Mon grand père s’appelait Henri

Fabien Hénaut
107 min readSep 27, 2016

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Henri est né en avril 1913, le 2 ou le 4, on n’est pas bien sûr car à l’époque, entre la naissance et la déclaration de la naissance pouvaient s’écouler quelques jours. Et puis quelle importance?
Henri est mort un soir d’août 2009, il avait 96 ans. En presqu’un siècle, Henri a rencontré beaucoup de gens, vécu beaucoup de choses. Il a été dessinateur, il a été mari, puis père, puis résistant, puis père à nouveau, puis veuf, puis homme politique, puis grand-père, puis arrière-grand père puis il est mort un soir d’août 2009.

Au cours d’une vie dont le contenu suffirait à confectionner une centaine d’existences passionnantes, Henri a trouvé le temps d’être soldat. Oh pas bien longtemps, car en 96 ans, Henri ne l’a été qu’un mois! Il aurait sans doute pu l’être d’avantage si les Allemands ne l’avaient pas fait prisonnier. Henri a d’ailleurs été prisonnier plus longtemps qu’il n’a été soldat, mais qui sait s’il aurait vécu 96 ans si ce brave troufion de la Wehrmacht ne l’avait pas capturé. Qui sait même si j’écrirais ces lignes. En un mois, il aura toutefois le temps de voir la mort en face, d’échapper à la mort, de donner la mort et de sauver de la mort.

Après la mort d’Henri un soir d’août 2009, parmi les souvenirs accumulés chez lui en 96 ans, j’ai trouvé un fin carnet noir. Dans ce carnet noir d’une cinquantaine de pages, j’ai découvert le récit de 8 mois de sa vie sous la forme d’un journal quotidien. 8 mois, 240 jours en cinquante pages, 5 jours par page relatant sa vie de soldat et 7 mois des 3 ans de sa vie de prisonnier.

La première page du fin carnet noir

Le 10 mai 1940, Henri était mobilisé. Le 17 juin 1940, il était fait prisonnier. Après plusieurs années de détention, le 23 octobre 1943 il s’évadait de Pologne et entamait son voyage de retour vers sa famille en France. Ce voyage durera 3 mois, 3 fois plus que sa vie de soldat, 3 mois sur les 96 ans qu’il vécut.

Je suis né le 17 mars 1988. Aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes, j’ai 28 ans. Je suis assis dans le fauteuil de mon salon, mon chat est assoupi à côté de moi et j’entends les rires de mes voisins à travers les murs pas bien épais de mon appartement de 40M2 à Paris.

En juin ou en juillet 1940, alors qu’il trace avec application au crayon les premiers mots dans le journal qui me parviendra 76 ans plus tard, Henri a récemment fêté ses 27 ans. Il ne les a d’ailleurs probablement pas fêtés, car le jour de son anniversaire, c’est la Guerre. La veille, c’était déjà la Guerre, l’avant veille et les jours d’avant aussi. Cela fait presqu’un an que c’est la Guerre. Il fêtera ses 28 ans dans un camp de prisonnier en Pologne. Il fêtera aussi ses 29 et ses 30 ans dans un camp de prisonnier en Pologne. Mais au moment où il trace avec application les premiers mots dans ce journal, Henri ne sait pas s’il y aura un 28ème anniversaire.

Ce qui suit est la transcription fidèle du fin carnet noir dans lequel il consigna le quotidien de 8 mois durant lesquels il fut soldat puis prisonnier. Chaque jour, cette page sera mise à jour avec l’ajout d’un nouveau jour, jusqu’au 7 janvier 1941.

10 mai 1940

Nous sommes réveillés vers cinq heures du matin par un brouhaha extraordinaire, tous les habitants sortent de leur maison. La raison de cela c’est qu’un grand combat aérien se déroulait dans le ciel, une cinquantaine d’avions Allemands étaient aux prises avec quatre de nos chasseurs. Deux avions allemands sont abattus, les autres continuent leur route vers l’est. A 6h 30 grande nouvelle, nous apprenons que les armées allemandes envahissent la Hollande, la Belgique, le Luxembourg. C’était donc là la raison de cette anormale activité aérienne, qui devait d’ailleurs se poursuivre au cours de cette journée.

Nous apprenons successivement par la radio que différentes villes belges ainsi que Lille, Nancy, Lyon, Reims, Sedan étaient bombardées. Cette fois-ci la guerre commençait réellement.

10 et 11 mai 1940

11 mai 1940

Dès le réveil nous nous apprêtons malgré les évènements de la veille à mener notre petite vie tranquille à Champigneulles (Ardennes). J’étais pour mon compte occupé avec 15 hommes à construire des abris contre les dangers aériens.

Hélas, vers les 9 heures il nous fallut déchanter, nouvelles incursions d’avions de bombardements et pour la première fois nous entendons le bruit sourd des bombes qui tombaient dans le lointain. Vers 10 heures, 6 avions allemands apparaissent poursuivis par 2 de nos avions de chasse; le dernier d’entre eux est pris à parti et nous le voyons s’abattre dans le bois des logis à moins d’un kilomètre de nous. Immédiatement, le capitaine fait équiper une section, et nous voilà à la recherche de l’appareil.

Une demi heure après, nous le trouvons en plein bois. Après avoir pris les précautions d’usage nous approchons de l’avion, et c’est alors que je vois mon premier mort de la guerre; en l’espèce le pilote, un sous lieutenant, il avait le nez écrasé dans son masque d’altitude et une balle lui avait traversé la tête, entrant par la tempe.

L’appareil allemand était un trimoteur Dornier et devait par conséquent avoir plusieurs occupants. Il fallut immédiatement nous mettre à la recherche de ceux-ci, et c’est ainsi qu’après 2 heures de battues, nous mettons la mains sur nos trois lascars. Ils avaient en quittant l’appareil emporté leurs mitrailleuses et s’apprêtaient à vendre chèrement leur peau. Mais sur les injonctions qui leur furent faites, ils se rendirent et notre tâche fut de fait grandement facilitée. L’après midi de ce même jour, nouvelles incursions d’avions ennemis qui cette fois bombardent le village. Au premiers sifflements des bombes, nous courûmes vers les abris encore à demi achevés. Heureusement le bombardement ne dura guère et une seule maison du village fut atteinte, dans laquelle se trouvait une femme qui fut tuée par l’écroulement d’une partie de la maison.

12 mai 1940

Ce matin là, nouvel épisode de la guerre; la longue cohorte des réfugiés belges et luxembourgeois commençait à déferler. Pauvres gens ayant emporté ce qu’ils avaient de plus cher, et tout cela, emballé hâtivement et chargé sur des voitures attelées; le bétail suivait cahin caha et c’était pitié de voir cet exode de pauvres gens qui fuyaient les horreurs de la guerre.

Autre triste colonne fut celle qui défila l’après-midi; nos armées avaient connu leur premier insuccès, et avec les restes de la 55ème Division commandée par le Général Lafontaine, nous apprîmes que notre ligne de défense des Ardennes était enfoncée par les troupes allemandes qui au grand galop avaient traversé le Luxembourg pour se ruer sur nos premiers travaux.

Dans quel état lamentable ils étaient ces pauvres soldats: ayant été dans l’obligation d’abandonner tout ou partie de leur équipement, ils voyageaient ainsi depuis 24 heures, harcelés par l’aviation ennemie, et poursuivis par les premiers éléments motorisés qui déjà s’étaient emparé de Sedan.

Vers le soir, nouvelle alerte, des avions ennemis survolent de nouveau le village, nos chasseurs montent vers le ciel et moins de cinq minutes après, un bombardier est abattu, suivi immédiatement d’un chasseur des nôtres qui s’écrase au sol dans la vallée. Plusieurs appareils allemands étaient descendus très bas, et le sergent Lavernin, qui ce jour là était de DCA, fit ouvrir le feu contre eux avec les deux fusils mitrailleurs.

Mais un appareil allemand descendit à moins de 100m d’altitude et tira plusieurs rafales de mitrailleuse sur notre poste de DCA. Heureusement, personne ne fut atteint, protégés qu’ils étaient par le pare éclat.

En fin de soirée, les éléments du 406ème Régiment d’Artillerie qui se trouvait à Champigneulles et Grand Pré reçurent l’ordre de faire mouvement et de descendre dans la région de Castel Chéhéry près Vouziers.

13 mai 1940

Dès le réveil et après les alertes des jours précédents, nous espérions que cette journée serait calme; hélas il n’en fut rien et de nombreux avions ennemis survolèrent la région. Vers 9 heures du matin la population du village reçut l’ordre d’évacuer immédiatement, et les gens se hâtèrent de réunir ce qu’ils avaient de plus précieux, chargeant le tout à la va vite sur des voitures attelées, tout cela sous le contrôle de l’autorité miliaire; il fallait activer et tout devait être terminé pour le midi.

Malheureusement vers 10h30 nouveau bombardement qui fit une nouvelle victime, en l’espèce une dame âgée qui fut grièvement blessée et brûlée dans sa maison qui avait pris feu. A la compagnie nous eûmes également notre première victime, le chasseur LOISEAU blessé légèrement à la figure et à la cuisse, il fut évacué.

A la suite de ces évènements à 11h30, il ne restait plus que la 3ème compagnie du 18ème RMILA dans le village. Nous étions à table à 12h30 lorsqu’une nouvelle vague d’avions ennemis survole le village, un chapelet de bombes tombe à proximité de notre cantonnement, l’une elle ne tombe pas à plus d’une trentaine de mètres, ouvrant le sol de la route en y creusant un entonnoir. Les éclats passèrent de tous côtés et ce fut miracle qu’aucun de nous ne fut touché.

Il en fut ainsi toute la journée, tant et si bien que le soir de ce jour, 7 maisons du village étaient détruites et plusieurs d’entre elles en flammes.

14 mai 1940

Alerte sur alerte, la situation devient intenable, d’autant plus que vers 9 heures, un grand convoi monte vers Sedan, c’est le 67ème R.I.Z.M.S, ce qui fait que l’aviation ennemie ne tarde pas à faire des siennes, et le convoi à son tour est bombardé. Mais la situation doit réclamer de la célérité car les voitures automobiles ne s’arrêtent pas et continuent à monter sur Sedan.
Plusieurs ambulances passent bondées de blessés. Ce qui devait arriver arriva, à 15 heures l’ordre arrive pour nous de faire mouvement et d’avoir à gagner Attigny où nous devions garder un champ d’aviation.

A 17 heures, départ, nous avions 43km à faire. Tout le long de la route ce n’était qu’alerte sur alerte et il nous fallait à chaque instant nous camoufler ou nous coucher dans les fourrés qui bordaient la route.

A 23 heures nous n’avions parcouru que 22km et depuis la tombée de la nuit une lueur nous intriguait dans le lointain. C’est alors que parvenus à 1km de Vouziers, nous vîmes distinctement que la ville était en feu. Le spectacle nous attrista beaucoup car nous comprîmes que de nouveau, comme lors de 14–18, notre pauvre région du Nord et de l’Est aurait fort à souffrir de la Guerre.

La marche se poursuivit assez fatigante car nous étions très chargés.

15 mai 1940

Au cours de la nuit nous croisâmes de nombreux escadrons de cavalerie, puis des chenillettes, ainsi qu’une colonne d’infanterie.

Au petit jour ce fut des chars qui défilèrent, puis encore de la cavalerie, la GRD, et nous nous demandions ce que cela signifiait. Les troupes qui nous croisaient nous dirent que les troupes allemandes avaient enfoncé notre front et qu’elles avançaient rapidement. Nous n’en croyions pas un mot.
Nous arrivâmes ainsi à 8 heures du matin au village de Voncq.

Nous venions de le traverser et n’étions plus qu’à 4km d’Attigny où nous devions nous rendre, lorsque le capitaine qui était resté en arrière fit prévenir d’avoir à nous arrêter et de regagner la place du village où il avait quelques mots à nous dire. Ce qui fut fait et lorsque nous fument tous réunis, le Capitaine nous dit ceci:

« Nous arrivons en pleine bagarre, il m’est impossible de joindre Attigny. Vous allez vous réunir dans le parc du château, vous aligner, et je vais faire dans une demi heure la répartition des munitions, des outils et du matériel. Exécution vous la responsabilité des chefs de section. Je vais prendre des ordres ». Ce qui fut fait.

Nous étions atterrés, non seulement parce qu’il allait falloir aller au feu, alors que nous n’y pensions aucunement quelques instants auparavant, mais encore de savoir que les Allemands avançaient si vite. Serions-nous de nouveaux envahis!!

Donc nous déposâmes nos sacs et le plus gros de nos bagages, et bientôt les sections formées en ordre de marche attendaient les dernières instructions du Capitaine.

Celui-ci ne fut de retour que vers 10 heures, il s’enquit si tout était prêt et chaque section prit la direction de l’axe de marche qui lui avait été indiqué. Ma section, la 4ème (Chef de section Lieutenant Genay, sous officier adjoint Sergent Chef Carniaux, Chefs de groupe 10 ème groupe sergent Blary (NdS: Henri!!), 11ème groupe sergent Louant, 12ème groupe sergent Bonnamy) prit sa direction vers Vandy, nous prîmes la formation de marche d’approche et nous partîmes ainsi dans la nature pendant bien 6km. Nous entendions assez loin devant l’artillerie qui entrait en action.

Cependant, les instructions données un peu trop hâtivement n’étaient guère précises comme nous étions entre la dernière section du 14ème RI et la 1ère section du 18ème RI. Les chefs de section de ces unités n’avaient reçu aucun ordre nous concernant, ce qui fait que dans une ignorance à peu près totale des faits, le lieutenant Genay décida de retirer sa section et d’aller chercher des instructions complémentaires au Capitaine Fruitier dont le PC était « Aux Alleux ».

