Football & Radio : L’histoire du multiplex (7/8)- L’image et le son, la télévision fait son multiplex

Johnny Pilatte
Football & Radio
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17 min readJun 4, 2020
En 1984, TF1 inaugure son Multifoot présenté par Thierry Roland (à droite) et Didier Roustan

Unique en son genre, le multiplex de football est un programme mythique des stations de radio. La saison prochaine, il quittera sa case traditionnelle du samedi soir pour s’installer le dimanche après-midi. L’occasion de revenir sur l’histoire de ce rendez-vous qui existe depuis près de soixante ans dans le paysage radiophonique.

La propagation du multiplex sur les ondes dans les années 1980 témoigne du véritable succès radiophonique du programme. Dans le même temps, alors que la télévision commence à s’intéresser de plus en plus au football, transposer ce concept sur le petit écran devient une évidence. En 1984, TF1 est la première chaîne à s’y essayer avec une émission intitulée Multifoot. Désormais, la télévision devient un concurrent sérieux aux stations de radio.

« Multifoot », la première expérimentation de TF1

Durant les années 1970, la radio a dû faire face à l’arrivée du football à la télévision. En 1974, l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) est démantelé pour créer sept sociétés. Parmi elles, trois chaînes de télévision : Télévision française 1 (TF1), Antenne 2 (A2) et France Régions 3 (FR3). Cette date marque le début d’une concurrence entre les deux premières chaînes, car même si elles appartiennent toujours à l’État, elles disposent désormais d’une identité propre avec leurs équipes. Très vite, TF1 et A2 se partagent les rencontres de football notamment le parcours de l’AS Saint-Étienne en Coupe d’Europe des Clubs Champions en 1976. Antenne 2 est la première chaîne à miser sur un magazine sportif en lançant, le dimanche 28 décembre 1975, sa nouvelle émission hebdomadaire Stade 2. Présenté par Robert Chapatte, entouré notamment de Roger Couderc et Thierry Roland, le programme repose sur un savant mélange de résultats, de brèves, de reportages et d’enquêtes. Tous les sports sont présents et on peut y voir chaque dimanche quelques images du championnat de France de football.

Ce programme donne des idées à Jean Sadoul, président du Groupement des Clubs professionnels, qui cherche alors une chaîne pour proposer les images du championnat de France afin d’attirer les sponsors dans les stades. Il rencontre alors l’équipe d’Antenne 2. Il leur propose notamment de leur donner les images du championnat mais d’autres sujets sont abordés comme l’explique Robert Chapatte, chef du service des sports de la deuxième chaîne : « J’avais pensé à des soirées multiplex comme j’en avais fait à la radio. Et puis ça ne s’est pas fait …»[1]. Le projet de magazine consacré au football ne séduit pas Antenne 2, celui du multiplex ne convainc pas les clubs. Cependant, l’idée du multiplex est déjà dans la tête des dirigeants de la télévision française. À ce moment-là, la réticence des années 1950 des présidents de clubs de voir la radio vider les stades s’est déplacée vers la télévision. Du côté des télévisions, on croyait peu qu’un sport en particulier puisse attirer les téléspectateurs, c’était l’omnisports qui primait.TF1 prend tout de même le risque, le vendredi 16 septembre 1977, de proposer la première émission consacrée uniquement au football. Initialement intitulée Le Magazine du football, elle repose sur le premier accord entre les instances du football et une chaîne de télévision; entre Georges de Caune (directeur des sports de TF1), Fernand Sastre (président de la Fédération française de football) et Jean Sadoul (président du groupement des Clubs professionnels). Pierre Cangioni, présentateur du programme, le rebaptisera Téléfoot. TF1 débourse 200 000 francs pour proposer cette émission qui ne doit pas être diffusée avant 22h30 les soirs de matchs (vendredi ou samedi) pour laisser le temps aux supporteurs de rentrer chez eux. Elle peut proposer des résumés de 10 minutes de deux rencontres ainsi que les buts des autres matchs filmés par les caméras de FR3. Même si l’émission est programmée tard dans la soirée, souvent même repoussée au-delà de minuit à cause du dépassement des directs de variétés de Michel Drucker, le football trouve dans la télévision son nouvel écrin et entre ainsi dans une nouvelle ère.

