Chapitre 1 : Prouver que c’est possible

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Agricool
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10 min readMay 18, 2017

À suivre : chaque semaine un nouveau chapitre de l’histoire d’Agricool

Fils d’agriculteurs du nord de la France, Guillaume et Gonzague ont toujours mangé des fruits et légumes excellents, avec du goût, sans pesticide. Quand ils arrivent à Paris pour leurs stages de fin d’étude, ils tombent de haut. C’est presque impossible de retrouver le goût des fruits et légumes de leur enfance. Ils profitent alors des weekends en famille pour faire le plein de produits frais, mais ils le savent, cette solution est éphémère. L’idée de trouver une nouvelle façon de produire, directement en ville, se dessine peu à peu.

Guillaume et Gonzague

Redonner du goût aux fruits et légumes

L’éléctrochoc qu’ils auront à leur arrivée à Paris va être le point de départ de toute cette aventure. Comment l’humanité en est-elle arrivée à produire des fruits et légumes aussi peu savoureux ? Est-ce irrémédiable ou au contraire existe-t’il des solutions ? Guillaume et Gonzague sont persuadés qu’il est possible de changer les choses.

Où est passé le goût ?

À y regarder de plus près, le pari n’est pas si insensé. Le constat est simple. La population mondiale grossit à vue d’oeil. On parle d’une nouvelle Allemagne par an, soit environ 77 millions de personnes. En parallèle, de plus en plus de personnes partent vivre en ville. En France par exemple, la proportion de citadins est passée de 65% à 80% en 50 ans. Résultat, les villes grossissent et les surfaces agricoles s’éloignent. Dans tout ça, les fruits et les légumes se sont perdus en route. Guillaume explique : «C’est un constat. Les fruits et légumes que nous mangeons sont devenus des coquilles vides. Ils sont sélectionnés pour être indestructibles, pas pour être bons ou nutritifs. Ils sont cueillis avant maturité et n’ont plus ni goût, ni vitamines. Maintenant que nous sommes conscients de cette situation, plutôt que d’en chercher les responsables, essayons de trouver des solutions”. Pour Guillaume et Gonzague, la fraise est un des fruits qui reflète le mieux la situation. Et pour cause, 75% des fraises vendues à Paris viennent du sud de l’Espagne ou du Maroc. Avant d’arriver dans nos assiettes, elles ont parcouru plus de 1 500 kilomètres.

Commencer simplement

L’envie est là. Gonzague et Guillaume veulent trouver le moyen de produire autrement. Ils baignent dans l’agriculture depuis qu’ils sont nés mais cela n’est pas suffisant. Pour pouvoir voler de leurs propres ailes, ils ont encore tout à apprendre. “Ce qui est génial aujourd’hui, c’est que la connaissance est partout, accessible à tous. Alors oui, il n’existe pas encore de tuto pour construire le système alimentaire de demain, mais avec Gonzague on a par exemple appris l’électricité sur Youtube. Enfin surtout Gonzague, personnellement j’ai déjà du mal à monter des barres à rideaux ;)” raconte Guillaume. En parallèle de leur école de commerce, ils décident de passer un bac agricole pour se spécialiser.

Début 2015, ils commencent par se familiariser avec les fraises. Ils tentent de faire pousser leurs premiers fruits dans le seul espace disponible : la salle de jeu des enfants d’un oncle de Gonzague. Le système est plus à l’état de bricolage que de technologie. À tel point que Gonzague se lance dans des gardes de nuit. Il veille sur les plants à toute heure, et en cas de problème intervient aussi vite que possible. Il ne doit pas y avoir de fuite. Si les enfants sont ravis d’avoir des fraises au goûter, ils préfèrent autant avoir une salle de jeu intacte. Par précaution, Guillaume et Gonzague installent donc une bâche dans la pièce. Puis ils créent une tour fermée avec 10 pieds à l’intérieur, un petit circuit d’eau et une led devant. Leur objectif ? Sortir au moins une fraise exceptionnelle. Tant que le résultat n’est pas là, ils persistent. Ça tombe bien, les premières fraises commencent à pousser et elles sont excellentes.

Une installation de fortune, mais prometteuse

Ce qu’ils ont réussi à faire avec 10 fraisiers, il faut maintenant le réussir avec 100 ! Il est temps de passer à la vitesse supérieure. C’est dans la cour de la ferme des parents de Gonzague qu’ils auront le déclic. Un container est installé là depuis quelques années. Malgré les apparences, cet espace semble être idéal. On peut y produire en culture verticale, recréer un environnement sain, s’affranchir des pesticides et gagner en productivité. Bon bien sûr, il faut se projeter un peu !

