“Dans le cadre du football et de la décision sportive, l’intelligence collective peut et doit servir les décideurs aux côtés d’autres outils, mais elle ne peut pas les remplacer. Chacun a un rôle créateur de valeur et ce pour le profit de tous.”

EPISODE 7 : l’intelligence collective vue par les doers

Zelda Bas
SCIAM
15 min readMay 11, 2021

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INTERVIEW - Le cercle des « doers » de l’intelligence collective continue de s’agrandir ! Après être partis à la rencontre de Nina Bufi, Marc Santolini, François Taddei, Charles Sirot, Philippe Méchet et Céline Tréguer, nous sommes ravis de partager ce nouvel épisode de notre série exploratoire sur l’intelligence collective au cours duquel nous avons échangé avec Edouard Bouvet, CEO et co-fondateur d’IQollectiv.

Image par Zelda Bas de SCIAM

Edouard BOUVET est CEO et co-fondateur d’IQollectiv, un éditeur de solutions technologiques en marque blanche créées pour maximiser l’engagement de “la foule” et tirer parti de l’intelligence collective à large échelle (notamment celle des supporters des clubs de football pour faciliter les prises de décisions des clubs professionnels de sports collectifs).

Avant de co-créer IQollectiv avec Raphaël Pessy, Edouard a travaillé une douzaine d’années dans le conseil en stratégie, en banque d’affaires, en tant qu’investisseur en venture capital et en tant que directeur de la stratégie d’une néobanque, filiale d’un groupe international.

Au fil de sa carrière, il a de nombreuses fois été amené à utiliser l’intelligence collective, à petite échelle, notamment pour mettre en œuvre des démarches de design thinking et imaginer des partenariats pérennes entre grands groupes et startups. Edouard décide alors de creuser plus en détail les préceptes de l’intelligence collective. C’est notamment en lisant les résultats de la fameuse expérience menée par Francis Galton en 1906 qu’il se passionne pour le potentiel de l’intelligence collective à large échelle, d’abord en dévorant de nombreux ouvrages puis en décidant de bâtir une solution technologique, accessible à tous les décideurs, pour transformer l’intelligence collective de la foule en outil d’aide à la prise de décision.

SCIAM . - Comment définissez-vous l’intelligence collective ?

Edouard Bouvet. - “Intelligence collective”. Les mots sont particulièrement bien choisis.

Tout d’abord, il s’agit vraiment d’une forme d’intelligence. Ce n’est pas la manifestation d’un mouvement de masse (potentiellement source d’inintelligence !), initié par des leaders et amplifié par des suiveurs. Par « intelligence », il faut entendre le résultat de la réflexion, le processus de la manifestation de l’intellect humain, et non pas se limiter à des points de vue spontanés, pas forcément réfléchis.

Par ailleurs, il est important de noter le singulier. Il ne s’agit pas « des intelligences » mais de la manifestation d’une seule et unique « intelligence » à part entière, différente, qui naît de plusieurs.

En outre, cette intelligence n’est pas « commune » dans le sens d’une unanimité ou d’une majorité ou d’un compromis potentiellement affaibli. Elle est « collective », c’est-à-dire inclusive des points de vue différents, égalitaire et elle tend vers une certaine forme d’exhaustivité.

Enfin, il faut noter qu’il n’apparaît nulle part dans le terme « intelligence collective » l’idée d’une vérité parfaite et incontestable. C’est un outil formidable, complémentaire de nombreux autres. Mais elle ne constitue en rien une garantie absolue alors qu’elle incarne une puissance de calcul impressionnante issue de la somme de cerveaux humains.

Au-delà des mots, l’intelligence collective prend différentes formes en fonction de la façon dont on l’appréhende : de l’atelier de design thinking en qui réunit cinq personnes dans une pièce pour les faire converger vers une idée, jusqu’à la démarche industrialisée regroupant des milliers de personnes au travers d’un processus normalisé. Les deux peuvent également être considérés comme une forme d’intelligence collective.

