Ma réponse à Franck Ramus, chercheur au CNRS, au sujet de la méditation de pleine conscience

Free Binder
20 min readNov 30, 2022

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Suite à mon commentaire sur la note du Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN) concernant la méditation de pleine conscience en milieu scolaire, l’occasion m’a été donnée d’échanger brièvement sur Twitter avec son principal auteur, M. Franck Ramus. La réponse ci-dessous fait suite au billet qu’il a publié quelques jours plus tard sur son blog personnel et qui m’est directement destiné.

“Gandhāra Depicting the Trojan Horse”, British Museum.

Monsieur Ramus,

Après m’avoir qualifié sur Twitter de « blogger anonyme » et de « militant » qui tenterait d’ « instrumentaliser » la note du CSEN en « ergotant » sur des détails (à voir ici) et en intentant un « procès en laïcité », vous vous êtes finalement décidé à poursuivre cet échange de manière plus sereine par blog interposé.

Mes remarques initiales portaient principalement sur l‘état de l’art concernant les effets positifs de la méditation de pleine conscience chez l’adulte et l’enfant dont votre note se fait l’écho. Pour synthétiser notre divergence de points de vue à ce sujet et comme vous l’avez vous-même suggéré : là où on peut voir le verre à moitié vide, vous préférez l’envisager à moitié plein. D’où le choix de certains termes et omissions qui ont pu retenir l’attention de plusieurs de vos lecteurs attentifs. Vous n’y accordez pas de crédit, tant pis.

En parallèle à certains propos (auxquelles je n’ai pas pris part) sur les risques d’effets indésirables et de dérives sectaires, la discussion sur Twitter s’est ensuite tournée quelque peu maladroitement vers la question de l’existence ou non d’une dimension « spirituelle/religieuse » intrinsèque à la pratique méditative (de type MBI/MBSR/MBCT), et donc de sa compatibilité avec le principe de laïcité. Rappelons ici la polémique initiée en France notamment par la LDH et sa lettre ouverte, suivie d’une tribune des acteurs concernés publiée dans le journal Le Monde.

En effet, la note du CSEN indique que « les pratiques de pleine conscience se sont développées depuis plusieurs décennies sous des formes non religieuses ou spirituelles » et que « le risque […] d’entorse à la laïcité […] devrait en principe être écarté » dans la mesure où l’ « efficacité prouvée » des programmes proposés en classe peut être garantie. Lors de votre intervention dans le journal L’Express qui a suivi la publication de la note, vous ajoutez que « les pratiques évaluées par la recherche et qui ont fait la preuve de leur efficacité n’ont plus aucun élément religieux ou spirituel [et] sont donc compatibles avec l’école publique ». Sur votre blog, vous sous-entendez encore que « les pratiques de MPC qui sont considérées dans la note du CSEN ne contiennent aucun élément religieux ».

Contrairement à ce que vous avancez dans vos tweets et dans votre dernier billet (au titre trompeur), je n’ai pour ma part pas formulé que « cette pratique ne peut pas être laïque » ou qu’ « elle contient forcément des éléments religieux ». Je vous invite à relire nos échanges et surtout mes 2 questions restées sans véritables réponses :

Sur quelle(s) base(s) se fondent ces allégations qui ne sont soutenues par aucune référence bibliographique dans la note ? Quel est le consensus scientifique à l’endroit du caractère laïque de ces pratiques ?

Vous avez alors rappelé qu’ « il est impossible de prouver l’inexistence de quelque chose » en m‘enjoignant au contraire d’« apporter la preuve » de mes « allégations » et de « prouver [l’existence de] contenus religieux ». Ce que vous interprétez comme un raisonnement erroné n’est en réalité qu’une question triviale (à laquelle votre procédé* permet d’esquiver la réponse) : dans la mesure où la note du CSEN n’en fait pas mention, quels sont les ouvrages et articles scientifiques inclus dans la revue de la littérature qui permettent d‘affirmer que la méditation de pleine conscience est compatible avec le principe de laïcité ?

