La note du Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN) sur « la méditation de pleine conscience à l’école »

Free Binder
7 min readNov 15, 2022

--

Quelques commentaires sur la partie « Revue des connaissances scientifiques » concernant les « applications cliniques de la pleine conscience chez l’adulte » et les « interventions en milieu scolaire ».

Applications cliniques de la pleine conscience chez l’adulte

La note du CSEN indique que les psychothérapies basées sur la pleine conscience visant à réduire des troubles psychologiques « ont fait l’objet de centaines d’essais cliniques contrôlés, […] ont l’un des meilleurs niveaux de preuve d’efficacité [et] ont montré une efficacité similaire aux interventions ayant le meilleur niveau de preuve pour les troubles mentaux (TCC). »

Dans un article publié dans le journal L’Express du 14 novembre dernier, l’auteur principal de cette note ajoute que sont publiées chaque année « des centaines d’études [portant] sur des dizaines de milliers de participants avec la méthodologie la plus rigoureuse » qui montreraient que « la méditation de pleine conscience est l’une des formes de psychothérapies […] les plus efficaces pour les adultes ayant des troubles psychologiques ».

On pourrait ajouter que, comme le relèvent certains observateurs, les acteurs de ce champ de recherche peinent à prendre en compte les recommandations visant à davantage de robustesse méthodologique et d’indépendance. Mais également que ces études sont autant de preuves que les interventions de pleine conscience n’obtiennent pas de meilleurs résultats que les autres traitements psychothérapeutiques.

Les troubles psychologiques

« En résumé, les psychothérapies basées sur la pleine conscience ont un effet positif sur de nombreux troubles psychologiques chez l’adulte ».

Quel est donc cet effet positif indiqué plus loin par les auteurs de la note ? Ces derniers s’appuient sur une unique méta-analyse : co-financée par le Mind and Life Institute – principal organe de promotion de la pleine conscience fondé par le Dalaï-Lama, celle-ci suggère « des résultats globalement non significatifs […] potentiellement positifs […] sans groupe contrôle actif, ce qui constitue donc un faible niveau de preuve. »

Dans tous les cas, des effets non supérieurs aux autres traitements psychothérapeutiques fondés sur les preuves (la note préfère parler quant à elle d’« efficacité similaire »).

En l’occurence ici, un effet positif de taille faible (0.23–0.29 Cohen’s d) établi au plus haut niveau de preuve (avec contrôle actif spécifique) et de taille faible à modérée (0.35–0.55) avec un niveau de preuve plus faible (traitement usuel, groupe d’attente, contrôle actif non spécifique).

Reformulons :

« En résumé, les psychothérapies basées sur la pleine conscience ont un effet positif FAIBLE, voire modéré selon le niveau de preuve, sur de nombreux troubles psychologiques chez l’adulte ».

Les compétences cognitives

Poursuivons avec le paragraphe concernant les effets sur les compétences cognitives, qui est par ailleurs plus nuancé que le passage précédent (c’est donc dans ce premier champ que peut être placé tout l’espoir des promoteurs de la pleine conscience) :

« L’effet d’interventions basées sur la pleine conscience sur certaines fonctions cognitives chez l’adulte […] est probablement réel et positif mais modeste ».

Que veut dire ici « modeste » ? Ces propos s’appuient sur 3 méta-analyses :

  • La première conclut dans son abstract qu’« en général, les résultats suggèrent des résultats non significatifs pour l’attention, la mémoire de travail et la mémoire à long terme » tandis qu’une faible taille d’effet est observée pour la fonction exécutive.

En l’occurence ici : effets non significatifs sur l’attention (0,07), la mémoire de travail (0,16) ainsi que la mémoire à long terme (-0,12) et effet faible sur la fonction exécutive (0,29) (SMD = différence moyenne standardisée).

  • La deuxième méta-analyse – dont le deuxième auteur anime des ateliers de pleine conscience et est co-auteur d’un livre sur le sujet – conclut globalement sur des effets positifs de faible ampleur par rapport aux groupes de comparaison (inactifs) et des effets nuls par rapport aux groupes contrôles actifs.

En l’occurence ici, en comparaison au contrôle inactif : indicateur global (hedges’ g = 0.15), fonction exécutive (0.15), mémoire de travail (0.36).

Ce qui fait dire aux auteurs de la note du CSEN que cette étude démontre :

« des effets positifs modestes sur les fonctions exécutives, en particulier sur la mémoire de travail ».

Reformulons :

Des effets positifs de taille FAIBLE sur les fonctions exécutives et faible à modérée sur la mémoire de travail lorsque les études ne sont pas soumises au plus haut niveau de preuve (= sans contrôle actif). Et des effets nuls comparés au contrôle actif (haut niveau de preuve).

  • Enfin, une troisième méta-analyse rapportée montrerait selon la note « des effets plus vastes sur l’attention, le contrôle exécutif et la vigilance [mais] de plus faible qualité méthodologique ».

Des effets positifs « plus vastes », certes, mais toujours faiblement significatifs (g = 0.15–0.25 d’après l’abstract de l’étude en question).

Bouclons la boucle. Modeste = taille d’effet faible voire non significative.