Thierry Roland sur le plateau du Multifoot

À la fin des années 1970, le football à la télévision commence à trouver son public. Antenne 2 tente même en 1979 de récupérer l’émission Téléfoot, en vain. Un nouveau pas est franchi en 1984 avec la signature d’un accord de dix millions de francs entre TF1 et la Ligue Nationale de football (qui succède au Groupement des Clubs Professionnels). Cet accord pour trois saisons comprend la diffusion des images du championnat dans Téléfoot, dans les journaux télévisés mais aussi la diffusion de dix soirées Multifoot par an. Proposé pour la première fois le vendredi 28 septembre 1984, ce programme présenté par Thierry Roland propose de suivre la dernière demi-heure de quatre matchs du championnat de France dans un show télévisé accompagné en plateau d’une vedette issue des variétés dans le rôle de grand témoin. À la fin des rencontres, Didier Roustan rejoint Thierry Roland en plateau. L’émission propose alors des sujets ainsi qu’un résumé des rencontres et des interviews des acteurs de la soirée. Pour la première fois, le concept du multiplex est repris par la télévision. Même s’il ne propose que trente minutes de retransmissions (pour des raisons contractuelles) de seulement quatre rencontres (pour des raisons techniques), le concept s’exporte sur le petit écran pour le plus grand bonheur des téléspectateurs. L’émission est calquée sur les émissions sportives radiophoniques du dimanche après-midi des années 1950, elle propose trente années plus tard un format qui a fait le succès du sport à la radio.

Lors de la première émission, Thierry Roland, qui reçoit Julien Clerc comme grand témoin, ouvre l’émission aux alentours de 21h45 sur ces mots : « Bonsoir, soyez les bienvenus au plateau 101 de la Maison de la Radio pour ce premier Multifoot. Une date importante dans les relations, toujours difficiles, entre le football et la télévision. Maintenant tout est bien parti entre TF1 et le football et souhaitons que cela continue longtemps »[2]. Cela montre bien le pas franchi avec cette diffusion de plusieurs rencontres du championnat de France en direct à la télévision. Pour cette inauguration, TF1 avait posé ses caméras sur quatre stades pour suivre les rencontres : Bordeaux — Tours, Nantes — Lens, PSG — Auxerre et Monaco — Laval. Pas de but pendant cette demi-heure de diffusion mais un sentiment commun pour la télévision et le football d’avoir franchi une nouvelle étape dans leur collaboration. Hervé Bourges, président de TF1, met en avant l’innovation du programme : « Je crois que c’est une grande première européenne. Nous avons offert un premier spectacle à nos téléspectateurs qui dure longtemps. Pas seulement quelques minutes de quatre ou cinq matches. Et je crois qu’au cours des dix prochains Multifoot, nos téléspectateurs s’habitueront à ce qui est une image nouvelle à la télévision française et je suis heureux qu’on l’ait inauguré ce soir ». De son côté, Jean Sadoul, se voit réjoui que le spectacle télévisuel offert aux téléspectateurs n’ait pas désempli les stades : « Je pense que la soirée a été agréable à tous les égards. Malgré le mauvais temps qui sévissait sur plusieurs stades, à Bordeaux en particulier. J’ai l’impression que le nombre de spectateurs n’a pas diminué, c’est le souci principal du responsable que je suis ». Tous les acteurs semblent satisfaits, c’est le premier acte du mariage entre le football et la télévision.

Le programme est lancé dans une formule entre sport et variété avec des invités issus du monde des variétés (Enrico Macias, Patrick Sébastien, Gilbert Montagné), dans un grand plateau du studio de la Maison de la Radio et en public. Mais dès la deuxième saison, l’émission change de ligne éditoriale, les invités sont désormais issus du monde du sport pour ne plus ressembler à une émission de variétés, le public est lui abandonné pour des raisons économiques. Le traitement du sport évolue, il se suffit à lui-même pour attirer les téléspectateurs. Après trois saisons, le dernier Multifoot est diffusé le 17 avril 1987. Le lendemain, la Ligue Nationale de Football signe de nouveaux accords avec les diffuseurs, Canal Plus remporte l’exclusivité des rencontres du championnat de France et TF1 conserve Téléfoot. Le lot Multifoot disparaît des accords.