C’est une semaine plus tard, suite à la reprise de la discussion sur Twitter et à la publication de votre dernier billet de blog, que m’apparaissent des éléments de réponse : pour évaluer dans quelle mesure ces interventions ne contiennent « aucun élément religieux », votre méthode (« la seule méthode ») semble avoir consisté à « éplucher les manuels** pour savoir s’il reste quelque chose [de spirituel/religieux] dans ces programmes », c’est-à-dire à « consulter les manuels de ces différentes pratiques, qui contiennent tous les contenus qui sont enseignés aux formateurs et aux pratiquants, et d’y chercher exhaustivement tous les éléments qui pourraient être de nature spirituelle ou religieuse ». Comme « le protocole n’a rien de religieux », que « les manuels [pratiques] ne montrent rien de religieux » et qu’il n’y a d’ailleurs « pas besoin d’être expert pour le mettre en évidence » (cf. propos d’une de vos collaboratrices), vous avez conclu que les interventions « pratiquées conformément au protocole » et dont l’ « efficacité [est] prouvée » ne constituent aucune entrave à la laïcité.

Vous n’avez ainsi, semble-t-il, pas jugé nécessaire d’effectuer une revue de la littérature secondaire sur la question, ou du moins d’en communiquer publiquement les points saillants. Pour preuve également, la reprise dans votre billet de blog de cette citation d’un extrait d’article relayé par mes soins (cf. un contenu bouddhiste soigneusement camouflé). Après avoir sous-entendu que j’aurais « trouvé un auteur qui partage mon opinion » pour conforter un biais de confirmation, vous avez déclaré qu’ « aucun élément factuel, aucune citation, aucune référence n’est fournie à l’appui de ce qui est affirmé ». Je vous ai alors transmis les 4 pages de notes bibliographiques de l’article soumis en référence.

Avez-vous parcouru cet article ou vous êtes-vous contenté d’en mentionner cet extrait pour illustrer ce que « certaines personnes farouchement opposées à la méditation de pleine conscience [vont] parfois jusqu’à invoquer » ? L’auteure de cette citation – docteure de Harvard, professeure en sciences des religions et spécialiste des questions de neutralité religieuse en lien avec la pratique de la méditation de pleine conscience dans le cadre scolaire – fait partie d’une communauté de chercheurs travaillant spécifiquement sur ces questions aux frontières entre l’anthropologie, la psychologie, la sociologie et les sciences des religions (pour ne citer que ces quelques exemples).

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“La méditation de pleine conscience est-elle forcément spirituelle/religieuse ?”

Pour répondre enfin à votre « question de savoir si tous [les programmes de méditation] contiennent [des contenus religieux], en particulier ceux qui sont présentés comme des programmes non-religieux, qui ont des preuves d’efficacité », amenons à notre connaissance (1) qu’il ne semble pas y avoir de consensus scientifique à ce sujet mais (2) que certains auteurs défendent bel et bien l‘existence d’un caractère profondément bouddhiste/spirituel/religieux/hybride à la pratique moderne de la méditation de pleine conscience :

« Les discussions académiques concernant les racines bouddhistes des interventions et programmes basés sur la pleine conscience ne permettent pas de dégager de consensus scientifique quant au degré de continuité entre les enseignements bouddhistes et les pratiques contemporaines de la pleine conscience. Selon les approches [académiques], ces interventions peuvent représenter “les enseignements originels du Bouddha” sous une forme laïque (Cullen, 2011), une forme typiquement occidentale de bouddhisme socialement engagé et “rationalisé pour une clientèle laïque” (Seager, 1999 ; Wilson, 2014) ou encore un “bouddhisme furtif” pouvant dissimuler un éventuel agenda religieux (Brown, 2016). Un autre récit commun décrit les interventions MBSR et les formes contemporaines de la pratique de la pleine conscience connexes comme des techniques thérapeutiques privatisées et dé-éthicisées qui ne ressemblent à aucune forme authentique de pratique du bouddhisme (Plank, 2011 ; Purser et Loy, 2013 ; Purser et Milillo, 2015 ; Shonin, Van Gordon et Griffiths, 2013).

