Football & Radio : L’histoire du multiplex (4/8)- Un football français ressuscité et une radio modernisée

Johnny Pilatte
Football & Radio
Published in
9 min readMay 20, 2020
Au centre, Robert Herbin, l’entraineur de l’AS Saint-Étienne à côté du journaliste de l’ORTF Jacques Vendroux, entouré de Pierre Garonnaire (à gauche) et Michel Hidalgo (à droite)

Unique en son genre, le multiplex de football est un programme mythique des stations de radio. La saison prochaine, il quittera sa case traditionnelle du samedi soir pour s’installer le dimanche après-midi. L’occasion de revenir sur l’histoire de ce rendez-vous qui existe depuis près de soixante ans dans le paysage radiophonique.

Afin de comprendre l’émancipation du multiplex des émissions sportives du dimanche après-midi, il est important de revenir sur le contexte sportif et technique de l’époque. L’invention du multiplex s’inscrit à la fois dans une période de renouveau du football professionnel ainsi que dans une époque de mutation de la technique de la radio autant dans la production, la diffusion que dans la réception du média.

Le renouveau du football professionnel

L’équipe de l’AS Saint-Étienne avant la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions en 1976

Créé en 1932, le championnat de France professionnel de football prend une nouvelle dimension dans les années 1970. Amorcé en 1969, le projet d’unification des championnats amateurs et professionnels, avec la création d’un nouveau championnat national, est entièrement réalisé à la fin de la saison 1971–1972. Réorganisée sous forme pyramidale, la hiérarchie des championnats place à sa tête la Division 1, qui succède à la Division Nationale, placée sous l’autorité du Groupement du Football Professionnel (GFP). Les rencontres ne sont plus programmées le dimanche après-midi comme le voulait la tradition, à l’exception de la période hivernale, mais elles sont désormais proposées en soirée, essentiellement le vendredi ou le samedi mais aussi le mardi ou le mercredi.

L’objectif pour Jean Sadoul, président du GFP, est de rendre la compétition la plus attractive possible afin de remplir les tribunes des stades. La billetterie étant au cœur de l’économie du football professionnel, les recettes au guichet représentent alors 80% des entrées financières des clubs. Une mesure phare est prise à l’issue de la saison 1972–1973 pour tenter de dynamiser le championnat. Lors de l’Assemblée Générale du Groupement du Football Professionnel du 19 mai 1973 est adopté le système dit du « bonus » qui donne un point supplémentaire au classement général aux équipes inscrivant au moins trois buts au cours d’un match. Cette réforme permet d’améliorer le spectacle sur le terrain en augmentant le nombre de buts inscrits (1151 lors de la saison 1973–1974 contre 1050 et 947 pour les deux saisons précédentes). Cette règle est cependant modifiée la saison suivante, ne concernant seulement plus que les équipes s’imposant par au moins trois buts d’écart.

Le spectacle est au rendez-vous et le public semble conquis, en atteste les chiffres de fréquentation des stades en augmentation. Pour la première fois lors de la saison 1974–1975 la barre symbolique des quatre millions de spectateurs sur l’ensemble des rencontres du championnat est dépassée. Ce jeu puissant et séduisant est notamment symbolisé dans les années 1970 par l’AS Saint-Étienne qui domine le football français et fait vibrer tout le pays à travers ses épopées européennes. Champion de France en 1974, 1975 et 1976, l’équipe du Forez provoque un véritable « raz-de-marée Vert » en atteignant la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions en 1976. Les joueurs deviennent des vedettes, à l’image de Dominique Rocheteau surnommé « l’Ange vert », et sont attendus sur tous les terrains de France.

Le football, attractif aux yeux des Français, se positionne très largement comme le sport qu’ils souhaitent entendre sur les ondes. Lors de l’hiver 1973–1974, l’Office de radiodiffusion-télévision française (l’ORTF qui a succédé à la RTF) commande à son service des études d’opinion un rapport sur les préférences des auditeurs de la radio pendant le dimanche après-midi (14h-19h) et notamment la place des reportages sportifs. L’étude porte sur les quatre principales stations : France Inter, RTL, Europe n°1 et Inter Variété (station de l’ORTF diffusée exclusivement sur les Ondes Moyennes). Seule la dernière station diffuse des reportages sportifs le dimanche après-midi, avec l’émission Sports et Musique qui a migré des Ondes Longues de France Inter aux Ondes Moyennes d’Inter Variété, les autres proposants des disques ou des émissions de variétés. Elle est la station la moins écoutée des quatre, avec seulement 150 000 auditeurs sur les 5 600 000 présents derrière leur poste à cet horaire, soit à peine de 2,67% des auditeurs et 0,4% de la population totale. Cependant, cet auditoire est très particulier : il est plus masculin, plus âgé mais aussi plus provincial et rural que celui des autres stations. Il dessine le portrait type de l’auditeur attaché aux retransmissions sportives radiophoniques au début des années 1970.

