La recherche sur la méditation de pleine conscience s’améliore-t-elle au fil du temps ?

Malgré les effets “prometteurs” souvent décrits dans nombre d’articles scientifiques et des médias dithyrambiques à leur sujet, la faiblesse méthodologique des études sur la méditation de pleine conscience est mise en exergue dans la littérature depuis plus de 20 ans. Quel est l’état actuel de la recherche ? Ces critiques ont-elles conduit à une meilleure qualité des études ? La mise au point offerte par les résultats d’une revue systématique de 2017 et sa mise en perspective avec une des dernières publications (françaises) en date peuvent apporter quelques éléments de réponse.

Free Binder
8 min readAug 26, 2023
“Mindfulness Clock” (Instructables.com)

Cette revue systématique (Goldberg et al., 2017) portait sur 142 études cliniques et visait à évaluer “dans quelle mesure la recherche sur la pleine conscience a démontré une rigueur accrue au cours des 16 dernières années concernant 6 caractéristiques méthodologiques” mises en évidence dans la littérature, à savoir :

  1. Utilisation d’un contrôle actif pour “fournir un test du bénéfice unique ou supplémentaire qu’une intervention de pleine conscience peut offrir, au-delà des bénéfices non spécifiques associés à l’effet placebo” ;
  2. Échantillons de plus grande taille permettant d’ “augmenter la fiabilité des effets rapportés et augmentent la puissance statistique” ;
  3. Évaluation de l’intervention dans le temps (suivi) pour “évaluer dans quelle mesure les effets du traitement sont maintenus au-delà de la fin de l’intervention” ;
  4. Évaluation de la fidélité au traitement pour “examiner dans quelle mesure le traitement donné a été délivré comme prévu” ;
  5. Rapport sur la formation des instructeurs afin d’ “augmenter la probabilité que le traitement soit dispensé par des personnes qualifiées, ce qui devrait, en théorie, influencer la qualité du traitement fourni” ;
  6. Et enfin, des analyses en intention de traiter impliquant d’ “inclure les personnes qui peuvent avoir abandonné l’étude et/ou qui n’ont pas terminé l’intervention qui leur a été assignée”.

Les résultats “décourageants“ montrent que “les études ne deviennent, en moyenne, pas plus rigoureuses avec le temps”.

Bishop (2002) est un des premiers à avoir proposé une lecture critique de la méthodologie employée dans les études sur la pleine conscience et à relever que la littérature est “en proie à des problèmes méthodologiques” amenant à “des affirmations d’efficacité pouvant être exagérées” : manque de groupes de comparaison actifs, absence relative d’évaluation de suivi des résultats ou encore manque de mesure des biais dans les réponses des patients. Baer (2003) souligne la portée limitée des études n’incluant pas de groupe contrôle ou reposant sur des conditions de contrôle non actif, “nécessaire pour tenir compte de l’influence des caractéristiques de la demande et des effets placebo”, tout en discutant des “limites liées à la petite taille des échantillons dans de nombreux essais” ainsi que du “manque d’évaluation de l’intégrité du traitement ([…] formation des thérapeutes, évaluation de la fidélité au traitement)”.

Davidson & Kaszniak, 2015.

Davidson et Kaszniak (2015) – dont il est souvent fait mention dans ce blog – relèvent l’impossibilité des essais contrôlés par placebo (en double aveugle) dans ce champ de recherche et préconisent des conditions de comparaison à la fois “plausibles et thérapeutiques” (= un contrôle actif spécifique). Leurs autres recommandations concernent “l’évaluation cohérente de la fidélité au traitement, de la formation des instructeurs et de la crédibilité des instructeurs, ainsi que l’inclusion d’analyses en intention de traiter”. Enfin, Kuyken et al. (2016) rappellent “l’importance de l’évaluation de l’avantage relatif de la méditation par des comparaisons avec des conditions de contrôle actif, du compte rendu de la fidélité au traitement et de la nécessité d’une évaluation de suivi plus longue”.

On peut constater que ces lacunes méthodologiques animent depuis plus de 2 décennies les discussions sur les preuves d’efficacité des interventions de pleine conscience. Penchons-nous sur les résultats :

  1. “Aucune preuve que des études plus récentes sont davantage susceptibles d’inclure une condition de contrôle actif” ;
Goldberg et al., 2017

2. “Augmentation légèrement significative de la taille de l’échantillon au fil du temps” ;

Goldberg et al., 2017

3. “Aucune augmentation de la probabilité qu’une étude donnée inclue des évaluations de suivi” et “aucune preuve que la durée du suivi augmente au fil du temps, en ce qui concerne les études qui incluent un suivi” ;

Goldberg et al., 2017

4. “Augmentation légèrement significative de la déclaration de la fidélité au traitement”, quand bien même “moins de la moitié des études (32,39 %) l’ont évaluée” ;

5. “Aucune preuve que les études plus récentes soient davantage susceptibles [en ce qui concerne les instructeurs] de rapporter une formation antérieure à la pleine conscience ou une formation au protocole spécifique de pleine conscience dispensé”.

6. “Augmentation légèrement significative des analyses en intention de traiter”.