La région autour de Voncq

D’autant plus que nous piétinions sur place et que l’aviation ennemie, s’étant aperçu de notre présence, nous bombardait sans relâche.
Dire combien de bombes ils lancèrent serait impossible, mais pour faire le chemin du retour nous ne le faisions que par sauts, nous camouflant le plus possible, et toujours cette pétarade incessante et le sifflement des bombes nous poursuivaient.

Heureusement, nous réussîmes à sortir de la fournaise et à 18 heures nous étions de nouveau à l’entrée du village de Voncq. Nous étions harassés, fourbus et nous avions tous les pieds en sang. En effet, cela faisait 24 heures de marche sans arrêt et avions parcouru entre 65 et 70 km.
Ce n’était hélas pas la fin. Le lieutenant nous laissa souffler une demie heure et nous voilà de nouveau sur la route des « Alleux », toujours avec les avions à croix gammée qui tournoyaient au dessus de nous.
Nous ne pouvions que nous laisser à dire « Mais que fait donc notre aviation? » Et nous voici aux « Alleux ».

18h45 — Point de Capitaine, impossible de trouver le PC; mais quel spectacle!! Trois maisons en feu et complètement éventrées, des camions complètement démolis ou à moitié calcinés sur le bord de la route, des chevaux tués, les tripes à l’air ou affreusement mutilés, du sang partout, le spectacle nous donnait des hoquets d’horreur car nous pensions hélas à ceux des nôtres qui avaient déjà fait le suprême sacrifice. En désespoir de cause et sans indication aucune, le lieutenant Genay décida de rejoindre le PC du bataillon qui se trouvait à 25km de là à Castel Chéhéry. Nous ne savions plus nous trainer, aussi après un dernier effort, nous rejoignîmes Vandy où nous fîmes la pause jusque 20 heures.

Je profitais de cette pause pour aller jusqu’au village de Voncq (avec la permission du Lt Genay), et cela avec le caporal Houbert, pour récupérer une partie du matériel abandonné sur une voiturette trainée par un âne; ce qui me faisait agir ainsi, c’est que mon sac de couchage se trouvait sur ladite voiturette, et que je tenais absolument à ne point l’égarer.

Ce trajet supplémentaire ne fut point inutile, car en même temps, je récupérais le matériel là, les civières, tout le matériel d’Infirmerie, les panneaux de jalonnement, abandonnés faute de place, et aussi il faut le dire par l’affolement de ceux qui en avaient la charge.

En effet, Voncq qui n’avait rien le matin, était déjà en feu à certains endroits. Nous revînmes à Vandy où nous ne retrouvâmes que le Caporal Gilbert, laissé par le Lt pour nous indiquer la route, car la section était déjà sur le chemin de Castel Chéhéry. Ils nous attendaient à 11km de là « Au Chesne ».
Mais nous avions trop présumé de nos forces et il fallait nous restaurer. Le Caporal Gilbert attrapa un lapin qui courait en liberté dans la cour d’une maison où nous étions entrés, le dépiauta en vitesse et 3/4 d’heure après nous mangions notre lapin rôti (à peine cuit arrosé de cidre et d’une bouteille de Beaune).

A 21h15 nous prîmes le chemin du « Chesne » en aidant notre bourriquet qui trainait sa voiture lourdement chargée. Mes ces efforts successif nous avaient épuisé et lorsque nous parvînmes à Chester à 2km du « Chesne » nous décidâmes de passer la nuit dans une habitation, certains que nous étions de ne pouvoir dans la nuit trouver le cantonnement de la section. D’autant plus que sur la route nous avions joint épuisés Lallemand, Dubusque, caporal Drache, sergent Bonnamy, Kreimer, Friviaux.

Nous nous arrangeâmes tant bien que mal dans une demie obscurité (lampes électriques) car l’électricité n’existait plus, les lignes étant coupées par les bombardements.

Il était 23h30, nous marchions depuis l’avant veille à 18 heures et le chemin parcouru devait sensiblement dépasser les 100km.

Je ne me croyais vraiment pas si bon marcheur.

16 Mai 1940

6 heures du matin, il faut penser à repartir.

Nous sommes encore fatigués et nos pieds en sang nous font mal. A 6h45 départ et nous voici au « Chesne » où nous joignons la section à 7h30. Tout notre monde là bas était sur pied, mais nous n’étions qu’à 34 au lieu de 41 la veille, les autres n’ayant pu suivre.
Cependant arrive le Caporal Delaître de la section de commandement envoyé par le Capitaine, qui donnait l’ordre au lieutenant Genay de refaire le chemin vers Voncq pour joindre nos positions près de la ferme de la « Mélimé » à 8 km en deçà de Voncq.

Et nous voilà de nouveau pedibus cum jambis.

Nous retrouvons en route nos manquants, successivement Bergnyet Alphonse, Mescien, Dubusque et Lallemand ceux-ci lâchés pour la seconde fois et enfin avant Voncq Conrad, Paul et Philippi. Le lieutenant nous laisse à Voncq sous le commandement du chef Carniaux et en vélo part à la ferme de la « Mélimé » où se trouve le PC. Nous en profitons pour manger quelques boites de singe et vider force bouteilles trouvées dans les maisons et cela afin de nous donner du coeur au ventre. Les heures passent et le lieutenant Genay n’est de retour que vers 14 heures.

Ces premières nouvelles jettent hélas un froid et nous attristent beaucoup, il nous apprend que JOYEZ et KERN de la 3ème section sont tombés au champ d’honneur. Joyez, cela me fait une grande peine car c’était mon meilleur camarade. Il était sergent de la Garde Républicaine Mobile, âgé de 27 ans et père d’une petite fille de 4 ans. Il habitait avec la 22ème légion de GRM dans les gratte ciel de Drancy. Pauvre Robert, un si brave garçon, nos deuils commencent.

Quant à Kern, alsacien, il avait fait les quatre cent coups de tous les côtés, fait la guerre du Rif et avait à son actif 10 ans de légion. Il tombe alors que c’est un vieux bledard ayant bravé mille dangers, le jour qui n’est pour ses camarades que le baptême du feu.

Nous connaissons maintenant exactement la situation, nous montons en ligne avec la 35ème Division. Division du midi composé des 14ème, 18ème et 57ème Régiments d’Infanterie. L’ennemi se trouve à 9 km d’ici et nous nous installons défensivement. Nous apprenons également de cette façon que l’ennemi est déjà 23 km sur le sol français, que Sedan est pris, et que ce que nous avions vu passer dans la nuit du 14 au 15 mai était les restes de la 55ème Division, au trois quarts anéantie, et que nous prenions la place de la 72ème Division, celle ci ayant du abandonner au cours de sa retraite la presque totalité de son matériel, en particulier son artillerie.

Les ordres du lieutenant sont ceux-ci: repos jusque 20 heures, nous descendrons en ligne au crépuscule. Nous dormons jusque 17 heures, puis avec le Lt Genay, le chef Carniaux, Bonnamy, Couant, cinq hommes et moi, nous entrons dans une grande villa et nous ramassons toutes les victuailles que nous trouvons, afin de faire ripailles avant les futures privations.
Tout d’abord apéritif: Ricard et Pernod. Menu: Poulet, lapin, salade, dessert prunes et quetsches dans l’eau de vie. Comme boisson cidre, Bourgogne, champagne, café, liqueurs. Eau de vie de prunes et quetsches. Nous voici maintenant l’estomac bien garni et le moral porté au maximum. Nous attendons maintenant l’heure de monter à la riflette.

19h30 — Préparez-vous nous dit le lieutenant. Au préalable 1 homme sur 3 a eu la précaution de remplir son bidon de gnole, nous voici parés.

20 heures, en route vers nos destin. Nous arrivons à la ferme de la Mélimé vers 22h30, le Capitaine nous donne ses dernières instructions, et en prenant de multiples précautions nous parvenons à nos emplacements à peine creusés de 40 cm dans le sol.

Il nous reste du travail pour la nuit.

17 Mai 1940

Nous creusons toute la nuit, tant et si bien qu’à 3h30 au petit jour nous sommes complètement enterrés. Ce que fut cette nuit! Assez calme dans l’ensemble à part quelques bombardements par artillerie et surtout par mines. En effet les Minenwerfer ennemis nous harcèlent sans cesse et ces tirs nous énervent.

Au cours de cette nuit le sergent chef PICHON Moïse, père de 4 enfants de la 16ème légion de Garde Républicaine Mobile de Boulogne est grièvement blessé par une balle dans l’épaule droite.

Maintenant que le soleil se lève, nous savons exactement où nous nous trouvons, nous sommes sur une petite côte à 200 mètres du canal des Ardennes, quant à l’ennemi, il se trouve lui dans les petits bois à 600 mètres de l’autre côté du canal. Nous devions ainsi passer toute notre journée dans nos trous de Fusil Mitrailleur et trou individuel. Parfois les mitrailleuses ennemies nous envoyaient quelques pruneaux ainsi que quelques obus de mortier.

Cependant, au cours de cette journée, l’aviation ennemie devait nous rendre visite et nous asperger copieusement de bombes. Heureusement, il n’y eut pas trop de casse, puisque le soir nous n’avions qu’un seul blessé, BEQUE qui reçut un éclair dans le bras droit. Il fut soigné sur place au poste de secours et devait être évacué le soir.

A la nuit, je fis la corvée de ravitaillement pour la section avec le sergent chef Carniaux et cinq hommes. C’est là que je devais revoir (à la ferme de la Mélimé) le corps de mon pauvre camarade JOYEZ, je soulevais la couverture qui le recouvrait et vit son pauvre visage tout blanc, avec quelques tâches de sang de droite et gauche. Il reposait dans une grange et le cadavre de Kern était à côté du sien. C’est alors que je sus qu’ils avaient été tués tous deux par le même obus, une mine qui avait éclaté sur eux alors qu’ils procédaient au camouflage de leur abris. Un dernier salut et je ne devais plus les revoir car ils furent enterrés dans la cour de la ferme à l’aube naissante.

Nous apprîmes en même temps une grande nouvelle, car le Capitaine nous dit qu’il avait reçu une note de l’Etat Major de la 2ème armée, note conçue en ces termes: « L’ennemi qui avait passé la Meuse a été complètement refoulé et les éléments qui ne battirent pas assez vite en retraite furent tous faits prisonnier ».

18 Mai 1940

1h30 nous revenons de la corvée. Cette nuit là encore, passablement tranquille, cependant l’artillerie ennemie devait être installée, car au lieu de mortier et de Minen, ils nous envoyaient maintenant des 77 et des 105. Nous entendîmes également également de nombreux bruits d’engins motorisés qui se déplacèrent toute la nuit (du côté ennemi) et la division nous fit prévenir que vous aurions peut-être une attaque par chars au petit jour.

Or c’est précisément ce que craignait le Général commandant la Division, car notre installation en profondeur laissait encore fort à désirer, et c’est pourquoi de nombreuses patrouilles allèrent cette nuit là porter des coups de boutoirs à l’adversaire, afin de connaître ses véritables intentions.

A 3 heures du matin, le Capitaine retira de son dispositif la 1ère et la 4ème section (la mienne) car nous devions nous rendre à 2km plus à droite au château de Montgon où le capitaine devait porter son PC. La 2ème et la 3ème section nous rejoindraient le soir. Seulement le village de Montgon se trouvait au 3/4 d’un côté du Canal, et le reste de l’autre côté. Or pour assurer notre sécurité, il fallait exactement savoir si ces éléments ennemis occupaient les habitations.

Le canal des Ardennes non loin de Montgon

Après maintes précautions nous arrivâmes au château et nous reçûmes immédiatement l’ordre d’aller sonder l’autre rive du canal. La 1ère section devait traverser le pont à moitié sauté, quant à nous, nous devions contourner les maisons en passant par les passerelles de l’écluse numéro 12. Ce qui fut fait et à 5 heures nous exécutions l’ordre reçu.

Arrivé à une cinquantaine de mètres du canal, nous entendons une fusillade à notre gauche, c’était la 1ère section aux prises avec des éléments de surveillance ennemis. Nous pressons le pas mais à notre tour, nous sommes pris sous le feu.

Nos FM sont immédiatement en batterie et nous ripostons. L’ennemi se tait et nous arrivons aux premières maisons du village par le côté droit, la première section procédait déjà aux fouilles et avait découvert au premier étage d’une maison deux corps allemands, ainsi qu’une assez grande quantité de grenades. Ils avaient en effet été reçus à coups de grenades, et nous devions à la compagnie avoir un nouveau deuil, en l’espèce le parisien GUEDIN, tué par une balle dans la tête alors que la section traversait le pont. Le caporal MEHAY était lui aussi blessé mais légèrement, il refusa d’ailleurs de se laisser évacuer.

A la suite de cette petite attaque, l’ennemi était chassé du village et nous y étions maintenant les maîtres. Cependant l’artillerie ennemie voulut nous faire payer notre audace et pendant plusieurs heures, ce fut un véritable bombardement de 105 et cela dura jusque 11 heures. Nous craignions une attaque ennemie aussi nous étions restés sur nos positions. Des tous côtés la mitraille tombait et nous n’avions aucun moyen de protection sinon des ruisseaux dans lesquels nous nous couchions le nez dans la terre. Dans quel état nous étions pleins de terre jaune de nos précédents abris et maintenant recouverts de boue et d’eau.

