PARTIE 2 — Les définitions du Design Thinking et son but

Le Design Thinking est-il du design ? (6/…)

Mathieu Veil
Le Design Thinking est-il du design ?
8 min readMay 29, 2022

--

D’après un schéma du Design Thinking (source).

« The approach referred to as “Design Thinking”, also called “human-centered design” or “user-centered design” ». (Liedtka, 2018).

Voilà une définition du Design Thinking que l’on a retrouvée et qui est
vraisemblablement erronée. Elle assimile Design Thinking et design centré humain ou utilisateur, ce qui est une erreur. Le Design Thinking peut être, éventuellement, utilisé comme outil pour le design centré utilisateur, mais cela s’arrête là. Le Design Thinking n’est pas propre au design centré utilisateur, et le design centré utilisateur ne peut pas être résumé au Design Thinking.

Ce sont ce genre de définitions, qui pourraient être décrites comme fallacieuses, qui provoquent une confusion, une incompréhension sur le but et l’utilité du Design Thinking.

Nous avons notamment relevé ce problème de la définition qui était rarement donnée clairement. A titre d’illustration plusieurs formations principalement destinées aux professionnels qui pour définir le Design Thinking utilisaient 3 phrases :

  • La première résumant le contexte de la formation ;
  • La deuxième expliquant ce que les précédents étudiants avaient accomplis ;
  • Et la dernière disant que « pour cela, nous utilisons le Design Thinking », ce qui est une véritable pétition de principe qui n’est pas exceptionnelle dans ce contexte, au contraire, on la revoit dans beaucoup de tentatives de définition de la méthode.
Photo venant du site Usabilis (source)

Ce qui correspond donc à une définition du Design Thinking, ne donnant littéralement aucune définition de ce dernier. Et c’est là que réside l’un des principaux problèmes que connaît le Design Thinking. Il n’y a pas de définition posée et universelle dessus. Dans son article, Tiphaine Gamba (2017) cite également Herbert Simon, qui en 1978, décrit le design comme un mode de pensée, se démarquant de ceux pour qui le design consiste avant tout à donner forme aux objets physiques plus semblables à la vision industrielle du design. Cette définition reste centrée sur la discipline du design et non sur la méthode du Design Thinking, mais demeure néanmoins une base intéressante à prendre.

Illustration trouvée sur cet article Medium

La définition d’Herbert Simon n’est bien évidemment pas la seule à exister. Des définitions très variées, avec leurs similitudes mais également leurs différences existent lorsqu’on parle du Design Thinking. Au cours de nos recherches, nous en avons retrouvé une multitude. Parmi les similitudes pouvant être retrouvées, ce sont celles que Gilles Balmisse et al. (2020) définissent comme suit que nous retrouvons visiblement le plus fréquemment : « mais quels que soient la définition ou le point de vue pris, les trois dénominateurs communs à tous les auteurs, chercheurs et experts du Design Thinking sont :

  • L’approche par tâtonnement rigoureux ;
  • L’approche centrée sur l’utilisateur ;
  • La vision pluridisciplinaire ».

Comme dit précédemment, nous avons retrouvé de nombreux termes qui reviennent en plus des similitudes citées par Gilles Balmisse et al. (2020). Parmi les termes qui reviennent le plus souvent pour parler et décrire le Design Thinking, nous pouvons citer :

  • « Processus de pensée » (Johansson-Sköldberg et al., 2013) ;
  • « Méthode de projet » (Vial, 2014) ;
  • « Concept » (dit « parapluie ») (Balmisse et al., 2020).

L’une des définitions qui nous semble pertinente de citer dans cet article est celle de Tim Brown. Celui-ci nous donne donc la définition suivante, pouvant être retrouvée sur le site internet de l’agence Ideo : « une discipline qui utilise la sensibilité, les outils et les méthodes des designers pour permettre à des équipes multidisciplinaires d’innover en mettant en correspondance attentes des utilisateurs, faisabilité et viabilité économique».

Visuel de l’agence Ideo (site)

D’autre part, pour définir le Design Thinking, Lucy Kimbell (2011) part du postulat suivant : le designer apporte une façon unique d’examiner les problèmes et de trouver des solutions. Il a, en somme, un regard différent qui se pose sur les problèmes. Elle décrit alors une version du Design Thinking avec quatre ordres de conception. Ces ordres de conceptions se rapprochent des artefacts sur lesquels les praticiens du design ont tendance à travailler : les signes, les choses, les actions et les pensées. La vision du Design Thinking qui est proposée ici concerne moins les designers individuels et la façon dont ils conçoivent, mais cherche plutôt à définir le rôle du design dans le monde actuel selon l’auteur.

Une autre définition proposée par Rikke Dam, décrit quant à elle, un process itératif, où on cherche à comprendre l’utilisateur, à redéfinir les problèmes et à trouver et identifier des solutions qui ne viennent pas au premier abord (Dam & Siang, 2018). Avec cette définition proposée, on navigue entre deux visions du Design Thinking. Cette définition sous-entend nous présenter le Design Thinking comme une méthodologie aidant ou du moins soutenant la créativité, mais il semblerait que cette méthodologie est plus une méthode aidant à la concrétisation des idées.