De même, il apparaît compliqué d’intégrer ces formes contemporaines d’entraînement à la pleine conscience dans les matrices conceptuelles caractéristiques de la période d’après-Lumières qui dichotomisent la “religion” et la “laïcité” en catégories binaires distinctes. Alors que la littérature scientifique présente souvent ces pratiques comme axiomatiquement laïques (Baer, 2015 ; Didonna, 2009 ; Lutz [relecteur de la note du CSEN, ndlr.] et al., 2008 ; Sun, 2014), certains chercheurs affirment au contraire qu’elles possèdent un contenu typiquement religieux (Brown, 2016 ; Purser, 2015). D’autres l’envisagent carrément comme un dépassement du modèle binaire à travers une sacralisation du séculier (Arat, 2017), un (ré-)enchantement du monde naturel (Braun, 2017) ou des formes culturelles hybrides ouvertes tant aux interprétations religieuses que laïques (Frisk, 2012). […]

Une image complète du programme MBSR en tant que tradition contemporaine unique de pratique de la méditation n’est possible que grâce à la combinaison de perspectives de recherche textuelle, historique, ethnographique et sociale. » – Source (traduction) : Husgafvel, 2019.

Légitimisation et sécularisation

En parcourant l’article transmis durant notre échange puis en se penchant sur cette abondante littérature (que le bref panorama ci-dessus ne fait qu’effleurer), nous apprenons par exemple qu’un auteur se base sur un travail ethnographique de terrain (notamment dans le cadre d’une étude longitudinale) pour expliquer que « l’affirmation selon laquelle la pleine conscience est laïque parce qu’elle est scientifiquement validée a été la stratégie dominante des promoteurs, défenseurs et praticiens de la pleine conscience. […] Ainsi, en associant la pleine conscience à la science, deux choses sont implicitement véhiculées : sa légitimité (l’approbation sociale) et son opposition à la “religion”. Ce raisonnement soutient que parce que la pratique est testée empiriquement, elle n’est donc pas religieuse » (Rahmani, 2020). Certains défenseurs et promoteurs de la pleine conscience soutiennent d’autre part que « la pratique peut et doit être complètement décontextualisée de son cadre religieux/bouddhiste et à la place recontextualisée dans des normes laïques et des paradigmes scientifiques », [avec pour] objectif sous-jacent de rendre la pratique plus “accessible” au public non bouddhiste » (Baer, 2015, Crane et al., 2017, cités par Rahmani, 2020). Enfin, « une ligne de raisonnement omniprésente, couramment utilisée par des enseignants tels que Jon Kabat-Zinn, soutient que ce qui fonde la technique qu’ils enseignent n’est pas le bouddhisme mais “l’essence” des enseignements du Bouddha, qui est “universelle” et compatible avec la science ».

En choisissant au contraire de recontextualiser ces stratégies discursives (Rahmani les répertorie au nombre de 5 : science, scientisme et neuroscientisme, académisation, rhétorique de l’universalité, discours bouddhiste sur la souffrance et santé mentale et résilience), ces auteurs indiquent qu’ « au niveau discursif et idéologique, ce (re)cadrage de la pleine conscience dans un récit scientifique, comme moyen de légitimer la pratique et de la positionner sous un auvent séculier, pourrait être décrit au mieux comme du scientisme [qui] se caractérise par une tendance à “étendre les idées, les méthodes, les pratiques et les attitudes scientifiques aux questions d’intérêt social et politique humain” (Olson, 2008). De telles dispositions sous-tendent les efforts scientifiques du mouvement de la pleine conscience et se retrouvent également dans le discours de ses praticiens ». Ailleurs, il est montré comment des stratégies rhétoriques (rhétorique de l’expérience, méditation comme « outil », « enseignements purs du Bouddha » et rhétorique de l’ « ici et maintenant ») peuvent fonctionner pour « dissimuler les éléments religieux » d’un cours de méditation Vipassana (Rahmani, 2017).