La première section avait une nouvelle victime, le chasseur COUSIN Louis blessé grièvement, un éclat d’obus lui avait fracassé la cuisse, c’était un Lillois et il fut évacué immédiatement. A la suite de cela, la première section devait aller se reposer à la ferme pour venir nous relever à la nuit.

Dans l’après-midi, assez calme, sauf de nouveaux tirs de 105. Le chasseur d’Heilly de notre section demeure introuvable, il avait quitté son groupe et n’était pas revenu. Quelques tirs de mitrailleuse et le soir arrive, nous sommes relevés à 23 heures, enfin du repose, le premier depuis le 14 mai.

Nous arrivons dans une des granges près du PC et cinq minutes après, tout équipés, nous ronflions à qui mieux mieux.

19 Mai 1940

A 4 heures du matin réveil, il fallait de nouveau prendre position. Je suis surpris au réveil de trouver le chasseur Hérault qui avait quitté mon groupe dans l’après-midi du 15, il s’était parait-il égaré, le Capitaine va d’ailleurs pour lui demander le conseil de guerre pour abandon de poste devant l’ennemi.

Nous nous installons à 150 mètres à droite du pont en face du côté droit de l’écluse, derrière un tas de cailloux qui devait servir à la réfection de le route, c’est notre seul moyen de protection.

Henri, décembre 1941

Calme jusqu’à 10 heures où de nouveau le bombardement commence pour cesser à 11 heures, ensuite quelques tirs de harcèlement. Nous arrivons ainsi à 14 heures où de nouveau les 105 allemands nous rendent visite, mais cette fois ci avec beaucoup plus d’intensité, il y a de la fumée partout, et par moment nous ne voyons plus devant nous, tellement le nuage est dense.
Quelques moments après, les mitrailleuses ennemies à leur tour se mettent à cracher, les balles sifflent de tous côtés. Heureusement que nous avons notre tas de cailloux et derrière nous une déclivité.

Juste dans le secteur que nous surveillons, derrière un bosquet d’arbres, il y a une mitrailleuse et nous entendons son tac-tac régulier. Nous ouvrons le feu dans cette direction, une seconde mitrailleuse ennemie se révèle à la corne droite du bois « Huart » devant nous. Alternativement sur ces deux objectifs nous continuons le feu, aidé à notre gauche par la 2ème section, et le groupe Villeneuve.

La mitrailleuse la plus proche de nous se tait, mais nous venons de voir des mouvements d’hommes vers la corne du bois. J’avertis le lieutenant Genay qui m’envoie prévenir le Capitaine que l’ennemi semble vouloir attaquer et que nous venons vraisemblablement de neutraliser une mitrailleuse devant nous.

Je cours au PC et le Capitaine donne l’ordre à transmettre au Lt Genay de faire rentrer la 4ème section, ce qui fut fait. Le Capitaine nous réunit et nous dit ceci:

« Nous craignons une attaque ennemie et il faut absolument lui donner le change. Pour cela deux sections vont attaquer afin de faire croire à l’ennemi que nous sommes beaucoup plus en force que nous ne le sommes en réalité. La section du Lieutenant Carle, la 1ère et celle du Lieutenant Genay, la 4ème (la nôtre) vont exécuter cette besogne, je vais demander un tir de 75 afin de protéger votre progression. Les deux autres sections demeurant à ma disposition vont vous protéger également par le feu. Il faut que l’on me ramène un prisonnier mort ou vif afin de savoir à quels éléments nous avons à faire ».

Notre section partit vers l’écluse N12, nous traversâmes le canal et pour progresser nous profitions des abris et couverts qui se trouvaient devant nous (la maison de l’éclusier et des haies et bouquets d’arbres). Nous arrivons ainsi à l’endroit où nous jugions être la 1ère mitrailleuse ennemie, c’était exact, car nous découvrons des caisses de munitions abandonnées er sur celles-ci du sang. Ce premier succès nous encourage et nous fonçons maintenant vers la corne droite du bois Huant, la vitesse est la raison du succès!

Nous sommes assez dispersés, nous arrivons ainsi à huit à une trentaine de mètres de la lisière du bois: ce sont le Sergent Chef Carniaux, deux tireurs de FM, Bergny et Adam, Kremer, Conrad Paul, Conrad Antoine, Biasse et moi même, le reste de la section est derrière éparpillé 20 mètres plus en retrait. Le Lieutenant Genay est avec cette fraction.

A ce moment les mitrailleuses ennemies ouvrent le feu sur nous, jusque là nous étions dans un angle mort, mais nous sommes maintenant bien en vue; vite, il faut faire vite pour gagner les couverts du bois, nous arrivons de cette façon à une quinzaine de mètres du bois, lorsque nous sommes reçus à coups de grenades, la 1ère tombe à 7 ou 8 mètres en avant de moi mais n’explose pas.

Plusieurs la suivent immédiatement, l’une d’entre elle blesse CONRAD Paul au pied, cependant que BIASSE tombe également, nous ouvrons le feu avec nos FM et tous nous tirons avec notre fusil. Nous voyons assez distinctement les silhouettes qui se déplacent dans les futaies, cependant le tir de 75 qui nous avait protégé jusqu’à ce moment cesse précisément alors que nous en avions le plus besoin. Au contraire, c’est l’artillerie ennemie qui ouvre le feu à son tour, nous sommes pris sous une grêle de projectiles de toutes sortes, le lieutenant Genay nous crie « Repliez-vous! » ce que nous voulons faire mais nous avons avec nous deux blessés.

Carniaux attrape Biasse aidé par Kreimer, tandis que Conrad Paul aidé par son cousin essaie de se déplacer. Je reste avec les deux tireurs Adam et Bergny et nous tirons: eux avec leurs FM, moi avec mon fusil afin de protéger la retraite des autres. Ils disparaissent dans l’angle mort, c’est à notre tour de faire marche arrière.

Nous battons en retraite quand je tombe moi même tête en avant, que s’est-il produit?

J’ai entendu un sifflement à mon oreille, ainsi que ressenti un choc, et celui ci, ainsi peut-être que le réflexe m’ont fait me précipiter au sol. Je me redresse, je ne sens rien, à notre retour nous sommes dans l’angle mort.

Nous reprenons un peu haleine et nous repartons. Hélas nos deux blessés deviennent presqu’impossibles à trainer car ils deviennent de plus en plus lourds d’autant plus que Conrad Antoine nous a abandonné, talonné vraisemblablement par la peur. Et les obus de tomber de tous côtés, ici commence un véritable calvaire, nous ne voulons pas abandonner nos blessés, nous les trainons en nous trainant nous mêmes, nous suons à n’y pas croire (il faisait ce jour là un soleil de plomb).

Enfin voici le canal, encore 150 mètres, courage et nous pourrons espérer être sauvés.

A ce moment, KREIMER, qui venait de se jeter au sol pour éviter les éclats d’obus, en reçoit un juste sur lui et est littéralement déchiqueté. Nous sommes à bout de force et complètement démoralisés, d’autant plus que BERGNY vient lui même d’être blessé à la poitrine, heureusement il continue à nous aider, moi même lors de l’éclatement de l’obus qui tua Kremer, j’eus le sang qui me passa par le nez, j’ai du sang plein le visage et sur ma capote, les mains pareilles d’avoir pris Conrad sous les jambes, celui ci ne nous aide plus, il supplie « J’ai mal, j’ai mal, laissez moi! »

Nous arrivons près de la maison de l’éclusier, il faut absolument laisser Conrad, nous ne pouvons songer à traverser l’écluse avec lui, et toujours ces maudits obus, cela s’intensifie encore semble-t-il!

Nous sommes à l’abri près de la maison lorsqu’une masse de moellons s’abat de celle-ci (qui était déjà à moitié démolie, suite des bombardements des jours précédents). Nous sommes couverts de gravats, nous nous relevons, arrivons à l’écluse, traversons la passerelle, et joignons le château, enfin saufs, nous entrons dans les caves et nous déposons Biasse au poste de secours, il sera évacué plus tard, il a une balle dans la poitrine. Biasse est soigné ainsi qu’ADAM qui a tout le côté labouré, mais ne veulent pas se laisser évacuer. La blessure de Bergny est bénigne, la poitrine est en sang mais ce n’est que superficiel.

Je demande ensuite la permission au Capitaine d’aller rechercher Conrad, il me l’accorde et me voici reparti, seul cette fois. J’atteins la rive gauche du canal, mais ne puis songer à le traverser, les obus continuent à tomber trop drus. Je fais retour en arrière et me réfugie auprès du groupe Villeneuve resté sur ses positions. Le bombardement se calme et je repars, mais arrivé à l’écluse je suis reçu à coups de mitrailleuse. Je me plaque au sol sur le côté de la vanne et je ne bouge plus.

Je suis resté ainsi près d’une demie heure, puis j’ai rampé sur la passerelle et je parvins enfin de l’autre côté où je retrouvais Conrad. Je l’ai trainé jusque l’écluse et le hissais sur la passerelle. Deux hommes vinrent à mon aide (du groupe Villeneuve) et reçurent Conrad dans leurs bras. J’avais réussi à lui faire traverser le canal, mais j’étais moi même à bout de forces.

Je repris haleine près de Villeneuve et je rejoins le château où je m’enquis de Conrad. Il avait la moitié du pied enlevé mais l’essentiel était qu’il ne soit pas resté aux mains de l’ennemi. Je descendis ensuite dans les caves où je retrouvais le reste de la section, ainsi que le Lieutenant Genay et le Capitaine, ceux-ci me serrèrent la main et le Capitaine me dit « C’est très bien Blary ».

Il ne fallait ce jour là pas songer à autre chose et nous passâmes le restant de l’après-midi dans le château. Le soir, le Capitaine fit appeler le Chef Carniaux et moi même et nous dit qu’il nous proposait pour une citation, le sergent Chef Carniaux pour avoir ramené Biasse et moi pour avoir dirigé le tir des FM et avoir sauvé Conrad. Il proposait également les deux tireurs Bergny et Adam. Par la même occasion, il demandait au Commandant Carette, commandant notre bataillon, d’essayer d’obtenir notre relève par ordre du Colonel Lambert, commandant la 1ère demie Brigade d’Afrique. En effet il ne l’avait pas obtenue du Colonel Becker commandant le 14ème RI, le Capitaine spécifiant sur sa note « Nous sommes épuisés mes hommes et moi, n’ayant pas dormi 20 heures depuis 7 jours ».

Cette journée avait été particulièrement pénible et il y avait de la casse. A notre section: 1 tué — 5 blessés. A la 1ère section qui avait attaqué à notre gauche 1 tué, le sergent DUQUESNE aide pharmacien du Havre, une balle dans la tête (son corps est resté dans les mains de l’ennemi) puis deux blessés dont un gravement DUNOYER un Marseillais, et le second CARCAGNE un autre méridional. A la 3ème section, un blessé, le sergent BEGUIN il avait un éclat d’obus dans les reins (Natif de Neuf Berquin).
Par conséquent pour cette seule journée 10 hommes hors de combat, où allons-nous à ce train!!

20 Mai 1940

Réveil 2h30. Nous évacuons Montgon, l’ennemi avait encore bombardé le village et il fallait changer le PC, l’aile gauche du château était démolie et flambait. Nous partions à 800 mètres de là près de la ferme “Cassin” dans laquelle se trouverait le PC.

Arrivés sur nos positions, le lieutenant Genay donnait ses instructions à mon groupe et à moi même, lorsqu’il s’interrompit et me dit: “Qu’avez-vous à votre casque?” Je pris celui-ci en main, le rebord était traversé à deux doigts de la nuque, c’est alors que je me souvins du sifflement et de ma chute, je l’avais échappé belle, la mort m’avait frôlé de bien près!!

Journée sans histoires, quelques tirs de Minen et de 105. Seulement l’emplacement que nous occupions n’était guère merveilleux, il allait falloir dans la nuit aménager de nouveaux trous de FM.

Henri chez lui à Tourcoing avant le départ à la Guerre

A l’endroit où nous nous trouvions, nous étions trop aux vues de l’adversaire et à chaque fois que nous sortions la têtes de nos tranchées, les mitrailleuses ennemies tiraient sur nous. Quelle corvée, nous étions obligés de faire nos besoins dans notre trou, et cela était vraiment dégoutant en sus d’être bien incommode.

Le chef Carniaux qui alla ce soir là au ravitaillement revint avec des nouvelles fraiches, nouvelles mauvaises hélas, car elle nous apprenaient que des éléments motorisés ennemis s’étaient emparés d’Arras et St Quentin, et fonçaient en direction d’Amiens afin de couper l’armée du Nord.

Mon Dieu que je suis inquiet pour les miens!! Que se passe-t-il dans le Nord? Pourvu qu’ils ne leur arrivent rien, et Raymond (NdS : son frère) qui est à St Quentin. Hélas je suis sans nouvelles de tous depuis le 10 mai, sauf cependant de Père qui m’écrit de Royan, j’apprends ainsi que Simone, Suzanne et Odette sont là bas, en voici toujours trois à l’abri.

Mais c’est le sort de Nelly (NdS : sa femme) et Papa qui me donne le plus de soucis, surtout avec la position dans laquelle se trouve Nelly (NdS : elle est enceinte). Enfin, qu’y faire?! A la Grâce de Dieu!

Carniaux nous apprend aussi qu’Yver et Jousseaux de la section de commandement, malades tous deux furent évacués dans la journée. L’effectif de la compagnie commence à être assez malmené. Nous avons aussi récupéré D’Heilly qui fut ramené par un officier et deux hommes du 18ème RI. Il s’était enfui de peur lors du bombardement du 18, lui comme Hérault fera l’objet d’une plainte en conseil de guerre pour abandon de poste devant l’ennemi.