Chez IQollectiv, nous aimons définir ainsi l’intelligence collective : Convergence, rationalisation et agrégation des intelligences et connaissances des “agents” d’une communauté pour rendre intelligible et exploitable leur analyse collective, à condition d’obéir à une méthodologie rigoureuse, mise en œuvre par un système mathématiquement fiable et structuré.

En tout cas, cette définition correspond à ce que nous entendons proposer à nos partenaires !

SCIAM . - Quand avez-vous pris conscience de ce phénomène d’intelligence collective pour la première fois ?

Edouard Bouvet. - L’intelligence collective est partout. Il est assez banal de faire remarquer qu’on accomplit plus collectivement qu’individuellement. Lorsque l’écoute est bien ancrée dans un groupe, les nuances des uns compensent souvent les biais des autres. Les questions des premiers poussent les raisonnements des seconds dans leur retranchement, l’engagement du groupe augmente l’engagement personnel…

Pour ma part, je suis souvent sorti enthousiaste de sessions de design thinking. Nous aimions dire, avec d’anciens collègues, que nous « crackions » des sujets. C’est vraiment ce que nous ressentions ! En réfléchissant ensemble, nous créions une sorte de “super cerveau” qui nous rendait capable d’abattre les murs que nos intelligences individuelles n’auraient pas égratignés. Ce sont des sensations très fortes. Encore plus quand l’équipe est soudée. On en ressort, certes souvent épuisé, mais aussi flatté d’avoir relevé un défi complexe, d’avoir fait naître quelque chose, d’avoir aidé les autres à devenir meilleurs et de soi-même l’être devenu… C’est épanouissant humainement en plus d’être créateur de valeur.

Etant passionné par le sport, je sais que ce sentiment est identique avec ceux que font naître les disciplines collectives. Une équipe d’individualités fortes, mais qui ne travaillent pas pour le collectif, est foncièrement moins forte qu’une équipe, composée d’individualité d’un niveau plus faible, dont la cohésion et la démarche ont été travaillées et mis au service d’un objectif commun. Les exemples sont très nombreux et c’est d’ailleurs ce qui fait la beauté du football. Il est assez fréquent de voir une équipe d’amateurs “aux pieds carrés” tenir la dragée haute à des stars parce que leur salut passe par la collaboration et le dépassement des individualités. Certains experts parlent même de QI football.

SCIAM . - Vous êtes CEO et co-fondateur de la startup IQollectiv, une solution permettant d’exploiter l’intelligence collective des supporters sportifs. Parlez-nous d’IQollectiv. Comment votre projet est-il né ? Quelle est votre proposition de valeur ?

Edouard Bouvet. - IQollectiv adresse aujourd’hui aussi bien les clubs professionnels de sports collectifs que les collectivités et communautés. Notre valeur c’est d’engager la foule (fans, citoyens, collaborateurs) et de permettre à nos clients d’exploiter l’intelligence collective.

Nous avons bâti nos solutions pour qu’elles s’adaptent à de nombreux cas d’application, quelle que soit la maturité digitale de notre partenaire (nous fournissons aussi bien des apps que des SDK ou des API) ou son identité visuelle (solution en marque blanche).

Nous avons commencé et particulièrement creusé l’intelligence collective en tant qu’outil d’engagement des fans et d’aide à la prise de décisions (business ou sportives) des clubs professionnels de sports collectifs.

Tout cela est né de nos passions (le sport et l’intelligence collective) et de plusieurs constats de marché. Très vite, nous avons voulu que nos solutions permettent de répondre à différents problèmes et dysfonctionnements inhérents à l’écosystème du sport professionnel. D’un côté, les clubs de football professionnels sont confrontés à trois défis : la perte d’engagement et de monétisation des supporters, la dangereuse dépendance financière vis-à-vis des droits TV (60% des revenus en moyenne voire plus), et la détérioration de leur image et de leur modèle. De l’autre, beaucoup de supporters vivent actuellement leur passion de manière douloureuse. Ils ressentent à la fois une puissante dépendance émotionnelle vis-à-vis du club, un sentiment de manque de reconnaissance de leur implication, et une impression que leur expertise sportive, qui est pourtant réelle et dont ils sont fiers, est inutile.

