distrayant, ce sont ce genre de créations qui m’habitent et qui me parlent !

Coup de gueule contre le marketing genré

Le marketing genré s’adresse aux adultes comme aux enfants ; il est présent dans nos objets du quotidien comme le dentifrice, les rasoirs et tous ces produits packagés par sexe. Un reportage diffusé sur France 5 évoquait une « Woman Taxe » qui prouve que parce que les produits sont genrés, les femmes (et petites filles) payent plus cher que les hommes pour le même produit, uniquement parce que leur packaging est rose ou parsemé de fleurs. Sur le principe je trouve ça dégueulasse, mais cela renforce en plus des clichés qui peinent déjà à évoluer.

Le reportage (un peu long) :

À vrai dire, ce qui me gêne le plus, c’est lorsque cela concerne les enfants. Autant les filles pourront toujours jouer avec des jeux de garçons, c’est acquis et ça ne surprend plus personne depuis longtemps, autant l’inverse choque encore. Le marketing genré impose des frontières et demande encore d’éduquer les marques sur la question.

Quand je vois Lego, marque unisexe et fière de l’être dans les années 80, arriver avec leur gamme fifille remplie de fleurs et de poneys ça me met hors de moi. Oui, on doit encourager les fillettes à construire des vaisseaux et des ponts avec des Lego classiques (en plus, les boîtes de cette gamme ont moins de pièces que celles pour garçons, il faut que ce soit plus « facile » pour les filles). Bref…

Certaines marques arrivent cependant à contrer ce phénomène : Système U propose depuis quelques années déjà des catalogues de jouets non genrés avec des petites filles qui jouent avec des jeux de bricolage ou des petits garçons qui jouent avec des sets de ménage et des poupées.

Dans la même tendance, Hema a décidé en fin d’année dernière d’uniformiser leurs produits enfants : les motifs sont mixtes, les couleurs sont neutres, les produits sont moins différenciés, il n’y a plus un rayon fille et un rayon garçon. Une décision très bien accueillie par le public !

Un dernier coup de coeur pour la BD féminine

Les femmes sont sous-représentées dans la bande dessinée (je pense au coup de gueule des dessinatrices lors de la sélection d’Angoulême il y a deux ans, jury d’hommes, aucune femme sélectionnée).

Je vous propose donc un peu de lecture pour les vacances à travers quelques BD de qualité écrites/dessinées par des femmes, voire on peut le dire féministes ;)

Les Culottées, de Pénélope Bagieu

On ne la présente plus. Sa dernière bande dessinée, en deux tomes (mais à lire gratuitement sur le site du Monde ici : http://lesculottees.blog.lemonde.fr retrace les parcours de femmes fortes et en avance sur leur temps, que la société a quasiment gommées de l’Histoire et qu’elle remet sur le devant de la scène. Il est sorti en anglais en début d’année et cartonne déjà aux US, un succès mérité !

Idéal Standard, d’Aude Picault

Qui montre le quotidien de son héroïne, entre son travail dans un service néo-nat et son parcours amoureux dans un monde au sexisme ambiant diffus mais bien actif. Elle a un trait léger à la Sempé et un humour sans filtre, j’adore !

Moi aussi je voudrais l’emporter, de Julie Delporte

Ce devait être un album sur la vie de Tove Jansson, créatrice et auteure des Moomins, qui a dérivé en autobiographie délicate et mélancolique de Julie Delporte. Ses dessins aux crayons de couleurs enfantins accompagnés de petites phrases poétiques et féministes m’ont vraiment touchée.

Vous l’aurez compris, ce billet d’humeur est une bonne dose de féminisme. C’est quelque chose qui m’anime, m’inspire et nourrit ma créativité. Et pour finir sans confusion rappel de la définition, le féminisme veut bien dire : les femmes ne sont pas supérieures aux hommes mais femmes et hommes sont bien à égalité ».

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