21 Mai 1940

Cette nuit fut calme et sans histoire, nous avons suivi nos travaux d’aménagement sans être aucunement gênés, mais combien nous sommes fatigués! Les insomnies continuelles et les efforts de ces jours derniers nous ont exténué.

Vite, bien vite la relève.

Toute cette journée comme d’ailleurs la précédente fut relativement calme, quelques tirs d’armes automatiques de part et d’autre, ainsi que quelques minen et mortiers. C’était d’ailleurs du tir de harcèlement que faisait l’ennemi, et cela afin de nous tenir perpétuellement en alerte, en effet il n’est rien de plus assommant que ces obus qui tombent de minute en minute quelques fois un seul puis 3 ou 4 à la fois. Au moment où l’on commence à respirer croyant le feu d’artifice terminé, voilà que ça recommence.

Il devait en être ainsi toute la journée, cependant l’ennemi devait s’exaspérer de notre résistance car nous eûmes de nouveau la visite de l’aviation à croix gammée. De nos avions à nous, pas de trace, cependant parfois nous voyions un “Curtis” qui montait vers le ciel mais c’était à chaque fois après le départ des ennemies. On avait beau nous dire que toute notre aviation se trouvait en Belgique bombardant les renforts et convois allemands, ainsi que les villes rhénanes, nous commencions quand même à désespérer. Pourquoi donc n’avions nous pas à chaque division notre aviation divisionnaire!!

Nous aurait-on trompé sur notre production aérienne et celle de notre alliée la Grande Bretagne!! Nous commençons à le croire…

Il y avait également un autre leitmotiv, c’était le ravitaillement, en effet depuis quelques jours, celui ci pêchait. Le peu de viande que nous avions était détestable, quant aux légumes la quantité était notoirement insuffisante, et pour le pinard nous faisions un ballon un repas sur deux, voilà de quoi entretenir le moral.

Quelques mots sur notre nouvelle position, qui était de beaucoup la meilleure que nous eussions eu jusqu’alors. En effet nous étions au sommet d’une côte et nous avions derrière un défilement qui nous menait à un chemin encaissé permettant d’accéder à la ferme “Cassin” où se trouvait le PC, ce qui permit au Capitaine de faire relever pendant la journée les 1ère et 2nde sections, afin que celles-ci prennent quelques repas. Demain ce sera notre tour, nous ne l’avons certes pas volé!!

Une nouvelle mission incombait cependant à chaque section restant sur place: des éléments ennemis (Patrouilles) avaient la nuit dernière passé les passerelles des écluses et s’étaient par endroit infiltrés dans notre dispositif aux lieux où veillait le 14ème RI. Il allait donc falloir qu’un groupe descende à l’écluse afin d’établir la surveillance de nuit. Ce fut le chef Carniaux qui y alla ce soir là après avoir reconnu les lieux. Il partit avec cinq hommes en tenues allégées, uniquement les armes et le plus de grenades possible. Le départ était fixé à la nuit et le retour au matin peu avant l’aube

Le mot de passe était Condé Turenne. Carniaux se mit en route à 22h45.

22 mai 1940

Nuit calme encore que celle-ci, quelques obus de part et d’autre comme lors de la précédente. Le chef Carniaux rentre à 3h30 avec ses cinq hommes, ils n’avaient rien vu cette nuit là.

Carniaux me dit cependant que la mission était très dangereuse car il fallait, pour que celle-ci soit bien remplie, être tout à fait au bord du canal, et près du bief droit de l’écluse N.14. Par conséquent, si l’ennemi apparaissait, c’était inévitablement le corps à corps car vraisemblablement ceux ci se trouveraient dans la même situation que nous, et opérant de la même façon mais sur l’autre rive du canal.

Sitôt le groupe à Carniaux de retour, nous nous apprêtons pour la relève et une dizaine de minutes après, nous passions par le défilement pour joindre la ferme “Cassin” car la 2ème section était arrivée sur nos emplacements. Dès notre arrivée à la ferme, nous nous répartîmes dans les différents locaux afin de pousser un roupillon ma foi bien gagné.

En cas d’alerte il fallait que nous nous réfugions dans la grande cave de la ferme qui servait de cellier et qui pour la circonstance nous servirait d’abri. Je dors de cette façon jusque 11 heures, moment de casser la croûte. J’ai excellemment dormi, la nuit fut assez calme et les obus qui parait-il tombaient assez loin sur notre gauche ne me réveillèrent pas, il en fut d’ailleurs de même pour la plupart de mes camarades. Sitôt le repas, je profitais pour me raser. J’avais une barbe de 9 jours ne m’étant pas rasé depuis le départ de Champigneulles.

Vers 14 heures notre Artillerie (75 et 155) se met à taper violemment, le Capitaine sort de la ferme avec ses jumelles afin de se rendre compte de ce qui se passe. Nous le suivons à quelques uns et voici ce que je vis dans les jumelles.

Sur une route à 5 ou 6 km derrière le canal des Ardennes, un long convoi ennemi filait, convoi de ravitaillement et de munitions sans doute, et cela en plein jour et en plein soleil, alors que nous, nous prenions tant de précautions. Notre observatoire, qui s’était aperçu de cela, avait prévenu notre artillerie, et c’était là la raison de ce pilonnage en règle. Nos canons tapaient en plein dans le mille et c’était le désarroi complet dans la colonne ennemie, nous voyions distinctement dans nos jumelles les camions, les chevaux qui sautaient en l’air et certainement les conducteurs devaient exécuter la même danse.

Malgré cela, le convoi avançait toujours, mais ça devait être la grande pagaille, car cela revêtait maintenant l’aspect d’une cohue indescriptible. Enfin le convoi disparut à la corne d’un bois et notre artillerie cessa de donner. Sur la route là bas, des débris de toute sorte jonchaient le sol, le convoi a du prendre une fameuse dérouillée.

Plus tard vers le soir, nous apprenons un grande nouvelle, le Général Weygand remplace le Général Gamelin à la tête des armées de terre, nous nous réjouissons, peut-être cela va-t-il changer. Son ordre du jour est celui-ci:

L’heure est grave et la situation est critique. Il faut que nous redressions cette situation, pour cela que chacun fasse son devoir. Il faut s’accrocher au sol, là ou sommes nous demeurons. Plus de recul, vive la France.”

En effet les Allemands avaient encore gagné du terrain sur la Somme, pris Amiens et attaquaient maintenant Boulogne, l’armée était scindée en deux tronçons. La trahison avait dans tout cela joué un grand rôle et la cinquième colonne avait bien manoeuvré. Nous apprîmes ainsi que plusieurs grands généraux de Corps d’Armés et de Divisions étaient arrêtés, parmi lesquels le Général Sourd commandant la place de Verdun, quant au général Conrad le chef de la 55ème Division qui avait lâché Sedan, il s’était fait sauter la cervelle.

Arrêtés également plusieurs préfets et sous préfets ainsi que de nombreux chefs de gare, de centre de rassemblement, de permissionnaires parmi lesquels les chefs de gare de Reims, Fismes, Vitry le François. Courage quand même, ayons confiance dans les destinées de la France.

21h30, il faut que nous allions relever à notre tour la 2ème section. C’est à mon tour cette fois-ci de descendre à l’écluse. Arrivés sur nos positions, j’attends 22h30 et me voici avec le Caporal Houbert et 4 hommes: Dubusque, Lallemand, Wantz et Bergny. Nous avons avec nous une bonne trentaine de grenades, le mot de passe est Reims.

Nous suivons une haie et arrivons au groupe franc du 14ème RI qui nous reconnait et nous voici sur la plaine qui nous mènera au canal. Il nous reste 150 mètres à faire et nous sommes en pleine vue de l’ennemi. En effet, la plaine est en dos d’âne er il faut un clair de lune magnifique.

Tant pis, nous allons ramper. Un à un, nous quittons les arbres et nous voici en plaine. Il nous fallut bien une demie heure pour arriver là où nous devions aller.

Ouf, ça y’est nous y voici!! En effet, l’endroit est particulièrement dangereux, je crois que la 3ème compagnie est en train de servir de corps franc pour le régiment, c’est toujours à nous qu’incombent les missions les plus délicates. Voilà ce que c’est que d’être chez “les Joyeux”.

Heureusement rien ne se passe encore, échange de coups de feu de droite et de gauche, quelques obus et c’est tout. Tant mieux, nous pourrions avoir pire.

23 mai 1940

Le petit jour se lève et nous faisons le chemin inverse de l’aller. Encore ramper et nous voici de retour dans nos lignes. Au cours de la matinée l’artillerie ennemie se met à taper en avant de nous, cette fois-ci ils ont sur place de la plus grosse artillerie, car les pruneaux qui tombent sont des 150. Les trous sont beaucoup plus profonds et cela fait d’avantage de boucan.Notre artillerie à son tour entre en action et exerce un tir de contre barrage. Au cours de cette volée de mitraille qui dura près de deux heures, la 3ème section enregistre deux nouvelles victimes: MASSAY, bon gros parisien qui pesait bien ses 100kg, tué et LE BIHAN, un breton blessé par un éclat dans la poitrine. Un obus était tombé sur le rebord de leur abri et le pauvre Massay fut tué sur le coup, il était presque coupé en deux.

Chez nous rien sinon que le Caporal Marchay et Mars furent à demi enterrés par la terre de leur abris, retombée sur eux par suite de l’éclatement d’un obus, il fallut les déterrer mais il n’avaient rien. Ils étaient uniquement quelque peu commotionnés.

L’après midi rien, absolument rien. Il faisait un soleil de plomb. Le soir à 22h la relève, nous retournons à la ferme. Cette façon de procéder nous plaît beaucoup car nous avons du repos, nous en avons d’ailleurs grandement besoin!

24 mai 1940

Réveil à 7 heures, nuit calme, le Capitaine nous fera une revue d’armes à 10h. C’est bien le moment en vérité. Rien ne se passe au cours de la matinée et j’en profite pour me nettoyer entièrement. L’après-midi, de nouveau, tir de harcèlement, les obus dégringolent assez près de la ferme.

Vers 16 heures, le tir s’accélère et devient plus précis. Un obus est tombé dans la cour de la ferme, le Capitaine nous donne l’ordre de rentrer dans la Cave abri. Pendant l’exécution de cet ordre, un second obus est tombé sur une grange dans laquelle se trouvaient plusieurs hommes. Ils se précipitent vers la cave, mais parmi eux il y a un blessé, un marseillais CAILMAIL, il a trois doigts de la main gauche arrachés par un éclat d’obus.

Maintenant la cadence s’intensifie, les obus ne doivent pas tomber loin, car à chaque instant notre abri tremble sous les déflagrations. Un bruit de tonnerre, des vitres qui cassent, des moellons qui dégringolent, encore un, puis un troisième, tout tremble, de la fumée entre dans la cave, pourvu que notre abri tienne le coup!! Sinon nous serions tous enterrés vivants, il n’y a qu’une sortie.

Encore plusieurs obus qui se suivent de très près, des murs dégringolent à leur tour. Enfin le tir s’allonge, le Capitaine nous défend de sortir, encore une demie heure sans éclatement et enfin nous remettons le nez à l’air, il est près de 18 heures. Quel carnage!! Se révèle à nos yeux tout d’abord la cuisine, un pan de mur écroulé, les chassis arrachés, le tout meli melo avec les meubles brisés.

Le poulet du Capitaine et de ces messieurs les officiers traine par terre au milieu de la maçonnerie. Pauvre Poulet!! La bouteille de Byrrh est volatilisée, il n’en reste que le col. Pauvre bouteille de Byrrh! Et pauvre capitaine! Bah, pour une fois comme nous il mangera la tambouille, c’est bien son tour!!

Dehors même spectacle, les granges sont démolies en partie, des gravats, des moellons partout, le tas de fumier au milieu de la cours n’existe plus, il y en a maintenant partout, et à sa place se trouve une excavation. Des trous partout dans la cours. Quelle désastre! Une fois de plus nous l’avons échappée belle.

Le capitaine décide de continuer à travailler dans la cave. Il a fait ramener tous ses papiers par le Caporal secrétaire Delaitre avant de nous laisser repartir, il nous prévient qu’il va de nouveau réclamer notre relève. Nous reprenons position vers 22 heures.

25 mai 1940

Nuit calme pour notre secteur, mais à quelques km à notre gauche, les deux artilleries font un tintamarre du diable. Cela dure de minuit jusque 3 heures, nous voyons dans la nuit des incendies, plusieurs villages brulent, il doit se passer quelque chose. Le jour se lève sans rien amener de nouveau. Nous apprenons simplement qu’une attaque ennemie a été enrayée dans le secteur du « Chesne ». C’était là la raison de ces tirs d’artilleries.

Quelque part en France. La 3ème Compagnie, cadre sous/officier. 18ème Bataillon d’infanterie légère d’Afrique. Henri est le 4ème en partant de la gauche en haut

Toujours aussi de mauvaises nouvelles, on se bat dans tout le Nord. Pourvu que ma famille soit à l’abri. Père m’écrit qu’il est sans nouvelles de Raymond, Jean, Maurice, Nelly et Papa. J’espère qu’ils ont eu le temps de fuir, mais quel problème cela pose, surtout avec l’état de Nelly. Si la retraite est coupée peut-être sont ils passés en Angleterre. Je vais écrire à Marescaux, député du Nord, pour savoir à quoi m’en tenir.