De « Jour de Foot » au multiplex : la patte Canal Plus

À la mi-temps du premier match diffusé sur Canal Plus en 1984, Eugène Saccomano donne le score des autres rencontres de la soirée

En 1984, quelques jours après le premier Multifoot diffusé sur TF1, Canal Plus, nouvelle chaîne à péage, signe également un contrat avec la Ligue Nationale de Football pour diffuser vingt matchs de championnat lors de la saison 1984–1985 (seize matchs en direct et quatre en différé). La chaîne verse 250 000 francs par retransmission de match en direct. La première a lieu le vendredi 9 novembre à l’occasion de la rencontre Nantes — Monaco. Même si la chaîne ne possède que 200 000 abonnés, elle propose un programme de qualité filmé par cinq caméras. La chaîne cryptée cherche également à faire de la radio à la télévision : elle propose l’évolution du score des autres rencontres en surimpression sur l’écran, des résultats donnés par les envoyés spéciaux du multiplex d’Europe 1. À la mi-temps, Eugène Saccomano, qui incarne le football sur la station de radio, rejoint les deux commentateurs pour donner l’intégralité des résultats. L’année 1984 marque l’arrivée du championnat de France de football en direct à la télévision, le petit écran reprend les codes de la radio pour proposer son spectacle sportif.

Après ses premiers pas, c’est dans les années 1990 que Canal Plus va devenir la chaîne du football et du championnat de France, qu’elle diffuse désormais en exclusivité. Le 2 septembre 1992, la chaîne programme un nouveau magazine intitulé Jour de Foot, diffusé le samedi soir moins d’une heure après la fin des rencontres, qui propose le résumé de toutes les rencontres de la soirée. Une véritable prouesse technique qui mobilise près de 160 personnes. Ce magazine se présente comme un véritable prolongement du multiplex radio comme l’explique Thierry Gilardi, présentateur de l’émission : « On note deux clientèles pour l’émission. Ceux qui l’attendent en s’étant mis des œillères et un casque sur les oreilles pour ne rien savoir de la journée et la découvrir dans Jour de Foot. On pense à ces gens-là et c’est pour ça que nous jouons le suspense. Une autre partie des téléspectateurs sont allés au stade, donc ont vu au moins un match et par le biais du haut parleur connaissent les autres résultats. La clientèle de la radio également. Ils jouent le jeu avec nous »[3]. L’émission s’offre même des messages publicitaires toute la soirée lors du multiplex de France Inter.

La réussite du magazine et la renégociation des droits de diffusion du championnat de France poussent Canal Plus à innover à nouveau comme l’explique Charles Biétry, alors directeur des sports de la chaîne cryptée : « J’ai voulu proposer en simultané les dix dernières rencontres de la saison de D1 dès qu’on a obtenu les droits du championnat en entier. C’était pour la saison 1992–1993. Jusque-là, on ne pouvait diffuser que vingt-deux matchs par saison »[4]. Cette prouesse technique de proposer un multiplex intégral avec les dix matchs de la soirée de championnat a été possible grâce à l’expérience des Jeux Olympiques de Barcelone 1992 diffusés dans les mois précédents sur la chaîne à péage. Jérôme Revon, réalisateur du multiplex jusqu’en 2006, explique : « Là-bas, on s’est rendu compte qu’on était capable de passer en direct d’un site à l’autre sans problème. Ensuite, on était aussi équipés de disques durs pour enregistrer les buts et les envoyer tout de suite en légers différés ». Les droits de diffusions acquis et le bagage technique nécessaire engrangé, Canal plus peut proposer à ses abonnés son adaptation télévisuelle du multiplex.

Thierry Gilardi, premier présentateur du multiplex de Canal Plus

Le 29 mai 1993, à l’occasion de la 37e et avant-dernière journée du championnat de France, un multiplex intégral avec les dix rencontres est diffusé lors d’un Jour de Foot spécial. La télévision dispose désormais elle aussi de son multiplex, programmé chaque 37e et 38e journée. La version de la chaîne cryptée est entièrement adaptée du format radiophonique et ne ressemble en rien au Multifoot de TF1. Le multiplex va se créer une identité sonore avec un petit jingle qui retentit à l’antenne lorsqu’un but est inscrit sur un terrain et avant même que ne soient envoyées les images. Ce jingle qui créé une montée d’adrénaline chez le téléspectateur, qui ne sait ni sur quel stade est marqué le but, ni en faveur de quelle équipe, est une idée de Jérôme Revon qui avait demandé à ses ingénieurs du son de le lui trouver : « J’ai choisi le plus désuet de ceux qu’on m’a proposé . Je voulais une musique légère, pas une alerte angoissante comme aux infos ». Il va devenir la marque de fabrique du programme. Le premier multiplex est présenté par Thierry Gilardi, très enthousiaste à l’idée d’incarner la version télévisée du mythique concept radiophonique: « J’avoue qu’on a tous pris un plaisir terrible à faire le multiplex de fin de saison. Là c’était du vrai direct. Mais on ne peut pas proposer sur 38 journées ce spectacle, car ça aurait évidemment une incidence sur la fréquentation des stades »[5]. Pour des raisons budgétaires et techniques, la télévision ne peut être qu’un complément de la radio même si la tendance change avec ce premier multiplex.