Tous ces propos soutiennent l’idée que « le désir de minimiser les dimensions culturelles, religieuses et surnaturelles du bouddhisme au prix de la glorification de sa prétendue rationalité » – décrit même par certains comme une « appropriation culturelle », voire une « colonisation » des idées orientales (Plank, 2011, cité dans Husgafvel, 2016) – est une « entreprise moderne qui continue de recevoir le soutien des milieux bouddhistes (mais pas tous) et scientifiques » (Farias & Rahmani, 2020). Ce discours serait en réalité « enraciné dans les mouvements de réforme bouddhistes qui se sont développés à la fin du XIXe siècle comme une résistance au colonialisme, à l’impérialisme et à la missionarisation des pays d’Asie du Sud-Est par les nations européennes » (McMahan, 2008, cité par Rahmani, 2020 et Husgafvel, 2018). Un retour en arrière qui nous apprend par exemple que « Goenka (1924–2013) était l’un des célèbres professeurs de méditation dont les stratégies rhétoriques pour dissocier la méditation Vipassana de la catégorie “religion” ont contribué à établir et à promouvoir ces tendances à l’échelle mondiale ».

Force est de constater que le processus de légitimisation et de sécularisation des pratiques contemplatives originairement basées sur le bouddhisme est l’une des questions les plus débattues dans ce domaine (Dodson-Lavelle, 2013).

Pleine conscience et spiritualité

Brown (2016) indique quant à elle que la pleine conscience peut être « conceptualisée, communiquée et pratiquée de manière à transmettre explicitement ou implicitement des significations religieuses et/ou à faciliter des expériences religieuses et spirituelles ». D’où l’exploration de « trois modèles principaux » : (1) l’alternance codique (code-switching) – ce premier modèle étant divisé en sous-mécanismes tels que MBSR Program Concept, Systematic Communication of Core Buddhist Beliefs, Teacher Training, Graduate Resources, Stealth Buddhism, etc. ; (2) l’indoctrination inattentionnelle (unintentional indoctrination) et ; (3) les effets religieux et spirituels (Religious and Spiritual Effects).

Pour reprendre ce dernier modèle, l’auteure mentionne l’existence de données qualitatives montrant que des individus « se sont frayé un chemin dans le bouddhisme après avoir été initiés à la pleine conscience par le biais d’un cours laïc », par ailleurs souvent considéré par les formateurs comme « ouvrant une porte sur le bouddhisme » (Taylor, 2013). D’autres études confirment une association entre la pleine conscience laïque et une religiosité accrue, dont celle menée par des psychologues via des entretiens approfondis avec des méditants bouddhistes : la plupart d’entre-eux avaient essayé la méditation pour la gestion du stress avant que celle-ci ne devienne « leur porte d’entrée vers un intérêt ultérieur pour le bouddhisme » (Lomas et al., 2014).

Une autre enquête quantitative auprès de participants à des cours MBSR (dispensés par des instructeurs officiels) a révélé une « corrélation significative entre l’augmentation de la pleine conscience et la spiritualité » (Greeson et al., 2011 et 2015). L’étude conclut que « les avantages pour la santé mentale de la pleine conscience laïque peuvent être attribués à l’augmentation des expériences spirituelles quotidiennes ». D’autres recherches plus modestes rapportent également des associations entre la MBSR et l’augmentation des scores sur l’échelle de la spiritualité (Astin, 1997 ; Carmody & Kristeller, 2008). S’intéressant aux participants à une retraite de méditation Vipassana, un auteur rapporte « une relation statistiquement significative entre l’orientation religieuse et la durée de la pratique[,] les méditants à plus long terme étant moins susceptibles d’être des “non” religieux ou des monothéistes et plus susceptibles de s’identifier comme bouddhistes ou avec “toutes” les religions » (Shapiro, 1992).