Lorsque je pense à mon petit coco qui verra bientôt le jour (dans quelles conditions mon Dieu!!) l’angoisse me saisit. Essayons de n’y pas penser, les heures sont graves ici également. Il n’y aura pas de relève ce soir, nous resterons sur nos positions pendant que les premières et deuxièmes sections feront de nouvelles installations, car il n’est plus possible de descendre au repos dans la ferme. C’est trop dangereux.

Toute la journée se passe dans le calme, on dirait que l’ennemi renonce à progresser dans ce secteur. En effet nous tenons depuis « Le Chesne » jusque dans la région de « Longuyon », toute la ligne maintient ses positions mais c’est le front de la Somme qui craque, hier d’après les journaux, nouveau recul dans ce secteur et cela jusque Paris Plage. Nous lisons également dans ces mêmes journaux les récits de la grande bataille du Nord, après la trahison du roi Leopold de Belgique, et la capitulation de la Hollande.

Ce soir c’est le groupe Bonnamy qui part à l’écluse. Au moment où il doit partir quelques obus tombent. Il est dans l’obligation d’attendre; cette mission devient de plus en plus dangereuse car les Allemands ont l’air de vouloir faire sauter les écluses afin d’assécher le canal. Aurions-nous bientôt une attaque par chars?!!

A 23 heures une forte détonation, le génie vient de faire sauter ce qui restait du pont. Nous avions été prévenus, tout est miné.

26 mai 1940

Cette nuit bombardement de part et d’autre, de nouveau dans le lointain nous entendons le bruit des chars et de nombreux moteurs, l’adversaire prépare-t-il quelque chose? Ou est-ce simplement le ravitaillement en vivres et munitions? Tir de harcèlement au cours de la matinée, décidément, l’allemand excelle dans ce genre de sport! Pour mon compte, rien ne m’excède autant, je ne connais rien de plus énervant. Je me demande combien de temps cela peut durer ainsi, voilà déjà 11 jours que nous sommes dans le bain et la relève n’arrive toujours pas.

Nous sommes prévenus qu’un obus de 150 à faut sauter la vanne gauche de l’écluse N13 en amont, c’est donc bien ce qu’ils cherchent, essayer d’assécher le canal, heureusement je crois que notre artillerie a encore la prédominance dans ce secteur, car elle leur rend coup pour coup, et même d’avantage.
Ce soir c’est moi de nouveau qui descend à l’écluse.

22h30 arrive et me voici parti avec le caporal Houbert, Wantz, Messier, Phyllipi et Lallemand. Arrivé à la sortie du bois, avant de traverser le dos d’âne, j’ai une discussion avec Messier et Phyllipi, ces deux derniers jugent qu’il n’est pas nécessaire d’aller plus loin et que nous serions aussi bien là où nous sommes; bientôt Lallemand se joint à eux et j’essaie de les persuader. J’en suis forcé d’en passer à la menace d’en aviser le Capitaine car Messier m’accuse de vouloir faire tuer mes hommes. La situation n’est pas encore assez grave, il faut encore discuter, cela a bien demandé une vingtaine de minutes.

Heureusement je parviens à les convaincre, je pousse un ouf de soulagement car ma responsabilité est grande, et je suis esclave du devoir, surtout dans des cas pareils. Enfin nous voici repartis, et en tête de mes cinq hommes, je commence la séance de « ramping ». Je me retourne et je m’aperçois que tout le monde suit en file indienne, espacés les uns des autres d’une quinzaine de pas.

J’arrive ainsi à une trentaine de mètres du canal, et suis passé le promontoire lorsque je sens une grande humidité sous moi. Je continue à avancer, mais plus j’approche de la berge, plus il y a d’eau. A l’endroit où je suis, il y en a bien une dizaine de centimètres, et cela va augmentant jusqu’à avoir sous moi une trentaine de centimètres, je suis presque à genoux dans l’eau et suis trempé de la tête aux pieds. J’ai l’eau qui coule le long de la poitrine et il faut avancer quand même. J’entends rouspéter derrière moi, j’intime à Houbert qui se trouve derrière moi l’ordre d’avoir à faire taire Messier dont je reconnais la voix. Pauvre type il ne réfléchit pas que les Allemands sont là tout prêt peut être à une cinquantaine de mètres et qu’ils peuvent l’entendre.

Enfin nous voici hors de la nappe d’eau et nous prenons nos positions. C’est alors que je réfléchis, le bas de la berge se trouve en contrebas du canal, et l’ennemi ayant fait sauter la vanne de l’écluse N13 en amont, cette nappe d’eau est due à des infiltrations. Il va falloir maintenant passer toute la nuit dans cet état, nous grelottons et claquons des dents, mouillés que nous sommes. Dans le civil cela nous vaudrait une broncho-pneumonie, mais ici nous sommes tabous, nous n’attraperons rien, cependant un lit d’hôpital doit être si douillet, nous n’aurons donc jamais de chance!! Voici que je plonge dans le pessimisme, la douche de toute à l’heure en est pour quelque chose.

27 mai 1940

Toute cette nuit là les Allemands bombardèrent mais par intermittence. Heureusement, de la place que nous occupions, nous étions quelque peu protégés sur le devant tout d’abord parce que la berge du canal allait en descendant vers le pré, sur le derrière enfin par le petit promontoire, le dos d’âne qui n’était qu’à une trentaine de mètre.

Parfois les obus tombaient dans le canal même et cela faisait un plouf retentissant, puis l’eau retombait en cascade. Tout se passait normalement lorsque Phyllipi qui se trouvait à ma gauche vint me prévenir que Messier avait vu bouger. Je laisse mon fusil mitrailleur en garde devant la passerelle sous le commandement du caporal Houbert, et les grenades à la main nous partons fouiller les bosquets et les quelques arbres qui bordent le canal. Il y avait avec moi Messier et Wantz. Nous prenions beaucoup de précautions car je voulais aller jusqu’au groupe qui se trouvait à l’autre écluse afin de bien être certain qu’il se trouvait à sa place et que personne n’avait pu s’infiltrer dans notre dispositif.

Or je craignais d’alerter ce groupe et de recevoir des coups de feu de leur part. Heureusement nous ne vîmes rien en route, et dès que nous approchâmes du groupe, ils firent la sommation d’usage: « Qui va là? ». Je donnais le mot de passe et me mis en contact avec le chef de groupe. Il n’avait rien vu.

Nous retournâmes à notre lieu de guet, et plus rien ne se passa jusqu’au lever du jour. Lorsque nous vîmes le point blanc qui annonçait l’aube à l’Est nous nous mîmes en route pour le chemin du retour. Ouf! Encore une sale corvée de terminée! Mais une bonne nouvelle nous attendait au retour, nous étions relevés des avants postes et passions de réserve du régiment.
A 4 heures, la fraction du 57ème RI qui prenait notre place arriva et nous rejoignîmes la ferme « Cassin ».

Les alentours de Montgon, la ferme “Mélimé”

Sitôt notre arrivée, le Capitaine me fit appeler pour le chasseur Alphonse. Celui-ci avait, au cours de la nuit, suivit la corvée de ravitaillement sans permission aucune, avait par conséquent abandonné son poste (puisqu’il devait rester en position avec le restant de mon groupe pendant que j’étais à l’écluse). Or non content de cela, il s’était enivré, le Capitaine me dit qu’il allait le faire passer devant la court martiale pour désertion et abandon de poste devant l’ennemi. Un motif pareil en première ligne aux Avants Postes était suffisant pour le faire fusiller.

Nous voici donc relevés et nous partîmes dans un petit bois à 7–800 mètres de là pour attendre la nuit et prendre nos nouvelles positions. Toujours rien dans la journée sinon quelques tirs de 150 et de Minen. A 22 heures nous nous remettions en route, nous n’allions pas bien loin de là mais nous mîmes le temps pour y arriver. En effet notre position nouvelle se trouvait dans une assez grande forêt et c’était un travail formidable que d’y parvenir, et cela sous les frondaisons, il faisait une nuit d’encre et nous suivions à la queue le leu en ayant bien soin de ne pas perdre celui qui se trouvait devant nous. A un certain moment nous arrivâmes sur un sentier utilisé pour le ravitaillement par les chenillettes, et il y avait de la boue à n’y pas croire. Nous en avions jusqu’aux genoux et avions une peine extraordinaire à avancer. Cette gangue boueuse nous retenait et nous ne savions plus décoller nos pieds du sol.

Enfin après avoir juré, sacré, tempêté, nous arrivâmes au terminus. Il était près d’une heure, cela faisait 3 heures que nous marchions et n’avions certainement pas couvert plus de 2–3 kilomètres.

Le journal d’Henri — 28 mai 1940

La nuit fut calme, et nous entreprîmes pendant celle-ci une nouvelle lutte, et cela contre les moustiques. Ils pullulaient et le lendemain, nos visages à tous étaient boursouflés sous les piqures.

Au cours de la matinée, le Capitaine vint à la section et nous dit au Chef Carniaux, à Adam, Bergny et moi même que notre conduite du 19 mai (et suite à la proposition de citation celle-ci était acceptée) nous valait à tous quatre la Croix de Guerre. Celle-ci nous serait décernée sitôt notre relève définitive.

Vous dire mon contentement est impossible à décrire, car je pensais à la satisfaction des miens lorsqu’ils apprendraient la nouvelle; j’étais très fier, jamais je n’aurais cru qu’il était si aisé de gagner une décoration.

Vers le midi, changement de décor, nous passions réserve de Division, mais cela uniquement pour la nuit suivante, car la réclamation du Capitaine faisait effet. Le Colonel Lambert nous avait rappelé et le lendemain nous devions joindre le PC du Bataillon à Castel Chéhéry. Nous quittions les premières lignes. Notre nouvelle position était assez éloignée du canal, à 6 km je crois, et nous n’avions plus à craindre que l’Artillerie. En effet la distance était trop longue pour les armes automatiques, les mortiers et les Minen. Nous voilà avec une fameuse épine hors du pied.

Cette nuit encore fut calme, et au petit jour nous nous mîmes en route pour le repos. C’est d’un pied léger que nous marchions. Il nous fallait joindre le village de Vandy à une dizaine de km et la distance fut vite couverte.

Sitôt notre arrivée dans ce village, chaque section eut une grange à sa disposition, et il était défendu de pénétrer dans les habitations évacuées par la population. Nous devions passer toute la journée à Vandy et une partie de la nuit, des camions viendraient nous prendre à 2 heures du matin.

Quelle bonne journée fut celle là! Et comme nous respirions librement, en effet la canonnade ne s’entendait plus que dans le lointain, et nous goutions enfin le calme d’une belle journée de mai. J’en profitais pour procéder à mes ablutions, me raser, me rapropecer; je trouvais d’ailleurs un nouveau pantalon, le mien étant en loques, déchiré par les barbelés, couvert de graisse et de boue. Ah que l’on est bien dans du linge frais et propre!!

Ensuite je m’étalais sur la paille et piquais un roupillon jusque la soupe, pour remettre cela ensuite. En effet, lorsque l’on est en ligne, on vit sur les nerfs, mais maintenant, la détente s’opérait et nous sentions toute la fatigue de ces 15 jours si exténuants, tant fatigue morale que physique.

29 mai 1940

Vers minuit, je suis réveillé car les batteries de 155 qui se trouvaient à l’entrée du village ouvrent le feu. Le calme est maintenant rompu, car en sus des avions survolent le village, nous percevons le bruit des moteurs et reconnaissions des avions allemands. Pourvu qu’ils ne bombardent pas!! Non, ils s’éloignent!!

Mais vers 1 heure, l’artillerie ennemie à son tour ouvre le feu, voilà notre tranquillité foutue. Les avions ennemis de tout à l’heure étaient vraisemblablement venus reconnaître l’emplacement de nos batteries et faisaient maintenant ouvrir le feu sur celles-ci. Notre départ va s’opérer en pagaie, car les obus tombent à proximité de nos cantonnements et il faut faire vite. Nous activons et sommes en avance sur l’heure fixée, nos camions sont parait-il plus loin et il faudra que nous fassions à pieds une partie du chemin.

Castel Chéhéry se trouve à 35 km d’ici. Nous fonçons dans la nuit à toute vitesse car le tir ennemi s’allonge et nous craignons de laisser des plumes. Maintenant que nous descendons au repos, ce n’est pas le moment d’avoir un pépin. Nous n’avions pas peur en ligne, maintenant à l’arrière nous avons la frousse.

Enfin nous voici hors du tir. Nous marchons comme cela jusque 5 heures du matin, c’était bien la peine de nous promettre des camions! La moitié du chemin est faite! Stop! Nos camions sont là, nous embarquons deux sections seulement, il n’y a pas place pour tous, les voitures feront un second voyage. Etant du premier, j’arrive à Castel Chéhéry à 5h45 et nous cantonnons dans la salle des fêtes jusqu’à ce que toute la compagnie soit là et que le Capitaine ait fait la répartition des cantonnements définitifs. Pour 8 heures, ma section est installée; quant aux sous officiers, ils ont permission de prendre quartier dans les habitations, à condition évidemment qu’ils n’y commettent aucune déprédation. Je m’arrange avec le sergent Bourdrez et nous trouvons ce qu’il nous faut, une belle chambre à coucher, très spacieuse et bien confortable. Quel luxe pour nous, de beaux draps et de beaux édredons dans un grand lit, une armoire à glace avec quantité de linge dedans, une table de toilette, il y a même dessus de l’eau de Cologne dont nous nous servirons. Ici comme ailleurs, les habitants sont partis à la va vite sans rien emporter.