Les interventions en milieu scolaire

Nous arrivons à la partie sur les interventions en milieu scolaire – principal objet de cette note. Les propos sont ici davantage nuancés et rappellent à juste titre que « les effets observés sont globalement faibles » sur l’anxiété, le stress, les capacités cognitives et le comportement des élèves. Dans le résumé de la note, on parle d’« effets positifs modestes ».

Que signifie ici « modeste »… ?

Le CSEN s’appuie sur une unique méta-analyse (publiée récemment, sur laquelle j’avais fait un thread il y a quelques semaines).

Dunning et al., 2022.

Les auteurs de l’étude en question soulignent dans leur conclusion que « l’enthousiasme pour les interventions de pleine conscience chez les jeunes a sans doute devancé les preuves [qui] sont en général de faible qualité et non concluantes. »

Pour info, voici encore deux autres méta-analyses récentes moins nuancées sur la question.

Rappelons enfin une des recommandations suggérées à 2 reprises dans la note, à savoir que « compte tenu des nombreuses questions restant ouvertes à propos de ces pratiques […], une attitude prudente pourrait être d’en limiter pour l’instant l’usage au cadre des recherches scientifiques ».

Encadré figurant à la fin de la note du CSEN, novembre 2022. Contrairement au deuxième point de l’encadré (sur 10), les auteurs ont fait le choix de ne pas préciser dans le premier que les effets « bien validés scientifiquement » et à l’« efficacité prouvée sur les troubles psychiatriques » chez les adultes sont néanmoins de taille faible à modérée. L’adjectif « modeste » aurait aussi pu convenir !

Voilà donc quelques ajouts d’ordre méthodologique mis de côté par les rédacteurs et experts en charge de la relecture, parmi lesquels on trouve par ailleurs un pur produit académique du Mind & Life Institute ainsi qu’un des principaux promoteurs de l’entrée de la pleine conscience à l’école.

La question du fondement spirituel/religieux

Dans son résumé, la note du CSEN indique que « les pratiques de pleine conscience se sont développées depuis plusieurs décennies sous des formes non religieuses ou spirituelles ».

On peut lire plus loin : « Concernant le risque […] d’entorse à la laïcité, il devrait en principe être écarté si l’on applique la recommandation ci-dessus de restreindre les interventions en classe à celles qui ont une efficacité prouvée et qui sont pratiquées conformément au protocole par des intervenants dûment qualifiés. Cela supposerait que les instances décisionnaires aient les moyens de faire de telles vérifications ».

Que l’on s’en tienne alors aux interventions dont l’efficacité prouvée bénéficie d’un haut niveau de preuve ! Cela réduira automatiquement de manière drastique le nombre d’interventions validées.

Article de L’Express, 14.11.2022.

Dans l’article de L’Express du 14 novembre – dont l’expression pourquoi pas dès le titre contribue quelque peu encore à la confusion ambiante, l’auteur principal de la note du CSEN ajoute que « les pratiques évaluées par la recherche et qui ont fait la preuve de leur efficacité n’ont plus aucun élément religieux ou spirituel. Elles sont donc compatibles avec l’école publique. »

Sur quelle(s) base(s) se fondent ces allégations qui ne sont soutenues par aucune référence bibliographique dans la note ? Quel est le consensus scientifique à l’endroit du caractère laïque de ces pratiques ?

Une science instrumentalisée ?

Finalement, prétendre que « la science a été instrumentalisée par les deux camps (pro et anti méditation pleine conscience) », en omettant de préciser que ce combat est toutefois très asymétrique, relève d’une forme de mauvaise foi.

D’où vient le matraquage, M. Ramus ? À qui la charge de la preuve ?

_________________

Par Free Binder, novembre 2022.

Suivre sur Twitter.

Pour aller plus loin :

Ma réponse à Franck Ramus, chercheur au CNRS, au sujet de la méditation de pleine conscience, par Free Binder, 2022.

Les dernières méta-analyses sur les bienfaits de la pleine conscience en milieu scolaire (octobre 2022), par Free Binder, 2022.

La dernière méta-analyse sur les bienfaits de la pleine conscience (juillet 2022), par Free Binder, 2022.

Revues de pleine conscience, par Free Binder, 2022.

– “De la méthodologie de pleine conscience” (d’autres exemples d’études biaisées), par Free Binder, 2022.

– “Vers des soins complémentaires fondés sur des preuves”, commentaire (traduit) d’Allan H. Goroll, 2014.

– Davidson, R. J., & Kaszniak, A. W. (2015). Conceptual and methodological issues in research on mindfulness and meditation. The American psychologist, 70(7), 581–592. URL: https://doi.org/10.1037/a0039512

– MacCoon, D. G., IMEL, Z. E., et al. (2012). The Validation of an Active Control Intervention for Mindfulness Based Stress Reduction (MBSR). Behaviour Research and Therapy, January ; 50(1): 3–12. URL: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22137364/

– Goroll, A. H. (2014) “Moving Toward Evidence-Based Complementary Care”. JAMA Intern. Med., 174(3): 368–369. URL: https://hi.booksc.eu/dl/65206106/3c41c9

– Ronald E. Purser, R. E., Forbes, D., Burke, A., et al. (2016). Handbook of Mindfulness: Culture, Context, and Social Engagement. Mindfulness in Behavioral Health Series, Springer. URL: https://link.springer.com/book/10.1007/978-3-319-44019-4

--

--