Mentionnons aussi les propos de cet instructeur MBSR indiquant qu’ « une conséquence naturelle du mouvement de la pleine conscience est qu’il y a davantage de candidats qui pourraient vouloir s’impliquer dans une formation plus rigoureuse dans les diverses traditions bouddhistes » (Wilks et al., 2015). Ou encore ce pédiatre et professeur de pleine conscience expliquant le rôle important joué par les programmes développés dans les écoles publiques :

« Une grande partie des avantages ne sont pas immédiats, évidents ou concrets. Il s’agit en grande partie de planter des graines, et je vois parfois les fleurs fleurir plusieurs mois plus tard. Les programmes scolaires préparent les jeunes à être “ouverts et intéressés à explorer plus profondément la pleine conscience” lorsqu’on leur donne des occasions en dehors du contexte scolaire. Ainsi, les programmes scolaires peuvent être des moyens habiles et des moyens d’ouvrir davantage de “portes du dharma” » (Dzung Vo, 2013).

D’autres instructeurs MBSR certifiés de la première heure expliquent aussi comment cette pratique, grâce à un enseignement systématique des quatre fondements du bouddhisme [tels que définis par le Satipaṭṭhāna Sutta] et à ses applications dans la vie quotidienne, peut avoir un impact profond sur de nombreux participants (Cullen, 2011 cité par Brown, 2016). Par exemple, le balayage corporel (ou body scan), « conçu pour systématiquement, région par région, cultiver la conscience du corps – le premier fondement de la pleine conscience ». La méditation assise commence par la « prise de conscience de la respiration » puis un « élargissement systématique du champ de la conscience pour inclure les quatre fondements de la pleine conscience », pour favoriser « une compréhension du non-soi, de l’impermanence et de la réalité de la souffrance », dissiper « l’avidité, la haine et l’illusion » et conduire « automatiquement » à « l’illumination ». Le MBSR contiendrait également « des éléments de tous les brahma vihāras [bonté de cœur, compassion, joie sympathique, équanimité] parfaitement intégrés », ce qui fait dire à l’auteur qu’il s’agit d’une « nouvelle “lignée” du bouddhisme, une formulation typiquement “américaine”, bien que non moins bouddhiste, du Dharma ».

D’après Kabat-Zinn, les participants sont invités à :

« Plonger directement dans l’expérience de dukkha dans toutes ses manifestations sans jamais mentionner dukkha ; […] sans jamais mentionner l’étiologie classique, et pourtant en étant capable […] d’explorer, empiriquement, une voie possible pour le faire (la pratique de la méditation de pleine conscience au sens large, incluant la position éthique de śīla, le fondement du samadhi et, bien sûr, prajñā, la sagesse – l’octuple noble chemin) sans jamais avoir à mentionner les Quatre Nobles Vérités, l’Octuple Noble Sentier, ou śīla, samadhi ou prajñā. De cette façon, le Dharma peut se révéler par une culture habile et ardente ».

Bien que présentée comme « laïque », le MBSR révèlerait alors « chacune des Quatre Nobles Vérités du Bouddhisme » en cultivant le « Noble Sentier Octuple vers la cessation de la souffrance [et en] visant à maintenir l’attention de manière particulière, […] à une “compréhension ultime” qui “transcend même la dualité sujet-objet conventionnelle” » (Kabat-Zinn, 2003 et 2011, cité par Brown, 2016).