Ce sont pourtant deux pièces d’un puzzle qui s’emboîtent parfaitement. Les solutions d’IQollectiv adressent ces besoins pour créer un cercle vertueux visant à engager les supporters, optimiser les revenus et utiliser l’intelligence collective au profit de la performance, qu’elle soit business ou sportive.

SCIAM . - Votre solution sera bientôt live. En attendant, vous avez adopté une démarche scientifique pour tester vos convictions sur la puissance de l’intelligence collective, pouvez-vous nous en dire plus sur votre démarche ?

Edouard Bouvet. - Nous ne sommes pas des chercheurs, ni des scientifiques mais des entrepreneurs cherchant à apporter de la valeur grâce à des produits et services.

En revanche, il est fondamental pour nous de le faire honnêtement, c’est-à-dire en respectant et en mettant en œuvre des solutions s’appuyant sur les dernières découvertes scientifiques au travers d’une méthodologie structurée. Nous croyons fermement en la science de l’intelligence collective et nous nous interdisons de lui nuire. Au contraire, nous voulons contribuer à son essor.

Nous nous entourons donc d’experts (en intelligence collective, du monde du sport, du monde de la technologie, du design, du monde du business…) qui savent nous guider, répondre à nos interrogations pour que nos solutions ne soient pas que des mots en l’air.

Nous échangeons par exemple régulièrement avec Mehdi Moussaid, chercheur en sciences cognitives de l’institut Max Planck de Berlin que vous avez eu l’opportunité d’interroger il y a quelques mois, dont l’expertise et les bons conseils méthodologiques sur l’intelligence collective nous servent de boussole lorsque cela est nécessaire. Nous sommes également, et entre autres, accompagnés par Stéphane Martin, qui cumule la double casquette de dirigeant de grand club professionnel de football et d’ancien trader. La pertinence de ses questions sur les sujets mathématiques de nos modèles et son expertise du foot business sont des garde-fous de très grande valeur ajoutée.

La démarche scientifique implique généralement une observation, qui mène à la théorie, qui mène à la prédiction, qui mène à l’expérience, qui mène à une nouvelle observation, qui mène à… Il s’agit d’un véritable cercle vertueux. Nous adoptons une approche similaire dans tout ce que nous faisons. Au pied de la lettre pour le développement de nos algorithmes. Mais aussi de manière adaptée pour le développement de nos produits : observation (d’un besoin marché), élaboration d’une théorie (de solution pour répondre à ce besoin), prédiction (d’une valeur ajoutée), expérimentation (de la faisabilité et de la capacité de cette solution à créer effectivement de la valeur et à répondre correctement au besoin marché identifié), ajustements itératifs (de la solution, grâce à des panels de testeurs et à un déploiement progressif de nos produits en collaboration avec nos partenaires/clients), et publication (lancement du produit !).

En science c’est la démarche expérimentale. Pour les développements informatiques, c’est la méthode agile. En marketing, on parle de “test & learn”… Tout se recoupe : idée, hypothèse, test, prise d’informations, optimisation, itérations multiples et lancement !

SCIAM . - Comment les principes de l’intelligence collective se traduisent-ils concrètement dans IQollectiv ?

Edouard Bouvet. - Utilisons un exemple : avez-vous déjà été témoin ou acteur d’une conversation entre cinq amis qui débattent de la meilleure équipe à aligner pour un match de football diffusé le soir à la télévision ?

Les cinq ont un point de vue sur le dispositif tactique, sur la philosophie de jeu à appliquer, sur les joueurs à aligner, sur les objectifs à atteindre, selon le contexte, selon l’adversaire… Il est extrêmement rare d’avoir deux avis identiques à 100%. Alors 5…

Imaginez maintenant que vous êtes le sixième larron de la bande et que votre mission est de poser noir sur blanc la tactique de tout le groupe. Celle qui ne vexe personne, qui n’avantage aucun des contributeurs, qui est également représentative de la réflexion de chacun. Elle doit être également satisfaisante pour tous. Elle doit aussi se vouloir extrêmement pertinente puisque la manifestation de l’expertise cumulée de tous les contributeurs. Elle doit créer de la valeur.