Développer sa créativité ou concrétiser un idée ? (source)

Dans son article, Tiphaine Gamba (2017) nous dit qu’au cours des années 1990, Richard Buchanan présente le Design Thinking comme un concept qui peut s’appliquer dans tous les domaines, qu’ils soient tangibles ou intangibles. Déjà à cette époque, on voit une notion importante, le Design Thinking peut, du moins théoriquement, être employé dans un contexte autre que celui du design. En effet, en parallèle, Buchanan définit quatre grands champs d’intervention du designer : la communication visuelle, les objets matériels, les activités et services organisationnels, ainsi que les systèmes complexes ou environnementaux. Au même moment, le Design Thinking est défini et formalisé par la Stanford University et l’agence Ideo, comme un processus d’innovation avec une méthodologie, des étapes et des outils spécifiques. Ce processus s’étend alors bien au-delà du spectre du design.

Visuel des 4 champs du design de R. Buchanan, tiré de cet article

Chanal et Merminod (2019), quand à eux, décrivent la méthode comme suit : « le Design Thinking est une démarche créative de résolution de problème qui emprunte les principes, les méthodes et les outils du design […]. Elle est centrée sur l’humain […] et l’empathie vis à vis de l’utilisateur […] et met en œuvre des principes d’observation, de collaboration, de prototypage rapide et d’apprentissage par le faire […] ». Dans la continuité de leur propos, elles nous expliquent qu’il existerait trois manières de définir le Design Thinking : les activités réalisées ou le processus (process), les techniques et outils (toolbox) et les principes généraux ou l’état d’esprit (mindset).

La définition du Design Thinking serait alors un choix dans un triptyque qui semble assez abstrait tant on peut trouver ces trois éléments ici distincts, dans une seule et même définition chez d’autres auteurs ou dans des descriptions de formations professionnelles.

Pour Cathy Briest Breda et al. (2017), il s’agit, en parlant du Design Thinking, d’une méthode contribuant à augmenter la capacité créative des équipes. Le but serait de s’inspirer des manières de penser et d’agir des designers pour améliorer l’identification d’idées de produits ou de services et d’avoir de nouvelles idées, de nouvelles options de “scénarii” pouvant impacter la stratégie de conception que vont mener les équipes utilisant cette dite méthode.

Le NN Group, fondé par Jakob Nielsen et Don Norman, propose directement trois définitions du Design Thinking dans une vidéo disponible sur leur chaîne YouTube :

  • Première définition, « le Design Thinking est un processus strict, permettant de résoudre un problème, une problématique en suivant des étapes » ;
  • Deuxième définition, « le Design Thinking est un mindset, qui a pour but de changer la façon de penser habituelle » ;
  • Troisième définition, « il faut voir le Design Thinking comme une boite à outil, permettant de faire des rapprochements entre les problèmes organisationnel (donc internes) et les “end-user problems” (donc externes) ».

Ces trois définitions ne sont pas sans nous rappeler les trois définitions proposées par Cathy Brest Breda un peu plus tôt (Breda &Yanat, 2017).

Maintenant que nous avons mis en avant l’existence de la multitude de définitions que connaît le Design Thinking, il semble pertinent, pour le prochain article de cette série, de prendre un peu de recul sur la méthodologie afin de voir à quel point elle s’est popularisée au point de sortir du seul cadre du design.

👋 Cette série d’article est co-rédigée par Marie Leroy, Éléonore Sas et Mathieu Veil, étudiant en master 2 Design d’expérience utilisateur à l’Université de Technologie de Compiègne (UTC). N’hésitez pas à nous faire des retours par commentaire !

Les articles déjà parus :

  1. Pourquoi questionner le Design Thinking ?
  2. PARTIE 1 — Intérêt renouvelé pour la pensée des designers
  3. PARTIE 1 — Rendre compte de la pensée du designer
  4. PARTIE 1 — Une pensée en transduction avec la pratique
  5. PARTIE 2 — Les origines du Design Thinking

Références de l’article

Balmisse, G., Ferry, A., & Mebarki, F. (2020). Design Thinking, une méthode au service de l’innovation.

Breda, C. B., Richard, D., & Yanat, Z. (2017). Design Thinking et Théorie U : vers une nouvelle ingénierie des espaces de discussion pour développer le mieux-être au travail ? Management & Sciences Sociales, 22(22), 38–55.

Chanal, V., & Merminod, V. (2019). Comment adresser les problèmes pernicieux de manière créative avec le design thinking ? Management international/International Management/Gestiòn Internacional, 23, 143–158.

Dam, R., & Siang, T. (2018). What is design thinking and why is it so popular ? Interaction Design Foundation.

Gamba, T. (2017). D’où vient la « pensée design » ? I2D-Information, donnees documents, 54(1), 30–32.

Johansson‐Sköldberg, U., Woodilla, J., & Çetinkaya, M. (2013). Design thinking: past, present and possible futures. Creativity and innovation management, 22(2), 121–146.

Kimbell, L. (2011). Rethinking design thinking: Part I. Design and culture, 3(3), 285–306.

Liedtka, J. (2018). Exploring the impact of design thinking in action. Darden Working Paper Series.

Vial, S. (2014). De la spécificité du projet en design : une démonstration. Communication et organisation, (46), 17–32.

--

--