Les guides officiels à l’intention des instructeurs MBSR fournissent encore davantage de détails :

« La séquence de cours fournit une “pleine expression” de “l’essence du dhamma”, y compris les “4 nobles vérités, les 4 fondements de la pleine conscience et les 3 marques d’existence”. La première page [du document], “Le cœur du Dhamma”, énumère les principales doctrines bouddhistes, citant leurs sources dans les textes sacrés bouddhistes : “I. Quatre Nobles Vérités (Dhammacakkappavattana Sutta)”, commençant par “Souffrance/Stress” et culminant avec le Chemin octuple vers la liberté, “II. Trois Marques d’Existence (Anattalakkhana Sutta)… Souffrance, Impermanence, Absence de Soi” et “III. Quatre fondements de la pleine conscience”, y compris la pleine conscience du “souffle”, des “postures du corps”, des “enseignements (Dharmas)” et des “7 facteurs d’éveil”. La deuxième page, “Central Elements of MBSR: The Essence of the Dhamma”, commence par une note explicative : “sans nommer explicitement les 4 nobles vérités, les 4 fondements de la pleine conscience et les 3 marques d’existence, ces enseignements sont intégrés dans les cours MBSR et maintenus dans un champ d’amour bienveillant. MBSR est une expression complète des 4 nobles vérités : la souffrance, ses causes et le chemin vers la liberté”. Par exemple, “la classe 1 contient la 1ère noble vérité et les marques de l’existence… La souffrance, l’impermanence et la nature désintéressée évoquée par le scan corporel [body scan]… La classe 4 commence à enquêter sur les causes du stress/souffrance (2e noble vérité)… La classe 5 pointe vers la 3e noble vérité… Les classes 6 à 8 puisent dans la 4e Noble Vérité, le chemin octuple. » – Source : Brown, 2016.

Enfin, le programme CBCT serait quant à lui fortement inspiré des traditions bouddhistes Mahāyāna du Tibet, son format et sa séquence suivant de près la « méthode de cause à effet en 7 points », à savoir l’ « une des méthodes les plus connues pour cultiver la compassion dans la tradition Mahāyāna », tout en « omettant les références “religieuses” explicites à la réincarnation ou au karma ». Le CBCT incorpore également des éléments issus de l’idée d’ « Égaliser et intervertir soi et les autres » (Equalizing and Exchanging Self with Others) », une autre méthode bouddhiste tibétaine bien connue pour cultiver la compassion (Negi, 2009, cité par Dodson-Lavelle).

Être convaincu des avantages de la pleine conscience pourrait ainsi conduire à une confusion involontaire entre le bouddhisme et des idéaux considérés comme universels – « les idéaux bouddhistes, à la différence des lois naturelles, [étant] des “artefacts culturels” qui reflètent des normes culturelles particulières » (Purser, 2015). « Bien que prétendant cultiver des capacités humaines générales et promouvoir des valeurs universellement partagées, les MBI offrent des diagnostics et des prescriptions culturellement et religieusement spécifiques […]. Par exemple, l’objectif d’atténuer le désir et de cultiver l’équanimité reflète un affect idéal culturellement spécifique qui valorise “les émotions à faible excitation comme le calme” » (Lindahl, 2015). Un autre exemple est le rôle accordé à la valeur de la compassion, « présentée comme universelle et donc laïque » (Dodson-Lavelle, 2015; Ozawa-de Silva, 2015). D’après les auteurs, « prendre la bonté et l’universalité de la compassion comme une évidence obscurcit la spécificité culturelle et religieuse de : (1) la façon dont la compassion est définie dans les traditions bouddhistes, (2) la logique qui relie la pleine conscience à la compassion, et (3) les compréhensions contradictoires de la compassion ». En effet, « bien que de nombreux bouddhistes et chrétiens s’accordent à identifier la compassion comme une valeur fondamentale, les deux traditions définissent le terme de manière si différente qu’il est trompeur de l’identifier comme une valeur universelle. […] Croire que l’on a une vision claire de la réalité peut dissimuler des constructions culturelles cachées et favoriser [une certaine manière de] voir et interpréter la réalité plutôt qu’une autre. Ce raisonnement peut justifier le maintien d’une vision du monde culturellement spécifique comme supérieure aux autres. Ce n’est pas seulement une position culturellement arrogante ; c’est précisément une attitude religieuse – une prétention à une compréhension particulière de la cause et de la solution des problèmes ultimes qui tourmentent l’humanité » (Brown, 2013).