Depuis la saison 1993–1994, Canal Plus propose désormais chaque week-end une rencontre du championnat de France en décalé le dimanche soir. Sa programmation est entièrement complémentaire du multiplex radio en proposant Jour de Foot le samedi soir avec les images des neuf rencontres diffusées sur les ondes et la diffusion intégrale de la rencontre phare de chaque journée qui s’installe dans la case du dimanche soir. La véritable révolution a pourtant lieu le 3 septembre 1996. Canal Plus propose sur son bouquet CanalSatellite les neuf autres rencontres par le système de paiement à la séance, communément appelé le « pay-per-view », pour cinquante francs la rencontre. Désormais tous les matchs de championnat sont diffusés à la télévision française. Claude Le Roy, consultant vedette pour ce nouveau dispositif, le présente comme un remplaçant logique aux multiplex radiophoniques : « Cela va permettre à ceux qui ne pouvaient se déplacer de profiter enfin de leur équipe. Ceux qui avaient l’habitude de s’accrocher à leur poste de radio pour écouter les retransmissions vont certainement se rabattre sur Canal+ Plus. L’intérêt de la chaîne, de la télévision en général, c’est que le sport reste vivant et se dynamise »[6]. Désormais la télévision devient un véritable concurrent de la radio et de son multiplex. Si pour l’instant, les neuf rencontres ne peuvent être suivies simultanément, le groupe Canal Plus met en place le « Zap foot », un bandeau qui apparaît sur l’écran à chaque but pour permettre au téléspectateur de zapper sur le match en question et de revoir le but dans les conditions du direct. Le téléspectateur devient le programmateur de son propre multiplex. D’autres incrustations comme « le bloc note » lui permettent également de connaître toutes les informations sur le match qu’il regarde (compositions des équipes, faits marquants) et de revoir les buts inscrits.

Eric Besnard, incarnation du Zap Foot sur CanalSatellite puis du Multifoot de Canal Plus

À la rentrée 2005, le Zap Foot devient un propre canal de CanalSatellite pour proposer chaque samedi soir un multiplex en plus de la diffusion des rencontres en intégralité. Éric Besnard, accompagné d’un consultant, anime l’émission directement inspirée du concept radiophonique : « On n’invente rien, on apporte juste l’image. On dispose des droits de tous les matchs, c’était dommage de ne pas profiter de l’amélioration de la qualité de la réalisation. On va de stade en stade toutes les minutes et on n’hésite pas à recaler les occasions pour ne rien perdre de la soirée »[7]. Les quatre multiplex disposent désormais de leur concurrent télévisé qui propose, à leur différence, des images. En 2008, après renégociation des droits de diffusion de la Ligue 1, le lot correspondant au multiplex du samedi soir disparaît de l’appel d’offre. Le groupe Canal Plus via son service Foot+ continue de proposer les matchs en intégralité mais ne peut plus diffuser de multiplex, sauf lors de journées très précises (1ère, 37e et 38e journées). Le lot revient lors de l’appel d’offre pour la période 2012–2016, il est remporté par BeIn Sport qui rebaptise le rendez-vous Multi Ligue1.

À la télévision, le multiplex sans image

En parallèle de la transposition du concept du multiplex radiophonique à la télévision avec les images, va naître un autre concept télévisuel de multiplex mais celui-ci sans image. Un principe qui pourrait s’apparenter à de la radio filmée mais qui met pourtant en place un véritable dispositif télévisuel.