Vous avez un papier, un stylo. A vous de jouer… Bon courage ! Et bien, c’est là que les découvertes scientifiques sur l’intelligence collective et les solutions technologiques développées par IQollectiv prennent tout leur sens. Y compris, à l’échelle, pas seulement pour cinq personnes mais potentiellement pour plusieurs dizaines de milliers et quasiment en temps réel.

La valeur ajoutée pour les supporters est énorme : ils sont enfin écoutés sur les sujets qui comptent pour eux et peuvent enfin jouer un rôle actif pour l’équipe au-delà des encouragements.

La valeur ajoutée pour le club est aussi immense et multiple : il comprend mieux ses supporters, les connaît mieux, les engage mieux, peut leur parler de manière plus fine et mieux se faire comprendre et il bénéficie de leur expertise pour faciliter et améliorer ses prises de décisions (business ou sportives).

SCIAM . - De manière générale, doit-on davantage écouter l’avis des citoyens, des collaborateurs, des supporters ? Concernant le foot plus particulièrement, qu’est-ce que cette intelligence collective apporte aux clubs ?

Edouard Bouvet. - La réponse est évidemment OUI.

C’est le sens de l’histoire moderne. Un restaurant, un chauffeur Uber, un vendeur sur Amazon, l’empire Apple ou un candidat à une élection ne peut plus s’abstenir, en 2021, à l’heure où la communication est devenue si fluide, de prendre en compte le point de vue de ceux à qui il adresse son discours, son service ou son produit.

Allez-vous plus facilement dans un hôtel avec 1000 commentaires élogieux et 5 étoiles sur Tripadvisor ou dans un hôtel qui stagne à 2 étoiles et dont les commentaires négatifs sont les mêmes depuis des années (preuve qu’il n’évolue pas en prenant en compte l’avis de ses clients) ?

On conçoit des produits, des services ou des propositions pour satisfaire les besoins d’une population. On ne se contente pas de croiser les doigts pour qu’une initiative, construite au hasard, plaise à des clients que l’on ne connaît finalement pas parce que l’on n’échange jamais avec eux. Tout le monde donne son avis, s’exprime et influence les décisions. Il est nécessaire pour les acteurs économiques d’en tenir compte pour être compétitifs.

Le sport professionnel (et plus particulièrement le football) s’est considérablement modernisé ces dernières années mais n’est pas encore réellement mature sur cet aspect, malgré d’incontestables avancées. Aux yeux de nombreux clubs, le rôle des supporters est encore aujourd’hui surtout celui de spectateurs globalement passifs. Au grand désarroi de ces derniers, car ils veulent jouer un rôle pour et au sein du club. Pourtant, que le club le veuille ou non, les fans s’expriment sur les sujets qui les passionnent (sur les réseaux sociaux, entre eux dans la rue, sur des sites indépendants de supporters…). Alors autant que les clubs rationalisent, canalisent et utilisent cette donnée pour créer de la valeur à tous les niveaux (image, social, marketing, monétisation, sportif…).

SCIAM . - Selon vous, pourquoi parlons-nous de plus en plus d’intelligence collective? L’intelligence collective répond-elle à un contexte particulier ?

Edouard Bouvet. - Je pense que le fait que l’on parle aujourd’hui de plus en plus de l’intelligence collective est la conséquence d’une conjonction de plusieurs facteurs et évolutions.

Il y a sans doute d’abord une première vague issue du design thinking pour qu’émerge l’intelligence collective à une échelle réduite. La tendance s’est développée naturellement tout simplement parce que c‘est une méthode qui fonctionne bien (ce n’est pas une solution miracle bien sûr mais c’est une méthode qui a fait ses preuves), et c’est une méthode humainement épanouissante pour les collaborateurs et fédératrice dans les entités où elle a été mise en œuvre. De l’intelligence collective à petite échelle à celle à plus large échelle, il n’y a qu’un pas, qu’on est vite tenté de faire.