Conclusion

En conclusion, ces études incitent à s‘éloigner des approches binaires (« religieux versus laïque ») pour envisager plutôt l’existence d’un continuum sur l’échelle de la « spiritualité/religiosité » des individus. Elles invitent également à placer le curseur sur les rapports dynamiques qui s’opèrent entre les contenu des programmes, les intervenants et le patient. Relevons finalement que leur objectif n’est pas de décourager le grand public à s’engager dans la pratique de la méditation ni de s’opposer à l’application de ces interventions comme traitement thérapeutique complémentaire, mais bien de présenter les programmes et les hypothèses qui sous-tendent les discours du mouvement. Ce faisant, elles constituent un appel à la prise en compte des questions d’ordre éthique et de transparence dans les débats entourant l’introduction de la pleine conscience à l’école.

Il aurait été souhaitable que le regard du CSEN offre davantage de hauteur sur cette question et que son argumentaire ne se limite pas, comme nous le suggère le cadre conceptuel général brièvement esquissé ci-dessus, à la reprise des principaux codes rhétoriques adoptés par les promoteurs de la pleine conscience. En faisant siens ces éléments de langage, en fondant la légitimité d’une pratique et son opposition à la « religion » ou à la « spiritualité » du seul fait de sa validité empirique***, le CSEN court le risque de se figer dans une posture décontextualisée teintée de scientisme et d’alimenter le scepticisme et la méfiance portés à l’encontre des défenseurs du mouvement. Pour éviter cette situation, la consultation de la littérature secondaire et son compte rendu auprès du grand public peuvent être une première étape. « Ce n’est pas une question scientifique sur laquelle le CSEN peut se prononcer », comme on a pu l’entendre sur d’autres sujets, aurait aussi pu constituer une position alternative plus prudente.

En espérant que ma réponse soit à la hauteur de l’enjeu et de l’esprit d’ouverture dont vous faites preuve.

____________________

Par Free Binder, le 30.11.2022.

Références

Liste non-exhaustive de références (pour la plupart disponibles en ligne) à l’origine des propos rapportés ci-dessus. On y trouve aussi un état de l’art :

C. G. Brown, “Why are Public-School Yoga and Mindfulness Popular and Controversial?”, Contemplative Sciences Center UVA (University of Viriginia), 2019.
Portrait de S. Rahmani, 2021.
R. Sharf, The “work” of religion and its role in the assessment of mindfulness practices, Davis Center for Mind and Brain research summit, 2015.

Notes

* Concernant le procédé consistant à rappeler qu’ « on ne peut prouver l’inexistant » : n’est-ce pas paradoxalement un des objectifs peu visibles de certains promoteurs de la méditation de pleine conscience ? Quand on connaît leur rapport parfois ambigu au matérialisme scientifique… Voir par exemple le « [néo-]créationnisme philosophique », le « concordisme » et/ou le « dialogue entre sciences et religions » proposés par la Templeton Foundation, une puissante fondation philanthropique aux agendas académique, politique et religieux bien remplis et un des bailleurs de fonds historiques du Mind and Life Institute.

** Voir un exemple de manuel pratique fourni par F. Ramus tout en bas de cette page.

*** Ajoutons que les publications scientifiques qui rapportent des avantages empiriques offrent de facto de la crédibilité aux affirmations selon lesquelles la pratique serait « laïque ». Elles ont donc une responsabilité éthique d’être honnêtes sur les forces et faiblesses des preuves scientifiques (Brown, 2016).

Sur les études cliniques

La note du Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN) sur « la méditation de pleine conscience à l’école », par Free Binder, 2022.