Soccer Saturday en 1999 sur Sky Sport

La chaîne britannique Sky Sport, est la première chaîne à le proposer. Ce concept répond à une loi qui interdit en Grande-Bretagne toute diffusion de match de football à la télévision le samedi entre 14h45 et 17h15. Cet embargo fut décidé afin de ne pas désemplir les stades au cœur de l’après-midi, horaire à laquelle sont généralement diffusées au moins trois rencontres de première division. Pour répondre à cela, la chaîne propose dès 1992, Soccer Saturday (« Samedi Football »), avec un présentateur, entouré de consultants mais aussi de commentateurs qui font vivre les rencontres entre commentaires et analyses tactiques. Le profil du programme est plus journalistique avec un plateau assez sobre destiné habituellement aux autres programmes sportifs de la chaîne. Le programme se présente comme une véritable alternative à la radio mais ne dispose d’aucune concurrence télévisuelle car ces matchs ne sont pas proposés aux téléspectateurs.

Un an plus tard, le 26 septembre 1993, la chaîne publique italienne Rai 3 propose Quelli che il calcio (« Ceux qui font du Football »). L’émission se présente comme une véritable version télévisée de Tutto il calcio minuto per minuto. Le programme réunit dans un grand plateau de divertissement, en public, un animateur avec des journalistes qui commentent en plateau des rencontres devant un écran sur lequel ils regardent le match. Il y a également des envoyés spéciaux sur les stades. Le ton est convivial, chaleureux et les commentateurs complètement déchaînés. Un spectacle visuel et auditif. Pendant trois heures l’émission est rythmée par l’évolution des résultats mais également aussi des jeux en plateau, c’est un véritable talk-show sportif qui rencontre un certain succès en Italie.

Cette version italienne va notamment inspirer Eugène Saccomano et Europe 1 qui en 1998 va proposer à une chaîne du câble un projet d’émission similaire comme l’explique Marc Fréjean, producteur pour Europe 1 :

À l’époque, Pathé Sport, la chaîne des frères Seydoux était étroitement liée à Europe 1. En 1996, on lance nos soirées football. Puis en 1998, sur Pathé Sport, on lance Le Match du Lundi qui était la première émission de débat sur le football […] Et dans cet univers-là de télévision qui fait briller les journalistes, ils réfléchissent toujours à dire ce qu’ils pourraient faire en plus. Eugène Saccomano qui adore l’Italie, se nourrit beaucoup du football italien. Il existait sur la RAI, une émission où les journalistes étaient derrière un écran, chacun regardait un match, ils étaient filmés debout devant un écran de télévision qu’on ne voyait pas et chacun représentait un match. Il y avait un journaliste-animateur de l’autre côté, avec des diapositives derrières lui selon le match qu’il suivait. Et il allait voir les journalistes qui commentaient les matchs en leur demandant ce qui se passait sur leur rencontre. Et ils faisaient des commentaires comme s’ils étaient en direct du stade. On a voulu reproduire ça à la télévision. Mais ça n’a jamais existé. [8]

Alexandre Ruiz a tourné un pilote en 2009 d’une version télévisée du multiplex d’Europe 1 pour Direct 8

Ce projet n’aboutit pas mais il va pourtant rejaillir dix ans plus tard. Et si les dirigeants de la station ont changé, c’est toujours Europe 1 qui est à l’origine de ce nouveau projet. À la fin de la saison 2008–2009, la station équipe ses correspondants régionaux pour réaliser un pilote du programme, comme l’explique Loïc Folliot, correspondant à Nantes : « On avait fait un test pour commenter les matches en filmant les commentateurs, parce qu’on n’avait pas les droits des images. On avait reçu des ordinateurs pour faire un test pendant un multiplex en fin de saison »[9]. L’idée est de transposer le multiplex de la station de radio à la télévision avec Alexandre Ruiz à la présentation, une personnalité bien connue des téléspectateurs, et les envoyés spéciaux qui seraient filmés en direct des stades mais avec aucune image de la rencontre. Thierry Clopeau, directeur des sports, explique alors « chercher de nouvelles ressources que la publicité »[10]. Le pilote de l’émission est tourné pour Direct 8, une chaîne de la TNT qui diffuse régulièrement du sport sur son antenne. Mais le projet n’aboutit finalement pas pour des raisons juridiques.

Cependant l’idée semble plaire aux diffuseurs français. Pendant l’été 2011, CFoot, la chaîne de télévision appartenant à la Ligue de Football Professionnel diffusée sur la TNT payante, tourne également un pilote de multiplex sans image. Imaginé par Éric Hannezo, producteur exécutif de la chaîne, le programme doit être présenté par Francesca Antoniotti et Lionel Rosso. Aux commentaires, en direct des studios de la Plaine Saint-Denis, sont prévus Smaïl Bouabdellah, commentateur de la chaîne, mais aussi Thierry Roland (M6), Eugène Saccomano (RTL) et Jean Resseguier (RMC). L’émission ne verra elle aussi jamais le jour.