Cet auditoire est donc celui qui est le plus intéressé par les reportages sportifs en direct du dimanche après-midi à 76% (contre 36% pour celui d’Europe n°1, 16% pour celui de France Inter et 12% pour celui de RTL). Un quart des auditeurs du dimanche après-midi est intéressé par les reportages sportifs avec pour sport préféré le football (19%) qui arrive devant le rugby (12%) et le tiercé (3%). Le football arrive en tête chez les auditeurs de trois des quatre stations, seuls ceux de RTL (auditoire plus féminin) y préfèrent le tiercé (14%) devant le football (4%). Chez les auditeurs fidèles des reportages sportifs dominicaux en direct, ceux d’Inter Variété placent le football en tête pour plus de la moitié (55%) devant le rugby (29%) et le Tiercé (17%). Il faut souligner que le public de France Inter, assez âgé et féminin, est plutôt réfractaire aux retransmissions de reportages sportifs, seulement un auditeur sur six est intéressé par ce type de programme. Cette étude permet de montrer qu’il existe un public précis fortement intéressé par le sport à la radio et notamment par le football, même si celui-ci est loin d’être dominant. Avec la diffusion du football hors de la case du dimanche après-midi, les dirigeants vont devoir réfléchir au moyen de conserver cet auditoire en continuant de proposer des retransmissions de football, tout en ne se privant pas de la majorité de leur auditoire qui lui n’est pas intéressé par ces programmes.

Transistor, Nagra et Modulation de Fréquence : la radio en pleine mutation

Publicité du premier transistor Pathe Marconi à Modulation de Fréquence en 1962

Écouter la radio dans les années 1960 n’est plus la même pratique que celle du début des années 1950. Ce média installé au cœur du foyer, dans le salon des appartements, le quitte progressivement pour faire place à la télévision qui émerge. L’écoute collective de la radio se déplace également vers la télévision, le poste radio lui devient nomade grâce à l’invention du transistor. Présenté en France au Salon de la pièce détachée en mars 1955, ce récepteur plus petit, plus léger et mobile va instaurer une nouvelle écoute de la radio : une écoute individuelle. Les premiers transistors sont commercialisés dès 1956. Le nomadisme de la radio va également intégrer l’automobile dès les années 1960. Le transistor se généralise. En 1963, plus de 85% de la population est alors équipée d’un poste radio. Ce nouveau modèle d’écoute va notamment influencer les contenus des stations qui vont pouvoir se spécifier et proposer un panel de programmes plus important pour cibler des publics différents, en particulier les jeunes. Le sport notamment va voir son temps d’antenne sensiblement augmenté.

Comme l’explique Maurice Siegel, l’ancien directeur des services d’information d’Europe 1 (1954–1974) : « Si le transistor a radicalement changé la nature de l’écoute radiophonique, le Nagra a placé l’auditeur au centre de l’événement »[1]. Le Nagra est une autre invention technique qui sera cruciale pour l’évolution du radioreportage sportif. Ce magnétophone portable à moteur électrique est utilisé en premier par la station Europe n°1 dès sa création en 1955. Il va très rapidement être adopté par la RTF et Radio Luxembourg. Léger et facile à transporter, il va progressivement remplacer les lourds amplis-mélangeurs alors utilisés. Auparavant, les radioreporters sportifs se déplaçaient en permanence avec un technicien équipé de deux valises : une valise avec l’ampli à lampe pesant un poids considérable et une autre valise remplie de câbles. Le Nagra va permettre de gagner de la mobilité ainsi qu’une réduction des coûts pour les stations. Et en plus de permettre une liaison directe avec la radio pour effectuer des reportages en direct, il va également pouvoir enregistrer des interviews avant et après les directs notamment pour alimenter les différentes éditions des journaux des stations.

L’innovation technique va également faire évoluer la technique de diffusion des programmes. En 1963, la radio publique entame une refonte de ses stations pour tenter de rivaliser face aux succès de la télévision et des radios périphériques. Trois nouvelles stations voient le jour : France Inter (issue de la fusion entre France I et France II), France Culture (France III) et France Musique (France IV). La première station d’aspect généraliste doit être en mesure de concurrencer Europe n°1 et Radio Luxembourg, la deuxième se positionne sur le créneau de la culture et de l’éducation, quand la troisième se consacre essentiellement à la musique classique. Ce changement est la première pierre de la refonte de l’audiovisuel public qui aboutira à la création de l’ORTF en 1964.