Les dernières méta-analyses sur les bienfaits de la pleine conscience en milieu scolaire (octobre 2022), par Free Binder, 2022.

La dernière méta-analyse sur les bienfaits de la pleine conscience (juillet 2022), par Free Binder, 2022.

Revues de pleine conscience, Cochrane systematic reviews, 2022.

– “De la méthodologie de pleine conscience”, par Free Binder, 2022.

– Davidson, R. J., & Kaszniak, A. W. (2015). Conceptual and methodological issues in research on mindfulness and meditation. The American psychologist, 70(7), 581–592. URL: https://doi.org/10.1037/a0039512

– MacCoon, D. G., IMEL, Z. E., et al. (2012). The Validation of an Active Control Intervention for Mindfulness Based Stress Reduction (MBSR). Behaviour Research and Therapy, January ; 50(1): 3–12. URL: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22137364/

Quelques extraits (traduits) du manuel mentionné par le CSEN

Vous plantez la graine (l’intention) de la pleine conscience, vous l’arrosez (l’attention) et vous faites tout cela avec une volonté (l‘attitude) de développer une compréhension plus profonde de qui vous êtes et du fonctionnement de votre esprit ! Il est important d’établir une pratique quotidienne et continue pour développer une façon d’être consciente, avec une prise de conscience accrue de votre vie intérieure et extérieure et des stratégies pour vous aider lorsque des pensées et des sentiments difficiles menacent de nous submerger.

Dans le domaine de la conscience sensorielle, il y a deux éléments essentiels ; permissivité et questionnement. Qu’il existe une liberté radicale d’explorer et de découvrir tout ce qui est dans le royaume sensoriel. Rien est certain; tout peut être découvert. […]

L’enseignant/instructeur peut demander aux participants de se concentrer sur [une partie du corps] pendant le scan corporel [body scan]. […] Cette façon de parler offre une permission pour tout ce qui survient, en encourageant des observations plus approfondies et de plus en plus ciblées au-delà de la réponse habituelle, ainsi qu’une acceptation inconditionnelle de tout résultat. […]

Les fondements de la pleine conscience [consistent à] prendre conscience de l’émergence d’états naturels de gentillesse, de compassion et d’auto-alimentation (self-nourishment) lorsque l’esprit est libéré des schémas de pensée et des comportements anxieux. […]

La pleine conscience n’est pas nouvelle. Toutes les pratiques contemplatives en possèdent une certaine forme […], en particulier la pleine conscience [qui] provient en grande partie des pratiques bouddhistes qui ont depuis des siècles promu la nécessité de comprendre le fonctionnement fondamental (mécanisme) de l‘esprit humain, de manière à ce que nous ne soyons pas contrôlés par nos pensées et nos sentiments.

mindfulnessonlinetraining.com

Du même auteur (document du Mindfulness Online Training) :

La respiration est fondamentale dans nos vies et dans la pratique de la pleine conscience […]. Pratiquer la pleine conscience […] établit un nouvel état d’esprit rafraîchissant qui dynamise, restaure et rafraîchit notre énergie périodiquement tout au long de la journée et lorsque la pression est forte, fournit une pause et un espace. […]

En faisant les pratiques décrites dans ce livre électronique (respiration, écoute, body scan), vous entraînez votre attention à avoir un engagement total dans le moment, ce qui augmente votre concentration et votre présence et approfondit votre niveau de réalité — plus que lorsque vous ne faites qu’identifier avec l’esprit pensant. […]

mindfulnessonlinetraining.com

Vous êtes le seul responsable de ce que vous ressentez à un moment donné. En vous « enregistrant » avec vous-même et en vérifiant mentalement la tension, vous pouvez rester conscient des humeurs et des sentiments changeants et vous apprenez à observer plutôt qu’à réagir et à être amené à vivre les sentiments et les émotions plutôt que de les regarder […].

mindfulnessonlinetraining.com

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