La grande soirée de la Chaîne L’Equipe qui a enfin installé le multiplex sans images à la télévision française

Sans doute par frilosité, les chaînes françaises ne souhaitent pas mélanger les genres : à la télévision les images, à la radio le son. L’Équipe TV, alors chaîne d’information sportive en continu payante, réalise une première tentative présentée par le journaliste Henri Ghnassia. Il explique le dispositif : « C’était en 2009–2010. À l’époque, j’étais tout seul en plateau devant un fond vert et je contactais au téléphone les envoyés spéciaux de L’Équipe entre deux flashs pour faire le point sur les rencontres… »[11]. Très minimaliste, l’idée sera néanmoins reprise six ans plus tard, en août 2016. Renommée La Chaîne L’Equipe, et désormais diffusée sur la TNT, elle propose un format bien plus ambitieux pour imposer ce programme en France sous le titre de La Grande Soirée, entre commentaires endiablés de journalistes devant leur écran et éclairages tactiques. Une émission qui a beaucoup fait parler d’elle et qui fut un succès populaire pour la chaîne de la TNT. Pour le public, c’est le retour du « ton » radiophonique qui avait pour beaucoup été oublié. Cependant, l’émission se consacre essentiellement aux grandes affiches du dimanche soir, même si elle propose des multiplex lors des dernières journées de championnat.

Dès les années 1980, la télévision renforce son traitement du football. Le championnat de France s’offre une exposition régulière à la télévision et son modèle de diffusion est totalement calqué sur celui la radio avec la création d’un concept dérivé du multiplex radiophonique. L’idée est bien de transformer les auditeurs en téléspectateurs, d’ajouter l’image au son et d’offrir la retransmission la plus complète. L’arrivée de Canal Plus et les avancées technologiques ont fait de la télévision payante un véritable concurrent aux radios. Toutefois, la fragmentation des droits télé et l’inflation du prix des abonnements pour s’offrir l’intégralité du football ont créé un regain d’intérêt pour offrir du football gratuitement aux passionnés. Dans ce sens, la télévision s’est adaptée pour produire des multiplex sans images. Dans le même temps, face à la diffusion de l’intégralité des rencontres à la télévision payante, les radios ont elles aussi dû réinventer leur traitement du football, le format multiplex n’en a pas été exempté.

Les autres épisodes :

Episode 1 : « Sports et Musique », l’invention d’un nouveau genre radiophonique

Episode 2: Et Radio Luxembourg créa le multiplex de football

Episode 3: « Tutto il calcio mininuto per minuto », quand l’Italie s’empare du concept

Episode 4 : Un football français ressuscité et une radio modernisée

Episode 5: « Interfootball », le pari de France Inter

Episode 6 : Europe 1, RMC et RTL, quand les stations périphériques entrent dans la course

Episode 8 : Face à une nouvelle concurrence, le multiplex des années 2000

Cet article est extrait de mon mémoire de recherche en Histoire Contemporaine, soutenu en 2017, traitant de la médiatisation du sport intitulé « Football et Radio : analyse des rapports à travers l’histoire des multiplex (1975–2012) ».

[1] MAITROT Eric, Sport et Télé. Les liaisons secrètes, Paris, Flammarion, 1995.

[2] « Multifoot », 28 septembre 1984, TF1

[3] BERTRANDE Arnaud, « Thierry Gilardi « « Jour de Foot » est unique en Europe … », Le Foot, n°9, août 1993.

[4] MARIVAL Julien, « Clap de fin pour le « Multifoot », L’Équipe, 12 mai 2016, p.51

[5] BERTRANDE Arnaud, « Thierry Gilardi « « Jour de Foot » est unique en Europe … », Le Foot, n°9, août 1993.

[6] « Votre match pour 50 F », Satellite TV magazine, n°107, septembre 1996.

[7] DEGOULET Guillaume, « Le multiplex s’invite à l’écran », L’Équipe, 22 novembre 2005.

[8] Entretien réalisé avec Marc Frejean en 2017

[9] Entretien réalisé avec Loïc Folliot en 2018

[10] « Le multiplex d’Europe 1 bientôt à la télé ? », TéléLoisir.fr.

[11] MARIVAL Julien, « Chelsea-PSG sur L’Équipe21 », L’Équipe, 9 mars 2016.

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