Le container entreposé dans la cour de la ferme des parents de Gonzague

Mais par dessus tout, ce container est une brique de Lego que l’on peut transporter facilement et poser n’importe où. Guillaume et Gonzague se disent alors : « Voilà notre solution ! Si on arrive à faire pousser des fruits et légumes avec du goût dans ce container, on pourra faire la même chose directement en ville. »

Le container entreposé dans la cour de la ferme des parents de Gonzague

Les premiers résultats

Dès mars 2015, ils obtiennent leurs premières « bonnes » fraises dans ce premier container. Pas une minute à perdre. Ils les font goûter à Alice Zagury de The Family . Instantanément, elle retrouve des souvenirs d’enfance : « Chez mon grand-père, il y avait des petits fraisiers sauvages qui poussaient. C’était un bonheur de pouvoir les manger librement. Quand Guillaume et Gonzague m’ont fait goûter leurs fraises, elles avaient exactement la même saveur. Elles étaient excellentes. À Paris pour retrouver ça, il faut aller dans des boutiques spécialisées et payer 10 fois le prix. »

Alice Zagury goûte une fraise

Leur premier pari est réussi. Il est possible de faire pousser des fraises excellentes, sans pesticide, dans un espace fermé, sans lumière et sans … terre. Quand certains s’en offusquent en criant au loup anti-naturel, Guillaume leur explique avec le réalisme d’un homme de la terre : « Non, cela n’est pas naturel. Mais l’agriculture n’a jamais été naturelle. Aucune. Au commencement on cueillait ce que la nature voulait bien nous donner, dans les arbres, les haies… Puis nous avons dû dompter la nature, l’ordonner pour ne pas passer la journée à chasser et cueillir des baies et commencer à faire autre chose de notre temps. Planter sur tout un champ, retourner la terre avec une charrue, est-ce naturel ? Pas vraiment. La question que l’on doit se poser ce n’est donc pas “qu’est ce qui est naturel ?” mais “comment peut-on produire des fruits et légumes sains, avec l’empreinte carbone la plus faible possible, pour tous ?” C’est bien ce que l’on cherche à faire avec Agricool. » Imparable.

Savoir faire et faire savoir

Le container stocké dans la cour de la ferme des parents de Gonzague leur permet donc de réaliser leurs premiers tests. Guillaume se rappelle : « au début, on était dans un container tout pourri : un sol instable, des fuites d’eau, une isolation douteuse. C’était du bric et du broc. Mais malgré tout on réussissait à sortir des fraises avec un goût excellent. Alors si on parvenait à structurer un peu les choses, on pourrait faire quelque chose d’extraordinaire ! ».

Selon leurs calculs, en plaçant 4 murs verticaux et mobiles dans un container, ils peuvent planter jusqu’à 3 600 fraisiers. Pour se rendre compte de la productivité, Guillaume explique : « dans un espace de 33 m2, nous devrions réussir à planter l’équivalent de la surface d’un terrain de football…»

Affiner le mode de culture

En mai 2015, ils démissionnent de leurs jobs et se lancent dans l’aventure avec cette insouciance qui ne les quittera jamais. Comme dans beaucoup de startups, le démarrage est financé par des économies personnelles. Un peu d’argent qu’ils avaient mis de côté grâce à leur précédent travail, ainsi que 20 000 € prêtés par le père de Guillaume (depuis remboursés).

Ils ont conscience qu’il n’y aura pas d’augmentation de productivité sans affiner tous les paramètres. Hygrométrie, substrat, lumière… tout est passé au crible. Ils testent encore et encore. Ils éliminent ce qui ne fonctionne pas, améliorent ce qui semble prometteur. Ils font également le choix de ne travailler qu’avec des énergies renouvelables. Rien n’est laissé au hasard. Ils pensent même à la pollinisation, qui est faite à l’aide d’une boîte à bourdons installée à l’intérieur. Au fur et à mesure que le projet se structure, le container devient limitant. Il est en trop mauvais état. Il leur faut un espace propre et sain. Ils achètent un container d’occasion à Dunkerque. 12m de long, 2,5 de large, quelques égratignures, mais largement suffisant pour leur prochain défi !