Les moyens technologiques permettent aujourd’hui de traiter des quantités considérables de données. Ce qui n’était pas le cas il y a 25 ans. Le formidable outil qu’est l’intelligence collective à large échelle est donc devenu plus accessible et connu. En conséquence, l’intelligence collective a été beaucoup plus étudiée (par des grandes universités, par des groupes privés) et beaucoup plus mise en main du grand public.

De nos jours, avec l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, le caractère public des points de vue est quasiment devenu une norme. Que cela plaise ou non, on donne son avis sur tout, tout le temps, (même lorsqu’on ne connaît pas particulièrement un sujet) et on le diffuse à la planète entière, pour des raisons souvent personnelles certes, mais aussi mécaniquement pour faire avancer le débat. Cette tendance est entrée dans les mœurs. Chacun considère avoir son mot à dire. Tout n’est pas à garder, c’est le moins que l’on puisse dire (on voit aussi se déverser sur les réseaux beaucoup de haine et de fake news), mais la tendance est malgré tout réelle et la source de valeur potentielle est incontestable.

Enfin, bien que je ne sois pas historien, je pense tout simplement que chacun a conscience au fond de lui que la plupart des grandes avancées et créations humaines sont souvent les résultats de démarches collectives.

SCIAM . - Comme le montre James Surowiecki dans “La Sagesse des foules”, l’intelligence collective ce n’est pas simplement mettre des personnes en groupe. Votre expérience vous a-t-elle permis d’identifier ce qui fait émerger l’intelligence collective ? Y a-t-il des règles pour bien capter l’information ?

Edouard Bouvet. - James Surowiecki a fait un travail de synthèse puissant en résumant en quelques mots simples la très grande difficulté à faire émerger correctement l’intelligence collective : il faut une méthodologie rigoureuse permettant de garantir la multitude, la diversité et l’indépendance des contributions individuelles, et les agréger par un système fiable.

La multitude, la diversité et l’indépendance sont très complexes à appréhender. Elles peuvent vite être des vases communicants et se nuire mutuellement. Par exemple, Internet démocratise l’accès à du contenu. Mais la capacité d’influence de certains leaders d’opinion s’est également décuplée (au point d’en devenir un métier, « les influenceurs » qui vous orientent ce que vous devez aimer…) au profit de la pression sociale et donc au détriment de l’indépendance et enfin de la diversité. Car les gens vont sur Internet pour s’exprimer mais aussi pour trouver un sentiment d’appartenance, quitte à parfois nuancer leurs propres convictions et réflexions pour se sentir acceptés.

L’interface avec le contributeur à l’intelligence collective doit donc être construite pour le pousser à réfléchir, par lui-même (et donc en indépendance), tout en étant informé suffisamment (pour garantir la pertinence de son analyse) et objectivement (pour ne pas l’influencer). A ce titre, IQollectiv a ainsi investi significativement sur le design de ses solutions, afin d’optimiser la captation de l’information la plus pure, simple et saine possible.

Il faut aussi s’adresser à des typologies suffisamment diversifiées de contributeurs eux-mêmes suffisamment nombreux. La collaboration avec nos partenaires est à ce titre clé. Ils disposent d’une base de fans parfois immense et cherchent au quotidien à l’élargir. Il faut donc, avec eux, la comprendre au mieux pour qu’elle puisse servir efficacement l’intelligence collective.

Ensuite, il faut traduire la grande quantité d’informations protéiformes en des données lisibles et analysables. Sans nuire à l’essence et au sens des contributions.

Une fois que vous disposez de l’information lisible, il faut réussir à la traiter grâce à des modèles mathématiques construits par des concepteurs qui ont été particulièrement vigilants à ne pas induire malgré eux de biais d’analyse.

Enfin, il faut restituer l’information synthétisée, encore une fois sans y induire de biais.

C’est une démarche de très grande rigueur où la recherche de l’amélioration continue est clé.