Je fais cette fois-ci une vraie toilette et me voici bichonné, propre comme un gros sou. Je me dirige vers le mess, car nous avons un mess, la CHR du bataillon, dans le village depuis 15 jours a tout organisé il y a même fête aujourd’hui car nous sommes invités en grande pompe! Ne sommes nous pas en effet les héros! Nous sommes reçus comme tels, il faut que nous racontions nos histoires du front à ceux qui n’y ont pas encore gouté. Nous faisons un excellent repas, deux plats de viande, légume, dessert, le tout arrosé de Bordeaux et Bourgogne, avant nous avions eu l’apéritif. Tout cela à l’oeil car la CHR a raflé dans le village toutes les boissons laissées par les habitants. Nous avons la permission de prendre tout ce qui se boit et mange. Voilà longtemps que nous n’avons pas fait pareille chair.

L’après-midi le farniente, je fais la sieste, le soir souper digne du diner, quelques belotes et le dodo. Voilà que la vie redevient belle. Ah! Si j’avais des nouvelles de ma femme et de tous les miens; hélas je n’en ai que de Père seulement. Enfin, j’espère que tous sont à l’abri et j’ai confiance en la providence. Je sais par Père qu’Albert lui aussi est à l’abri en Bretagne. Encore un de sauvé, peut-être que petit à petit j’apprendrais que tous le sont. Un peu de patience!!

30 mai 1940

J’ai excellemment dormi et me réveille à 7 heures. Quelques minutes après je suis au mess pour déguster mon chocolat. J’apprends de cette façon que le Colonel Lambert viendra à 11h30 pour la remise des décorations. Il y a jusque 11 heures astiquage et échange des effets. J’en profite pour changer capote et vareuse, souillées et déchirées toutes deux, me voilà nippé de neuf. Puis je me mets à l’astiquage des mes équipements.

A 11 heures rassemblement par section, puis de toute la compagnie. Il est un peu plus de 11h30 lorsqu’arrive le Colonel Lambert. Revue puis défilé des troupes. Voici maintenant l’appel des nouveaux médaillés. Ceux ci doivent se ranger de l’autre côté du rond pont, face au front des troupes. Les voici dans l’ordre:

Capitaine Fruitier, commandant la 3ème Cie. Lieutenant Carle, chef de la 1ère section. Lieutenant Genay, chef de la 4ème section. Sergent chef Villenave, sous officier adjoint 1ère section. Sergent chef Carniaux, sous officier adjoint 4ème section. Sergent Jouest, 1ère section. Sergent Blary, 4ème section, Caporal Mehay, 1ère section. Chasseurs Bergny et Adam, 4ème section. Nous sommes à 10.

Le colonel Lambert passe devant nous, puis successivement devant chacun d’entre nous s’arrête, lit la citation, épingle sur notre poitrine la croix de guerre, et nous serre la main en nous félicitant, et disant à chacun son petit mot. A moi il me dit: « Eh bien!! Voilà une belle citation mon petit gars, c’est très bien». Voici la citation:

Jeune sous officier plein d’entrain. A quinze mètres de l’ennemi, a dirigé le tir de deux fusils mitrailleur pour permettre à l’un de ses camarades l’enlèvement d’un blessé. A lui même, et par trois fois, été rechercher un de ses hommes blessé entre les lignes et momentanément abandonné sur le terrain

Je suis assez ému, en même temps que très fier. Puis le Colonel glorifie “Le Courage” et rappelle les sacrifices déjà consentis par la 3ème Cie. 6 tués, 15 blessés. La sonnerie aux morts retentit. Ensuite le Colonel nous dit « Je sais que vous n’attendez qu’une chose, retourner au feu, ceux qui y sont déjà allés, et y aller pour les autres. Vous changez de division, je vous quitte et dans celle-ci vous remplacerez le 622ème pionniers, quelques travaux vous attendent et ensuite vous reprendrez place en ligne. »

Ensuite ce fut le défilé et les troupes passèrent devant nous. Nous nous mîmes à table sitôt après (les nouveaux décorés la croix sur la poitrine) et nous fîmes ce jour là un excellent gueuleton, la CHR s’était surpassée et voulait ainsi nous fêter. Décidément, depuis notre retour tout marche trop bien, et nous commençons à nous remettre de nos fatigues des semaines antérieures. Pourvu que cela dure!!

L’après midi un peu de sieste, puis quelques parties de cartes, et quelqu’un se mit au piano. L’heure de souper vient, et ensuite la nuit. En vérité quelle belle et bonne journée!! Et quels bons repas, ce n’est pas là un facteur négligeable, bien au contraire.

31 mai 1940

Réveil même heure que d’ordinaire puis il fallut produire des listes des armes manquantes ou hors d’usage, des effets perdus et à remplacer. Et du manquant dans la dotation en chargeurs de FM. Diner encore épatant, puis par section, remplacement des effets, des armes et distributions des chargeurs. Et enfin revue d’armes. Le repos changeait déjà de tournure!

Entre deux j’avais été appelé par le Capitaine ainsi que le Lt Genay et le chef Carniaux pour témoigner des affaires Hérault et Alphonse qui devaient être traduits devant le tribunal militaire pour les raisons déjà citées. Ils n’étaient pas que deux, il y avait également dans les autres sections D’Heilly, Glass, Radiguet qui devaient comparaître pour des raisons à peu près identiques à celles de leur camarades.

Depuis notre arrivée à Castel Chéhéry ceux-ci étaient prison et devaient dans la soirée être enlevés par la prévôté qui se chargeait de les conduire au fort du Chana, près Verdun, pour y attendre leur comparution.

Soirée sans histoires. A 20 heures, la voiture cellulaire vint chercher nos cinq préventionnaires et les emporta vers leur triste destin. Je m’en fus ensuite me coucher.

1er juin 1940

Je m’éveille après une nuit excellente comme d’ailleurs les deux précédents. Je ne ressens plus maintenant aucune fatigue et suis bien disposé. Je me rends au Mess pour le petit déjeuner. A 9 heures il y avait rapport de la Compagnie. Je m’y rendis.

A ce rapport, le Capitaine nous apprit que nous quitterions Castel Chéhéry le soir, il ne savait pas où nous irions, car il n’aurait les ordres que dans l’après-midi. Il nous dit qu’il allait faire distribuer les munitions, sitôt le rapport. Ce qui fut fait, et nous nous mîmes à nous partager les cartouches à fusil et à garnir les chargeurs de fusils mitrailleur.

Nous faisions grise mine car nous étions si bien à Castel Chéhéry, que cela nous semblait bien désagréable de devoir en partir. Et partir où? Voilà ce qui nous tracassait, d’autant plus que nous apprenions la défaite de notre armée du Nord et d’héroïque résistance de Dunkerque.

Nous avions appris également qu’une de nos plus fameuses divisions motorisées et cuirassées, celle du fils du Général Billote (l’ancien gouverneur militaire de Paris) avait été décimée, puis ses éléments fait prisonnier ainsi que tout son état major. Tous ces événements qui se transformaient en autant d’insuccès ne nous donnaient pas de coeur au ventre, et sans désespérer du sort de notre patrie, nous commencions à songer que décidément cela s’annonçait mal. Aussi maintenant qu’il nous fallait songer à partir, nous sentions que notre repos avait vécu et qu’on allait précisément pas nous conduire à des réjouissances. L’avenir devait nous donner raison.

La journée fut encore bonne, mais moins gaie que d’habitude, car dans l’après-midi nous fîmes nos préparatifs de départ. 19 heures, rassemblement de la Cie, Adieu Castel Chéhéry. Cette fois-ci tout le bataillon s’en allait. 5 heures de marche et nous voici enfin au terminus. Nous sommes dans un petit bois et à l’endroit où se trouve notre section, il y a des trous de commencé, nous allons les rendre plus profonds au cours de la nuit.

Nous nous mettons à la besogne, mais ce n’est pas de la terre, c’est une espère ce craie mélangée avec du roc, et nous n’y voyons goutte. Nos yeux clignotent, et finalement nous nous endormons dans nos trous tels qu’ils sont, on verra bien demain matin.

2 juin 1940

Réveil. Nous nous repérons et nous nous apercevons que nous sommes dans un petit bois d’une centaine de mètres de large tout en longueur, une espèce de languette d’arbres. Le bois est fortement accidenté, le côté gauche de la pente arrivant dans un petit vallon. Ce bois se nomment Bois des Grues et se trouve à 2 km du village de Authe, village lui- même situé à 23 km de Granpré.

La nuit avait été calme, rien ne nous faisait savoir que l’ennemi ne se trouvait guère loin, sinon un indice indiscutable: lors de la marche de la nuit, nous avions traversé le village d’Authe, et celui-ci avait été au trois quarts détruit par bombardement d’artillerie. Nous fûmes assez vite fixés sur ce point, car vers 10 heures, alors que nous approfondissions nos trous, les 150 ennemis se mirent à canonner, heureusement les obus tombaient assez loin de nous, environ 1 km en arrière en direction du village. Le Lieutenant nous avait maintenant donné toutes indications utiles. Nous nous trouvions en deuxième ligne, à 2 km des Allemands et un peu plus à droite du dispositif dont nous faisions partie à Montgon. Notre division était là 36ème division du midi et coloniales, 123ème infanterie coloniale, 6ème infanterie Coloniale (des Martiniquais, 21ème et 22ème Bataillons de volontaires étrangers).

Nous étions venus remplacer le 622ème pionniers et notre travail consistait à creuser une ligne de défense. Egalement creusement de boyaux pour l’évacuation des blessés. Les travaux devaient s’effectuer la nuit car nous étions en pleine vue de l’adversaire. Donc nuit travail, jour repos et aménagement d’abris.

Toute cette journée fut employée à la confection de nos abris et vers le soir, tout était définitivement terminé. A 22 heures, départ pour notre lieu de travail. Pour y arriver, il nous fallait traverser plusieurs bois identiques au nôtre, bois tous occupés par l’Infanterie ou des batteries d’Artillerie. Après trois quarts d’heure de marche, nous parvînmes au boyau qu’il allait falloir achever. Division du travail et en avant pelles et pioches. De temps à autre il nous fallait nous camoufler car l’ennemi lançait des fusées éclairantes et ses projecteurs balayaient le ciel à la recherche de nos avions. Je me demandais lesquels car il y avait longtemps que nous n’en voyions plus.

3 juin 1940

Le travail se poursuivit avec célérité et pendant toute la nuit. Les deux artilleries donnèrent de nouveau cette nuit là, mais les obus passaient au dessus au dessous de nous pour tomber loin de nos emplacements. Au petit jour, ou plus exactement lorsque celui ci se mit à poindre, le travail cessa et nous prîmes le chemin du retour.

Installés dans nos trous, la matinée s’écoula paisiblement. Dans l’après-midi, nouveaux bombardements d’artillerie, cela durait une demie heure trois quarts d’heure pour reprendre ensuite, notre artillerie ne demeurait pas inactive et pilonnait les positions adverses presque sans interruption. Parfois un avion allemand venait tournoyer au dessus de nous, et dans les jours à venir nous devions toujours voir ces mêmes appareils qui venaient reconnaître nos positions pour diriger le tir d’artillerie. Nous ne tardâmes pas à leur donner un nom: « Les coucous ».

En effet ces appareils étaient extrêmement légers et semblaient très maniables. Toute la journée se passa de cette façon; et vers le soir nous nous équipâmes pour nous porter vers nos emplacements de travail. Nous étions à peine en route que le bombardement reprit et il nous fallut force précautions pour arriver à bon port car les obus ne tombaient guère loin de notre route. Somme toute, journée sans histoire.

4 juin 1940

Après le travail retour sur nos positions. Nous étions arrivés depuis une demie heure lorsque l’artillerie allemande se mit à donner. Il était près de quatre heures. Ce coup ci cela semblait sérieux car le tir revêtait une intensité jusqu’à présent jamais égalée. Les chutes d’obus se suivaient sans interruption.

Baoum!! Baoum!! Baoum!!

Il pleuvait une formidable mitraille, tout le sol tremblait sous nous. Bientôt une fumée à travers laquelle nous Ne voyions plus rien envahit le bois, cela nous prenait à la gorge et nous avions les yeux qui pleuraient, en plus de cela une odeur de poudre, et toujours le baoum, baoum, baoum. Le tir s’intensifiait encore.

Que devenait la Cie au milieu de ce déluge? Personne ne pouvait le dire, car chacun dans son abri était terré et attendait la fin de cet ouragan de feu. Pour sûr il devait se passer quelque chose d’anormal!!
Nous entendions également nos batteries à gauche qui avaient également ouvert le feu. Dans nos trous, le nez dans la terre, nous attendions. Cela devait durer jusque passer 8 heures, puis petit à petit les chutes s’espacèrent pour enfin se terminer.

Et chacun de mettre le nez en dehors de son trou, nous nous interpelions: un tel, un tel, est-ce qu’il est là? Enfin nous nous hasardâmes à sortir, le bois restait empli de fumée, tout autour de nos abris des éclats partout, des arbres coupés, d’autres tronçonnés, des branches partout.

Je fis l’appel de mon groupe, personne d’atteint. Je me précipitais au bureau de la Cie pour me renseigner sur nos pertes, il devait y avoir de la casse!! Profonde fut ma surprise tous les renseignements parvenus, il n’y avait pas un seul homme de touché. C’était un vrai miracle. Cependant, nous devions notre immunité à notre position tout à fait spéciale, en voici la raison. Le bois se trouvait très en pente, celle-ci était bien de 30 à 40 degrés, or les obus tombaient soit en avant du bois, ou derrière. En effet lorsqu’ils tombaient en avant, seuls les éclats nous parvenaient, et ceux qui nous étaient destinés, arrivant au point mort du côté de la crête, allaient percuter dans le vallon derrière nous. D’ailleurs, la fumée dissipée, nous explorâmes les différents points, partout des trous d’obus, partout des éclats, réellement cette fois nous l’avions de nouveau échappée belle.