[Google Images]

En conclusion, les auteurs précisent que “dans les 142 études publiées entre 2000 et 2016, il n’y avait aucune preuve d’augmentation d’un indicateur de qualité des études […]. Dans l’ensemble, il n’y avait que des preuves modestes que la qualité de la recherche sur la pleine conscience s’est améliorée. Sur les 6 caractéristiques de conception de l’étude évaluées dans cette revue, aucune augmentation significative n’a été notée dans l’échantillon complet, et les tailles d’effet étaient très faibles selon les directives standard”.

“À certains égards, ces résultats sont décourageants. Des efforts scientifiques (et des ressources financières) considérables ont été consacrés à la recherche sur la pleine conscience, [d’où une] croissance exponentielle des publications dans ce domaine, mais les études ne deviennent, en moyenne, pas plus rigoureuses avec le temps” […]. Le fait de suivre les recommandations nécessite probablement “des ressources financières plus importantes, [mais] les contraintes budgétaires et la pression pour publier ne peuvent pas expliquer le manque d’amélioration dans les six domaines évalués”.

Bien que ces limites méthodologiques ne soient pas propres à la recherche sur la pleine conscience et que des préoccupations concernant la taille de l’échantillon et la reproductibilité soient également très présents, par exemple en psychologie, les auteurs suggèrent finalement que “la critique de Bishop (2002) sur ce domaine comme en proie à des problèmes méthodologiques reste valable plus d’une décennie plus tard”.

***

À titre d’exemple, sélectionnons une des dernières études en date (Rezende et al., 2023) :

Son objectif consistait à “comparer les effets de 5 semaines de pleine conscience [via une tablette informatique] versus un entraînement cognitif sur les performances du contrôle inhibiteur chez 66 enfants et 63 adolescents”. Les résultats montrent que “les interventions ont bénéficié aux enfants, mais pas aux adolescents. Plus précisément, l’entraînement cognitif a amélioré les capacités d’inhibition dite froide […], tandis que la pratique de la pleine conscience a amélioré l’inhibition chaude”.

  1. Pas de groupe contrôle ;
  2. Échantillon (n= 129) de taille supérieure à la moyenne (de 2017) ;
  3. Pas d’évaluation dans le temps (suivi) ;
  4. Une évaluation de la fidélité au traitement qui n’est pas rapportée dans l’analyse : une auto-évaluation des participants et ”un appel téléphonique au moins chaque semaine pour s’assurer qu’aucun problème technique n’a retardé ou perturbé la pratique ainsi que pour vérifier si l‘intervention est suivie à la bonne fréquence et dans les bonnes conditions”.
  5. Pas de rapport sur la formation des instructeurs. L’intervention consistait en une série d’exercices pré-enregistrés inspirés de la traduction française de l’ouvrage de Snel (2013) (de type MBSR), à réaliser à l’aide d’une tablette tactile : “les instructions ont été données par l’expérimentateur en personne au laboratoire. Parce que les participants étaient censés être autonomes dans leur pratique, les adolescents participants et les tuteurs légaux des enfants participants ont été formés sur la manière de réaliser une séance de formation et ont reçu des instructions pour garantir une pratique de qualité, comme effectuer les exercices dans un endroit calme et de façon régulière” ;
  6. Pas d’analyse en intention de traiter : les auteurs précisent que 22 participants ont été exclus de l’analyse pour cause d’abandon ou de temps de pratique insuffisant.

“Les études ne deviennent, en moyenne, pas plus rigoureuses avec le temps”.

Ajouté en rouge : l’étude de Rezende et al., 2023. (Goldberg et al., 2017)

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Par Free Binder, 2023. Suivre sur TwitterX.

Références

– Simon B. Goldberg, Raymond P. Tucker, Preston A. Greene, Tracy L. Simpson, David J. Kearney, Richard J. Davidson (2017). Is mindfulness research methodology improving over time? A systematic review. PLOS One, 10/31/2017. URL: https://doi.org/10.1371/journal.pone.0187298

– Gabriela Rezende, Lorna Le Stanc, Iris Menu, Mathieu Cassotti, Ania Aïte, Emilie Salvia, Olivier Houdé, Grégoire Borst, Arnaud Cachia (2023). Differential effects of mindfulness meditation and cognitive training on cool and hot inhibitory control in children and adolescents. Journal of Experimental Child Psychology, 235. URL: https://doi.org/10.1016/j.jecp.2023.105741

– Davidson, R. J., & Kaszniak, A. W. (2015). Conceptual and methodological issues in research on mindfulness and meditation. The American psychologist, 70(7), 581–592. URL: https://doi.org/10.1037/a0039512

Sur ce blog

Tango versus Pleine conscience, Free Binder, 2023.

Les résultats d’une des dernières méta-analyses sur les effets de la méditation de pleine conscience chez l’adulte, Free Binder, 2022.

Les dernières méta-analyses sur les bienfaits de la pleine conscience en milieu scolaire (octobre 2022), Free Binder, 2022.

La méditation de pleine conscience est-elle forcément laïque ?, Free Binder, 2022.

La note du Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN) sur « la méditation de pleine conscience à l’école », par Free Binder, 2022.

La dernière méta-analyse sur les bienfaits de la pleine conscience (juillet 2022), Free Binder, 2022.

Revues de pleine conscience, Cochrane systematic reviews, Free Binder, 2022.

De la méthodologie de pleine conscience, Free Binder, 2022.

Les sources de financement de la méditation de pleine conscience, Free Binder, 2022.

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