Le nouveau container

Techniquement, que vaut la technologie de l’époque ? Pas grand chose se souvient Gonzague : « on sortait 3 fraises. Je caricature mais c’est presque ça. Les murs végétaux étaient loin d’être optimisés. Les cycles d’irrigation étaient mauvais, la lumière inadéquate… Mais surtout, il était impossible de tenir un climat. On avait un gradient énorme : plus de 15° d’un bout à l’autre du container. On gérait mal le CO2 et quasiment pas l’humidité… »

Les premières fraises

Peu importe, Guillaume et Gonzague ont prouvé qu’il savaient faire pousser des fraises dans un container. Et ils ne vont pas s’arrêter en si bonne voie. Ils continuent, testent, améliorent. Ils essayent tous les matériaux imaginables et arpentent chaque jour les rayons du Bricoman Saint Quentin. “C’était énorme !” se rappelle Guillaume. “On connaissait tout le personnel du magasin. Tous les jours on courrait avant la fermeture à 18h30 acheter du matériel, et on recommençait à bosser le soir jusqu’a 23h. Ensuite on allait se coucher, nos lits à 3 mètres l’un de l’autre et on recommençait le lendemain. Il fallait y croire, vraiment.

Faire parler du projet

Pendant plusieurs mois ils expérimentent et développent cette technologie dans la cour de la ferme des parents de Gonzague en Picardie. Après des mois de travail acharné, leur premier vrai prototype est prêt. Il est loin d’être ultra productif et rentable mais il produit des fraises de qualité. Il est temps de faire connaître leur première réussite à un public plus large. Mais d’abord, un petit rafraîchissement s’impose. A cette époque, le projet s’appelait encore Localocal. Au premier abord, ce nom leur avait paru simple, parlant, efficace, international. Ils se sont très vite rendu compte que personne ne le comprenait et que c’était un calvaire à épeler. Alors avec l’aide de The Family, ils ont cherché un nouveau nom. Le brainstorming fuse, jusqu’à la révélation. On parlera désormais d’Agricool. Merci Julia Moroge, directrice artistique de folie. ;-)

Brainstorming

Ca y est ils sont prêts. On est en octobre 2015, et ils décident de poser le premier Cooltainer aux couleurs d’Agricool à Bercy. Pour le transporter, ils sont obligés de couper tous les circuits (eau, électricité, CO2). C’est un gros risque. Les 3 600 fraisiers peuvent subir un choc trop important et dépérir. Pour empêcher les murs végétaux de trop se balader pendant le trajet, ils décident de les sangler. Quant aux leds, qui représentaient à peu près toutes leurs économies, ils les démontent, les protègent et les apportent eux-même en voiture. Ils font transporter le Cooltainer sur l’autoroute A1 et redémarrent tout une fois sur place. Guillaume raconte, “à l’époque on ne savait pas si on irait bien loin avec Agricool, mais en tous cas on aura été les premiers à balader une plantation de fraisiers en pleine croissance sur l’A1”.

Transport du Cooltainer jusqu’à Bercy

Heureusement, l’opération est un succès. La médiatisation et la sensibilisation à cette nouvelle forme d’agriculture peuvent commencer. Une fois posé, le Cooltainer attire les regards et les badauds se demandent ce qui se trame à l’intérieur. Les médias s’entichent du concept. L’opération visibilité prend bien.

Interview donnée par Gonzague

Sans connaissances poussées en agronomie, ils ont réussi à faire pousser des fraises dans un Cooltainer. A ce stade, ils sont convaincus qu’ils pourront rapidement atteindre leur fameux objectif de 7 tonnes de fraises par an. D’ailleurs, dès leur arrivée à Bercy, Guillaume construit une table en bois devant le Cooltainer pour vendre leur production : « On pensait qu’on allait vendre 50 barquettes de fraises tous les jours dès octobre 2015. On y croyait vraiment ! ». Quand ils y repensent aujourd’hui, Guillaume et Gonzague en sourient car l’objectif était intenable. Ils reconnaissent aisément qu’ils n’auraient jamais pu arriver là où ils en sont aujourd’hui sans cette légère touche de naïveté. S’ils avaient connu toutes les difficultés à l’avance ? L’histoire aurait probablement été très différente.

Gonzague et Guillaume

Lisez la suite de l’aventure Chapitre 2 : Muscler l’agronomie.

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