Quant à la raison de ce bombardement, nous l’eûmes peu de temps après. Les Allemands avaient attaqué dans notre secteur afin de nous déloger de nos positions, iLs avaient été repoussés en laissant parait-il des pertes énormes. Dans cette même journée, nous apprîmes que les Allemands attaquaient depuis la Somme jusqu’aux Ardennes, et qu’il fallait s’attendre à la réitération de cet essai du matin.

L’après-midi, encore quelques tirs de harcèlement suite à la visite des coucous. Ceux-ci venaient à différents moments, inspectaient nos positions, et dès qu’ils avaient repéré quelque chose de louche, lançaient une bombe fumigène afin de signaler l’emplacement à leur artillerie. On pouvait être certain que cette obus fumigène serait suivi un quart d’heure après d’une volée de mitraille.

22h30, départ en plein tir de harcèlement, nous allons fort distancés les uns des autres pour enfin parvenir à notre lieu de travail.

5 juin 1940

Vers deux heures du matin, les projecteurs ennemis fouillent le ciel, puis nos adversaires lancent des fusées éclairantes, il nous faut rentrer dans nos tranchées pour éviter d’être repérés. Sitôt la fusée éteinte, le travail reprend. Puis d’autres fusées suivies du ta-ta-ta de plusieurs mitrailleuses, serions-nous repérés? Cela était la réalité, car peu d’instant après, l’artillerie tapait dans notre direction, il ne fallait plus songer à travailler. Heureusement là encore la tranchée était étroite et profonde et nous protégeait efficacement.

A un certain moment, la tranchée s’éboula ensevelissant Moutier et Olivier, un obus était tombé juste en avant du parapet. Il fallut dégager nos deux hommes, aucun n’était blessé, il n’y avait qu’Olivier qui n’avait pas l’air très d’aplomb, il semblait commotionné.

Il était impossible de travailler dans des conditions pareilles, aussi le lieutenant Fourrier décida de nous faire rentrer en un peu plus bonne heure.

Il y avait cependant un blessé, BUREL il avait reçu un éclat dans l’épaule et devait être évacué dans la matinée; Olivier à son tour disparaissait car il restait l’air hagard et semblait avoir éprouvé un choc cérébral.

Journée sans histoire, toujours ces énervants duels d’artillerie. Nous apprenions que les Allemands gagnaient du terrain, avaient enfoncé notre front de la Somme et se lançaient en direction de Rouen, leurs premiers éléments motorisés étaient parvenus à Forges les Eaux. Enfoncé également l’Aisne, l’ennemi atteignait l’Oise, cernait Compiègne et Beauvais. Quelle terrible situation et combien celle-ci serait difficile à rétablir.

Ce jour là au lieu de notre tranquillité relative que nous avions les jours précédents, il nous fallait trimer pour creuser des trous de FM. Nous commencions également à nous plaindre des ravitaillements. Celui-ci n’arrivait plus, toujours des conserves, en particulier des sardines du Maroc, et la ration en pain était également réduite à sa portion congrue. Quand au pinard, ou il n’y en avait pas, ou un seul quart par homme. Telle était la ration, cependant, nous avait on assez dit qu’en ligne nous avions droit à 1 litre par homme et par jour. A côté de cela, messieurs les officiers avaient chaque midi une bouteille de vin blanc, une bouteille de vin rouge et une bouteille de champagne. Or il n’étaient que trois, le lieutenant Genay ayant été évacué suite à une crise d’appendicite. Ce qui nous mettait en colère est qu’ils affichaient cela sans pudeur alors que nous endurions des privations.
Le ravitaillement venait pour eux, pourquoi pas pour nous?

Au cours de ce jour, quelques tirs de part et d’autre, puis l’heure du départ arrive et en route pour nos travaux. L’ennemi devait connaître l’heure de notre départ ainsi que le trajet que nous suivions car ce soir là encore, à peine en route, voilà que l’artillerie tape de nouveau. Le lieutenant Carle qui nous conduisait ce soir là décide de changer de chemin, mais cela ne valait guère mieux, là aussi tir d’interdiction. Il nous fait arrêter en attendant que le tir cesse.

Or j’avais la diarrhée depuis quarante huit heures et j’en profitais pour me soulager. Pour cela je m’étais écarté d’une vingtaine de mètres. Tout à coup un obus éclate à une trentaine de mètres de moi, et je n’ai que le temps de me précipiter en avant (le postérieur en l’air et nu) afin d’éviter les éclats. J’étais à peine relevé qu’un autre éclate un peu plus près, même mouvement en avant, mais cela avait coupé ma diarrhée. Je ramassais précipitamment mes équipements et rejoignais ma section.

Impossible de sortir du coin où nous étions, nous attendîmes près d’une heure et en désespoir de cause, le Lt choisit un autre chemin, là encore impossible de progresser. Point n’était besoin d’insister, il ne restait qu’à faire marche arrière pour ne pas continuer à nous exposer au feu. Ce que nous fîmes, si bien qu’à une heure du matin nous étions de retour.

6 juin 1940

Grâce au bombardement nous avons gagné quelques heures de sommeil. La nuit fut bonne. Au réveil, j’appris qu’il allait falloir que j’aille faire ma déposition au PC du Bataillon à 15 km de là, à Beffu, et cela pour mes deux déserteurs, Hérault et Alphonse. Je partirai à 7h30 avec le chef Carniaux et le Capitaine Spitz commandant la Compagnie de Mitrailleuses, une voiture de la CHR viendra nous chercher.

7h15 la voiture est là, en route pour Beffu. Nous y arrivons à 7h45. Je retrouve là tous les sous-officiers de la CHR, quelle belle vie ils ont, point exposés du tout et ayant les facilités de se ravitailler dans les patelins abandonnés. Je mangerai à leur table ce midi car le Capitaine Morloch n’entendra ma déposition que cet après midi. En attendant je vais trouver l’adjudant Miele qui me donne les récipients nécessaires pour me nettoyer entièrement. Ouf que cela fait du bien, ce n’est pas du luxe!!

À midi nous nous mîmes à table et je goûtais très satisfait le plaisir de bien manger, et ce qui ne gâtait rien, la tranquillité, plus de bruit d’obus! Que cela est reposant!! Et maintenant la sieste, je demande qu’on me prévienne si le capitaine Morloch a besoin de moi. Ce n’est qu’à 16h30 qu’il m’appelle, il me faut un quart d’heure pour mes dépositions et je suis libre. Je vais encore prendre mon repos à Beffu car le Capitaine m’a dit que je ne retournerais la bas qu’à 21h et cela avec la voiture de ravitaillement. Ce repas encore fut excellent et je quittais mes camarades car la voiture était là qui m’attendait.

Et me voilà retourné là-haut, enfin j’ai toujours passé une bonne journée. Je dis au sergent Marie de ne pas se presser car je ne tenais pas à aller aux travaux cette nuit là, Carniaux était d’ailleurs de mon avis. Nous n’arrivâmes au lieu de ravitaillement qu’à 22h30, le temps d’arriver sur nos positions je gagnerais la nuit.

En effet la compagnie était partie, je m’allongeais dans mon trou espérant une bonne nuit exempte de bombardement.

7 juin 1940

Je fus brutalement réveillé par des déflagrations, le petit jour pointait. Que se passait-il? De nouveau l’artillerie allemande bombardait nos positions. La Compagnie rentrait précisément des travaux, aussi le Capitaine nous fit partir vers les trous de fusil mitrailleur que nous avions précédemment creusés. De nouveau le tir s’accentuait et prenait la même tournure que lors de l’attaque du 4 juin.

Bientôt d’ailleurs les mitrailleuses à leur tour pétaradaient, c’était une nouvelle attaque de l’adversaire. Là où nous étions placés nous voyions assez bien, et il y avait une demie heure que la préparation d’artillerie était commencée, lorsque nous vîmes sortir des bois en face de nous les premiers tanks ennemis, c’était cette fois-ci une attaque avec éléments motorisés.

Panzerkampfwagen IV potentiellement rencontré par Henri et sa Compagnie

Les chars progressaient en direction du canal, cependant que notre artillerie pilonnait le champ de combat. Nous étions trop loin pour nous servir de nos fusils mitrailleurs, mais les mitrailleuses de la C.A. qui se trouvait à notre gauche ouvrirent le feu à leur tour. La bataille prenait maintenant de l’ampleur et toutes les bouches à feu crachaient des deux côtés. Derrière les chars nous commencions à voir de l’infanterie allemande qui progressait à son tour.

Malgré le déluge de mitraille, il était impossible d’enrayer la progression, cependant l’adversaire devait avoir de fortes pertes, car sans cesse de nouveaux éléments débouchaient des bois et à leur tour entraient dans la danse. Nos FM maintenant ouvraient le feu, l’ennemi arrivait à notre portée. Cela dura de cette façon jusqu’à 7 heures. Nos avant postes avaient été dans l’obligation de céder du terrain et l’ennemi occupait maintenant les deux rives du canal. Le repli de nos premières lignes s’était effectué jusqu’à nous, et dans la nouvelle organisation de défense, nous restions sur nos positions. De nouveau nous étions en première ligne.

Cette attaque avait couté du monde, en effet à la Cie 4 tués: LEBLANC — LEHOUSSEAU — PUYPE et BLACHE. 8 blessés: Caporal MARCHANDISE — PLATZ — LE MEN — VANDEVELDE — CAUSSADE — PLANCHON et 2 hommes de mon groupe CASTEL blessé à la tête et ROUSSEAU qui avait reçu un éclat d’obus dans le ventre. Avec les pertes des périodes précédentes, la Cie commençait à être assez sérieusement malmenée au point de vue effectif. Qu’allait maintenant faire l’ennemi? Quant à nous, il n’était plus question de travaux de nuit, il fallait maintenant songer à notre propre sécurité et à l’organisation définitive de notre secteur.

En attendant nous restions sur nos positions et en état d’alerte. Nous craignions une nouvelle attaque mais cela ne se produisit pas. Certainement l’adversaire reprenait son souffle. Quelques obus au cours de la journée, ce fut tout. De nuit quelques nouveaux bombardements, pour la première fois, les Allemands nous envoyaient des obus que nous ne connaissions pas, des fusants (schrapnels). Ces obus étaient beaucoup plus meurtriers que les autres car ils explosaient en l’air et les éclats retombaient au sol avec une force incroyable.

Cette nuit là sans arrêt les projecteurs nous balayèrent de leurs faisceaux lumineux et de nombreuses fusées éclairantes furent lancées.

8 juin 1940

Enfin le jour pointe et rien ne se passe. Au cours de la nuit de nouvelles pertes: Albert CAILLY, parisien, tué par un fusant, un éclat étaient entré dans le bas ventre, avait traversé les intestins pour ressortir par le dos. Il était recouvert par une couverture et semblait dormir. Il était d’une extrême pâleur étant exsangue, en effet tout le sang était parti par la plaie du dos. En même temps que lui et par le même obus avait été blessé Moïse MAES, Lillois, l’avant bras était sectionné et les tendons arrachés. Le lieutenant Lecul fut chargé avec deux hommes d’enterrer Cailly et j’allais lui prêter la main.

La journée fut assez calme et employée par nous à la confection de réseaux de barbelés. Il fallait pour ça prendre forte précaution pour ne pas être vu de l’adversaire. Heureusement cela allait assez vite car le réseau se faisait quelques mètres à l’intérieur du bois, et nous clouions les fils à même les arbres. Parfois des obus éclataient et nous n’avions que le temps de nous jeter à plat ventre afin que les éclats passassent au dessus de nous. Il fallait faire vite car des préparatifs chez l’adversaire faisaient pressentir une nouvelle attaque. Nous faisions grise mine car c’était à nous cette fois-ci de supporter le choc des chars d’assaut ennemis.

Nous atteignîmes ainsi le soir. A la nuit, nouvelle corvée. Notre section avait à charge d’enterrer 9 chevaux qui avaient été tués deux jours auparavant. C’était un convoi de voiturettes qui avait été surpris par le bombardement et hommes, chevaux, voitures avaient sauté en même temps. Dès que nous fûmes à pieds d’oeuvre, les travaux commencèrent, mais quelle sale besogne. Effet de la chaleur, les cadavres des animaux dégageaient une odeur de charogne insupportable et il fallait par moment se boucher les narines tant cela sentait mauvais. En plus de cela, impossibilité de creuser des trous assez profonds, le sol était trop dur. Aussi les pattes raidies des chevaux n’entraient pas dans les trous. Il fallut découper les pattes à la hache, ce qui fait que l’odeur était encore plus nauséabonde.

Enfin à 2 heures du matin tout était fini et nous regagnâmes nos positions. La fatigue des jours précédents commençait à se faire sentir, surtout le manque de sommeil agissait et nous étions fourbus.

9 juin 1940

Rien ne s’est passé jusqu’au petit jour et pendant près de deux heures nous avons sommeillé par intermittence. Cette somnolence nous a fait du bien, je me sens mieux ce matin. Pas de bombardement avant 10 heures, cela dure une heure puis cesse. A la première section, une nouvelle victime, le caporal MARCHAND tué par un obus au moment où il sortait de son trou, il avait été littéralement coupé en deux.