SCIAM . - Pouvez-vous nous raconter votre pire et votre meilleure expérience d’intelligence collective ?

Edouard Bouvet. - Notre pire expérience est en réalité une frustration. L’intelligence collective n’est pas un oracle. Elle n’a rien de magique. Elle contribue à maximiser la prise de décision mais ne peut pas anticiper la réalité de manière systématique et ne peut pas décider à la place des décideurs.

Par exemple, lorsqu’une solution d’’intelligence collective prédit que la réponse à une question est A à 73% et B à 27%, cela signifie implicitement que la réalité montrera à terme que A qui sera pertinent plus ou moins 73 fois sur 100 et B plus ou moins 27 fois sur 100.

En revanche, vous ne pouvez pas considérer que la prochaine fois, ce sera nécessairement A. L’intelligence collective ne dit pas cela. Or, quand vous testez l’intelligence collective avec un potentiel futur partenaire et que le premier résultat réel tombe sur B alors que la solution prédisait A à 73%, cela peut avoir un effet déceptif !

Le corollaire (la suite directe de l’anecdote A ou B) constitue justement la meilleure expérience d’intelligence collective que nous vivons chez IQollectiv.

Grâce à cela, votre partenaire comprend vraiment que l’intelligence collective est un formidable outil au service de ses équipes expertes. Elle ne les remplace pas. Elle les aide dans leur analyse. C’est justement ses équipes qui, grâce à leur expertise, savent déjà qu’il est très possible que le prochain résultat soit B. Et dans ce cas, savoir que l’intelligence collective indique B pertinent à 27% est potentiellement l’information qui confirmera leur propension à finalement décider B.

Finalement, notre métier est de transmettre clairement une information issue de la sagesse des foules. C’est à nos clients de l’exploiter avec leur savoir-faire et à leur manière.

SCIAM . - Selon vous, quel est le piège de l’intelligence collective ?

Edouard Bouvet. - Cela va dans le prolongement de ce que l’on vient de dire. L’intelligence est ultra-pertinente. Mais elle n’est pas un despote à suivre aveuglément à chaque fois.

Dans le cadre du football et plus spécifiquement de la décision sportive, elle est un outil complémentaire, au même titre que l’intelligence artificielle, les statistiques, les objets connectés, les analyses des techniciens au bord du terrain… Mais elle ne remplace pas les grands professionnels qui ont accès à des informations confidentielles, à des problématiques de politique interne, à des intuitions issues d’expériences inaccessibles au grand nombre…

L’intelligence collective peut et doit servir ces décideurs, aux côtés d’autres outils. Mais elle ne peut pas les remplacer.

Le piège serait pour le supporter de croire que l’intelligence collective peut remplacer l’équipe dirigeante. Pour le staff du club le piège serait d’être effrayé par une mauvaise compréhension de ce que propose l’intelligence collective. Bien au contraire, l’idée clé c’est que chacun a un rôle créateur de valeur, et ce pour le profit de tous.

SCIAM . - Avez-vous un livre, podcast, article en lien avec l’intelligence collective à nous partager ?

Edouard Bouvet. - Si l’on veut s’intéresser à l’intelligence collective, James Surowiecki et « La Sagesse des foules » sont un point de départ incontournable. On peut aussi s’initier préalablement en lisant « Supercollectif » d’Emile Servan-Schreiber, qui est agréable à lire et écrit par un authentique expert.

Dans un second temps, « Superminds » de Thomas W. Malone est aussi excellent. Il est professeur au MIT Center for Collective Intelligence, une référence mondiale sur le sujet depuis des années.

On peut aussi, pour jouer à l’archéologue, lire l’article “Vox Populi”, de Francis Galton paru en 1907 dans Nature.

Au-delà de la théorie de l’intelligence collective, il est aussi intéressant d’analyser ses manifestations et plus globalement le comportement de la foule. Et dans cette optique, je ne peux que vous conseiller de lire « Fouloscopie », best-seller de Mehdi Moussaid et de suivre son excellente chaîne youtube qui porte le même nom.

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