Ces nouvelles stations de radio sont portées par les innovations des techniques de diffusion de leur programme. Au début des années 1950, Wladimir Porché, alors directeur général de la Radiodiffusion-télévision française avait demandé aux ingénieurs d’imaginer un programme spécial pour une diffusion en Modulation de Fréquence (MF). Ce procédé expérimenté dès les années 1930 repose sur le principe de variation de la fréquence de l’onde à modulation en fonction de l’amplitude du signal à transmettre. Au contraire de la modulation d’amplitude jusqu’alors utilisée (en onde courte, moyenne et longue) qui repose elle sur la grandeur, où l’amplitude du signal haute fréquence qui varie en fonction du signal à transmettre. Selon le directeur de la RTF de l’époque : « Ce procédé, la MF, comportait trois avantages principaux et nouveaux : il était possible d’installer dans cette gamme d’ondes un très grand nombre de nouveaux émetteurs. Ils permettaient des émissions d’une qualité artistique très supérieure: musicalité, absence de parasites et de bruit de fond »[2]. Depuis 1954, des programmes sont ainsi diffusés en Modulation de Fréquence par le Programme spécial, station qui avait pour mission de fournir des émissions aux laboratoires de radioélectricité pour l’étude et la mise au point de récepteurs pour le grand public, récepteurs qui n’existaient pas encore en France, ainsi que fournir des émissions aux radioélectriciens. En effet, à cette époque les ventes de transistor s’envolent et il faut des programmes à faire écouter aux acheteurs de postes récepteurs MF. D’autant que les émetteurs MF se développent en lien avec ceux de la télévision car chaque installation nouvelle du réseau de télévision était alimentée par des liaisons de haute qualité et comportait, en plus des émetteurs TV, la possibilité de mise en place de trois ou quatre émetteurs MF dans d’excellentes conditions techniques.

Alors que certains relais en MF existent dès la fin des années 1950, la refonte des stations publiques en 1963 démocratise la Modulation de Fréquence sur ces trois radios ce qui permet de nouvelles perspectives en matière de confort d’écoute et de couverture territoriale. Ce réseau MF offre aux stations un nouvel espace de diffusion pour leurs programmes mais aussi l’occasion de pouvoir y diffuser de nouvelles créations. Depuis le début des années 1960, le programme sportif phare de la station, Sports et Musique est désormais diffusée sur Inter-Variété (Ondes Moyenne) mais aussi sur les décrochages régionaux de France Inter en Ile-de-France et Normandie-Centre. La généralisation de la Modulation de Fréquence sur le territoire va remplacer les Ondes Moyennes, Inter-Variété va s’effacer au profit de France Inter Modulation de Fréquence dans toute la France. Ce réseau va être identifié par les amateurs de sport : il va servir pour la diffusion de nombreuses retransmissions sportives lors de décrochages et par la suite d’écrin au développement du multiplex de football.

Désormais l’auditeur est plongé au cœur du stade grâce à un magnétophone miniature et peut bénéficier d’une écoute dans l’endroit qu’il souhaite grâce à un récepteur nomade. Le tout dans une qualité sonore sans équivalent grâce à la modulation de fréquence. Ces avancés techniques associées au renouveau du football français professionnel déterminent les conditions de l’émancipation et de la consécration du multiplex de football à la radio.

Les autres épisodes :

Episode 1 : « Sports et Musique », l’invention d’un nouveau genre radiophonique

Episode 2: Et Radio Luxembourg créa le multiplex de football

Episode 3: « Tutto il calcio mininuto per minuto », quand l’Italie s’empare du concept

Episode 5 : « Interfootball », le pari de France Inter

Episode 6 : Europe 1, RMC et RTL, quand les stations périphériques entrent dans la course

Episode 7 : L’image et le son, la télévision fait son multiplex

Episode 8 : Face à une nouvelle concurrence, le multiplex des années 2000

Cet article est extrait de mon mémoire de recherche en Histoire Contemporaine, soutenu en 2017, traitant de la médiatisation du sport intitulé « Football et Radio : analyse des rapports à travers l’histoire des multiplex (1975–2012) ».

[1] SIEGEL Maurice, Vingt ans ça suffit : dans les coulisse d’Europe n°1, Paris Plon, 1985.

[2] PROT Robert, Dictionnaire de la Radio, Presses universitaires de Grenoble/INA, 1997.

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