Yann-Maël Larher : “la majorité des innovations sont sociales et organisationnelles”

Loic bardon
SCIAM
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5 min readJul 6, 2020
Yann-Maël LARHER Phd.D — Twitter : @yannmael / LinkedIn : yann-mael-larher/

INTERVIEW - Docteur en relations numériques de travail, Lauréat du Prix des Talents de la Recherche décerné par RUE 89 et FABERNOVEL, Yann-Maël Larher a soutenu en mai 2017 sa thèse intitulée « les relations numériques de travail » sous la direction du Professeur Jean-François CESARO à l’université Panthéon-Assas. Avocat passionné par les nouvelles pratiques collaboratives, il a auparavant travaillé en tant que juriste et en tant que communicant dans différentes organisations (Stratégie Gouv, TOTAL, VINCI).

Il intervient désormais auprès de divers publics (chefs d’entreprises, politiques, étudiants, RH, commerciaux, syndicats) afin de favoriser l’adoption de nouveaux modes de travail. Il a fondé okaydoc.fr, une plateforme de docteurs (PhD) consultants/speakers pour accompagner les entreprises dans leur stratégie d’innovation.

SCIAM . - Nous nous sommes rencontrés en 2018, en tant que chargés d’enseignement d’un séminaire innovation à destination d’élèves en dernière école d’ingénieurs. Vous y êtes intervenu en tant qu’expert en numérique et docteur en droit social.

Votre thèse sur les relations numérique de travail remonte maintenant à trois ans. Quelles nouvelles tendances majeures ont attiré votre attention depuis ?

Yann-Maël Larher . - Le 31 mai 2017, je soutenais ma thèse de doctorat en droit social sur les “Relations Numériques de Travail”. Trois ans après, l’organisation traditionnelle du travail me semble fissurée de partout. Pourtant, on peine encore à mobiliser toutes les potentialités du télétravail, des plateformes numériques ou des réseaux sociaux pour créer de nouvelles formes de collectifs de travail plus efficientes, mais aussi plus équitables.

En réalité, il est essentiel de repenser toutes les règles établies pour la civilisation de l’usine. Il n’est pas aisé de détailler tous les scénarios possibles, mais parce que je crois au partage des connaissances j’ai rendu ma thèse accessible en ligne.

SCIAM . - Covid-19, et le confinement qui en a résulté, ont percuté de plein fouet les modèles collaboratifs (outils, processus, méthodes de collaboration, pratiques managériales…) d’entreprises dont la maturité numérique était hétérogène.

Quelles transformations vous semblent avoir émergé plus rapidement que ce à quoi vous vous attendiez ? Et à contrario, quels freins ont été accentués ?

Yann-Maël Larher . - Télémédecine, télétravail et e-commerce sont déjà les grands gagnants de la crise du coronavirus, mais nous ne sommes pas tous égaux face à Internet. Les personnes non équipées d’un ordinateur doté d’une caméra, ou d’un smartphone, mal à l’aise avec la technique ou situées dans une zone blanche, ne peuvent pas bénéficier des avantages d’Internet. Ce sont donc les familles les plus en difficultés qui vont payer le plus lourd tribut de la crise sanitaire et sociale. De la même façon, dans les entreprises, le télétravail ne s’improvise pas et beaucoup de salariés sont livrés à eux-mêmes faute d’un accompagnement suffisant.

SCIAM . - Vous êtes également avocat en droit du travail et du numérique. Au cours des derniers mois, le télétravail « forcé » de millions de personnes dans le monde s’est accompagné d’une hausse de l’utilisation de logiciels de surveillance. J’ai lu récemment qu’une entreprise avait développé un logiciel d’apprentissage automatique pour mesurer la rapidité avec laquelle les employés accomplissaient leurs tâches et pour proposer des moyens d’en accélérer l’exécution. Ce système attribuant également à chaque personne un score de productivité.

Le droit du travail vous semble-t-il évoluer suffisamment vite pour faire face à l’émergence de ces nouvelles technologies ?

Yann-Maël Larher . - Nous n’avons jamais autant eu besoin de repenser les relations de travail. La métamorphose peut prendre de nombreuses formes, des plus progressives aux plus radicales mais un devoir d’imagination s’impose à toutes les organisations, à la fois pour améliorer leur efficacité mais aussi pour garantir des nouveaux droits aux collaborateurs. Malheureusement, je constate qu’on n’avance pas beaucoup.

Trop souvent on applique aux nouvelles organisations numériques les droits des travailleurs des usines qui ne sont adaptés ni pour garantir les droits des employés, ni pour garantir la pérennité des nouvelles activités économiques. Les outils numériques sont très ambivalents : ils peuvent libérer les humains de contraintes, comme la nécessité de se déplacer pour travailler par exemple, mais aussi produire l’effet inverse.

Je pense, à titre personnel, que le monitoring est contre-productif sur la durée car il épuise les esprits alors que la culture numérique repose plutôt sur la confiance, la responsabilité et l’autonomie des individus.

SCIAM . - Notre système de justice a semblé quelque peu à l’arrêt pendant le confinement.

Quelles en sont les raisons et les enjeux qui en découlent ?

Yann-Maël Larher . - Procédures d’urgence, droit du travail, cybercriminalité, protection des données personnelles, responsabilité des chefs d’entreprises… les questions posées par la pandémie de Covid-19 n’ont pas manqué. La crise sanitaire du coronavirus a révélé au plus grand nombre les dysfonctionnements que traverse la justice dans notre pays. Cette paralysie est d’autant plus inquiétante qu’elle porte préjudice aux justiciables les plus fragiles : alors que les nouvelles technologies devraient favoriser l’accès au droit des citoyens, c’est tout l’inverse qui se produit.

Pour que la justice française soit de nouveau performante, il faudrait d’urgence moderniser le parc informatique de la justice en équipant les greffiers et les juges d’outils performants et d’applications métiers accessibles à distance. Il faudrait également revoir certaines procédures pour les adapter aux évolutions technologiques tout en garantissant des droits équivalents pour les justiciables. La réussite de toute politique de transformation numérique suppose d’y consacrer des moyens et des effectifs formés.

SCIAM . - Vous vous positionnez comme défenseur de l’esprit scientifique et du monde de la recherche.

Quelles vous semblent être les forces et faiblesses du modèle d’innovation français ? Comment devrait-on y remédier selon vous ?

Yann-Maël Larher . - En 2019, selon l’indice mondial de l’innovation, la France n’était que le 16e pays le plus innovant au monde et seulement 9e au niveau européen. Handicapé notamment par la lourdeur de ses institutions, notre pays souffre du cloisonnement des disciplines et d’une sur-représentation des sciences dites dures au détriment des sciences humaines et sociales.

Aujourd’hui, la majorité des innovations sont sociales et organisationnelles. Essentielle pour assurer la compétitivité du pays des lumières dans une économie globalisée, l’innovation est trop souvent restreinte à l’aspect technologique. Le numérique décloisonne les sphères personnelles et professionnelles, il atomise les frontières entre l’entreprise et la recherche mais aussi entre les disciplines.

Comme le fait Okay Doc, il faudrait notamment multiplier les interventions croisées et les partenariats de professionnels de la recherche dans les entreprises et dans les universités. Il ne s’agit plus d’améliorer l’existant ou de reproduire des schémas établis, mais d’en créer de nouveaux.

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Loic bardon
SCIAM
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Head of Digital Transformation & Innovation⚡Founder PARIS SINGULARITY | Passionate about new technologies, new uses and stories about how technologies transform