Vers midi l’artillerie tire de nouveau, il devait en être ainsi toute la journée ou ce fut du harcèlement continuel. Dans l’après-midi nous apprenons que notre artillerie déménage et prendra position plus en arrière, il en est de même ensuite de nos chars dont nous entendons le ronflement des moteurs. Pourquoi nous laisse-t-on ainsi presque seuls en face de l’ennemi, nous n’avons plus rien pour nous servir d’appui. Nous ne devions pas tarder à l’apprendre.

A 18 heures nous apprîmes qu’à notre tour nous battrions en retraite à la tombée de la nuit, nous laissions le terrain à l’adversaire. Il avait été miné et le 21ème étranger était chargé de protéger notre retraite. Plus rien ne se passa jusqu’au moment de notre départ qui eut lieu à 22h30. Celui-si se fit en bon ordre, nous prîmes la direction du village de Authe que nous traversâmes une demie heure plus tard. L’artillerie allemande donnait de nouveau de devait nous accompagner ainsi pendant près d’une heure. A chaque instant nous devions nous plaquer dans les fossés bordant la route afin d’éviter les éclats.

A minuit trente nous arrivions à Autruche encombré par des convois.

La région autour d’Authe, le bois mentionné par Henri est sans doute aux alentours

10 juin 1940

Ce fut une véritable corvée que de traverser le village, car sur toutes les routes l’artillerie, les escadrons de cavalerie, des convois motorisés débouchaient de tous côtés, et cette cohue indescriptible (car maintenant l’infanterie se mélangeait avec eux) ne parvenait pas à s’écarter du patelin. Notre compagnie elle même était essaimée sur une grande longueur et nous marchions par petits groupes séparés les uns des autres et un peu à notre gré. Enfin nous laissâmes les convois derrière nous et à 2 heures nous atteignîmes Beffu où se trouvait primitivement le PC du bataillon.

Ce nouveau village, comme les autres, était encombré et de nouveau nous nous mélangeâmes avec différentes armes. Cependant les officiers supérieurs s’affairaient autour des convois car il fallait procéder à l’écoulement de tout ce matériel avant le petit jour qui verrait l’incursion de l’aviation ennemie, qui de nouveau procéderait au bombardement de cette proie si bellement offerte.

Et la marche continua!

Nous voici maintenant sur la route de Champigneulle que nous avions quitté le 14 mai. Que de choses s’étaient passées depuis cette époque. Et voici Champigneulle, le pauvre petit village avait lui aussi pâti et de nombreuses maisons étaient écroulées et brulées, quelle différence entre le village actuel et le riant petit village qui avait abrité notre quiétude pendant une douzaine de jours. Et notre cohorte continua son chemin vers Granpré.

Nous étions de nouveau à plat, car rien n’est fatigant comme ces longues marches de nuit, et en plus de cela nous étions lourdement chargés. Pour mon propre compte je n’en pouvais plus. Depuis quelques jours cela ne tournait plus rond, depuis l’époque ou j’avais eu un commencement de dysenterie qui m’avait à moitié épuisé. Cependant je faisais de mon mieux pour marcher quand même et m’accrocher le plus plus possible pour ne pas perdre trop de terrain. C’est ainsi qu’un petit convoi nous ayant rattrapé, je montais sur le marche pied d’une roulante, me faisant ainsi conduire pendant quelques kilomètres. Je rejoins de cette façon ce qui restait de la Compagnie (beaucoup ayant été lâchés) et je laissais bientôt partir ma roulante, chose que je regrettais bientôt, car de nouveau je fus lâché.

J’eus la chance quelques kilomètres plus loin de rencontrer un convoi d’artillerie et je m’assis sur l’affut d’un canon de 155. J’atteignis de cette façon Grandpré où je pensais retrouver là la Compagnie, mais celle-ci ne s’était pas arrêtée et avait pris la direction de Senuc. J’avais à Grandpré retrouvé le sergent Lefebvre et cinq hommes lâchés également, à nous 7 nous nous renseignâmes et de nouveau pedibus cum jambis en route vers Senuc.

Mon dieu que nous étions fatigués, les efforts des jours précédents, les insomnies se faisaient sentir et nous étions à bout de force. Enfin à 7h30 nous joignîmes enfin Senuc. Là, nouvelle déception, la Compagnie s’était portée plus loin et se trouvait dans la forêt de Senuc à 3km au delà. Ce n’est qu’une heure plus tard que nous arrivâmes au terminus. La Compagnie avait diablement fondu et était réduite de moitié.

La balade du 10 juin

Nous campâmes dans un coin de la forêt où sitôt arrivé j’avais choisi un coin afin de sommeiller. Cependant un ennui de plus avait surgi, la pluie commençait à tomber. A la hâte malgré la fatigue je montais la tente, puis comme une brute je m’endormis.

Je ne devais me réveiller qu’à la soupe, on tapait sur mon épaule fin que j’y aille. Ce que je fis. J’appris alors que le sergent MARIE qui s’occupait du ravitaillement avait été blessé d’un éclat d’une bombe d’avion. Le sergent Villaret malade au cours de la nuit avait été évacué. Après la soupe, je me décidais à aller voir le toubib pour lui demander ce que je devais faire. En y arrivant je trouvais un homme de mon Groupe, Phyllipi, qui attendait l’ambulance afin d’être lui aussi évacué, il s’était fait une entorse. Le toubib m’ausculta puis me dit que j’étais faible. Il me donna quelques cachets antidysentriques puis me fit une piqure de strychnine pour me remonter.

L’après-midi fut calme à part quelques alertes. Cette fois-ci les avions ennemis, qui n’ignoraient pas que les bois environnants servaient d’asile à de la troupe, mitraillent au petit bonheur. Il y eut une autre sorte d’alerte que nous n’avions jamais eu jusqu’alors. Nous entendîmes des sifflements de bombes, vite nous nous camouflèrent, mais rien ne tombait au sol. C’était uniquement des avions munis d’une sirène imitant le sifflement de la bombe, et ce stratagème servait à créer la panique. Nous apprîmes que ces avions étaient des Italiens, les premiers que nous vissions depuis l’entrée en guerre de l’Italie. C’était des “Caprani”. Le reste de la journée se passa sans incident, et nous attendîmes le soir afin de partir pour une autre étape.

De nouveau, départ à 23h, le calvaire reprend et nous voici sur la route de Senuc que nous retraversâmes à minuit.

11 juin 1940

Cette nuit est la répétition de la précédente, tous les villages que nous traversons sont encombrés de convois et de matériel de toutes sortes, nous avançons péniblement. Je me traine comme je peux, m’accrochant tantôt à une fourragère, tantôt à un canon ou à un véhicule quelconque. Et ce long calvaire dura ainsi toute la nuit.

A 4h30 ce fut enfin la pause dans un petit bois; nous repartirions à 8 heures en échelons dilués afin de joindre la forêt d’Autry. J’étais un peu reposé lorsque nous reprîmes la route, et enfin à 11h nous atteignîmes Autry, puis la forêt. Au village d’Autry une grande nouvelle, ou plutôt plusieurs grandes nouvelles m’avaient presque rattrapé. Voici ce qui nous avions appris: La Russie attaquait la Pologne Allemande et cela avec 140 divisions. La Turquie et la Roumanie avaient déclaré la guerre à l’Allemagne et les Etats-Unis nous envoyaient 3000 avions ainsi que des pilotes. La guerre allait changer de face.

Sitôt arrivé en forêt je montais de nouveau la tente car le ciel menaçait, et de nouveau je plongeais dans le sommeil. Il n’était plus question de soupe, nous avions perçu une boite de singe, une boite de sardines et un pain, nous devions nous débrouiller avec cela jusqu’à nouvel ordre car le ravitaillement ne suivait plus.

Je ne me décidais à ranger mes affaires qu’à la toute dernière minute avant le départ, car il pleuvait comme vache qui pisse. A 22h debout et sous l’averse, en route!! La retraite continue, où cela va-t-il nous conduire!!

Avant le départ, j’avais eu soin de demander l’itinéraire car je suis décidé à ne plus suivre cette cadence. Je me débrouillerais moi même, j’en sortirais certainement plus facilement. A minuit 30 à Saint Thomas j’avais lâché la file et je marchais avec le chasseur Triviaux qui avait fait comme moi.

12 juin 1940

2 heures du matin, voici Vienne la Belle, nous sommes trempés, depuis le départ il n’a cessé de pleuvoir. Nous continuons pour atteindre à 2h45 Vienne la Ville. Nous nous renseignons pour savoir la route qu’a suivie la Cie, et la direction de Futeau. Personne ne peut nous renseigner. En désespoir de causes, à droite de la route un convoi est arrêté, nous montons dans une voiture, elle nous conduira bien en direction.

C’est un convoi de régiment colonial, des bicots. Nous restons près d’une heure sur cette voiture, le petit jour pointe à l’horizon et le convoi est toujours à la même place. Nous descendons Triviaux et moi car nous ne tenons pas à être bombardés par l’aviation, le convoi offrant une trop belle cible. Nous marchons quelques kms, puis nous entrons dans une ferme au bord de la route avec l’idée d’y piquer un petit roupillon et afin de nous y sécher. D’autres ont eu la même idée que nous; en effet nous retrouvons là le sergent Bonamy, les caporaux Drache, Gilbert et le chasseur Dapremez. De la paille avec un vieux matelas (la maison est trop sale) et dans une grange nous dormons jusqu’à 9 heures.

A cette heure là nous procédons à nos ablutions, nous fouillons la maison, nous faisons provision de cidre, mangeons quelques oeufs trouvés dans un coin (les poules on disparu) et en route vers Futeau.

Nous rattrapons quelques isolés de la Cie, ainsi que des isolés du 21ème Etranger qui avait été chargé de protéger notre retraite lors de notre départ de Authe le 9 juin. Ils nous expliquent que peu ont réussi à s’échapper, le bataillon ayant été décimé à la suite de l’attaque allemande.

Nous faisons avec eux une partie de la route et atteignons enfin l’étape “Les Islettes” à 11h30; la Compagnie est dans le bois du Charme, nous voici au repos, pour combien de temps!! En route, des camarades ont trouvé des prospectus lancés par l’aviation allemande, sur ceux-ci des croquis montrant la situation des deux armées et disaient:

Français, mettez bas les armes, ne combattez plus pour les Lords de Londres, vous êtes trahis et vos chefs s’enfuiront en avion.

Quelques avions mitraillèrent les bois au cours de cette journée et à 16 heures nous prîmes la direction de Futeau où nous arrivâmes 2 heures plus tard. Aussitôt nous bifurquâmes car il fallait aller prendre position au Sud du lac de Villers en Argonne. Cela faisait 3 jours que nous battions en retraite et l’ennemi nous talonnait déjà. C’était à n’y rien comprendre. Nous avions quitté le contact avec l’ennemi dans les Ardennes, nous étions maintenant dans la pointe de la Marne, et sans combat nous avions reculé de 100 km. C’était de la belle stratégie.

Pour arriver à Villers en Argonne, nous avions une douzaine de km à faire et à 19 heures nous étions en position. Calme jusque 22 heures où les armes automatiques rentrent en mouvement, nous sommes placés à différents coins de la forêt, autour du lac et cela avec une quantité de munitions.

La pression ennemie s’exerçant trop fortement, et ne pouvant rien faire dans la nuit, à 23h30 nous recevons l’ordre de battre en retraite en même temps que les mitrailleuses d’appui. Tant mieux, ce coin ne m’enchantait pas. Avant de partir, nous précipitons les munitions dans le lac car il nous est impossible de les emporter. Et en route pour une autre direction.

Nous étions en route depuis une vingtaine de minutes lorsque nous nous apercevons que nous avons oublié Dubusque et Lallemand qui se trouvaient en avant de nous avec un fusil mitrailleur. Pauvres diables, dans la précipitation du départ il n’eurent pas d’ordre de repli et furent oubliés.

13 juin 1940

Et de nouveau la marche, nous reprenons la direction du village de Villers en Argonne pour nous diriger ensuite vers la Meuse. Et les heures passèrent toute la nuit nous marchâmes. Vers 2 heures du matin à demi exténué (je me remettais très mal de mes fatigues précédentes) je montais sur une voiturette de mitrailleuses et, la fatigue aidant, je m’endormis dans une position pourtant fort incommode.

Au petit jour nous fîmes une halte dans la forêt près du village de Givry en Argonne. A 5h30 la marche reprit, nous prîmes la direction de Vaubécourt, mais vers 8 heures, un ordre vint qui nous transmettait d’aller reprendre position derrière le village de Givry. Et nous voilà arpentant la route en sens contraire! Vers 10 heures nous prîmes notre nouvelle position sur une route. Immédiatement nous nous installâmes dans les fossés bordant la route et à la hâte il nous fallu creuser des trous de fusil mitrailleurs.

Sitôt le midi l’artillerie ennemie se mit à donner et un pilonnage en règle commença qui devait durer de cette façon jusqu’environ 3 heures. Au cours de ce bombardement, nous eûmes le malheur de perdre quelques hommes. Tués: Caporal OLIVIER et le chasseur DHOOGE. Blessés: DRUET et DAUSSADE. Sitôt terminé le bombardement, les mitrailleuses ennemies nous prirent sous leurs feux sans que nous puissions les voir. A notre tour nous ouvrîmes le feu dans leur direction.

Comme toutes les autres fois, le contact avec l’adversaire étant pris, nous reçûmes l’ordre de battre en retraite dans la direction de Vaubécourt, il fallait faire vite car nous étions dans une poche, et l’issue de celle-ci se refermait d’heure en heure. De nouveau nous retraversâmes Giraumont pour atteindre Vaubécourt.

A 21 heures Vaubécourt traversé, nous atteignîmes le bois des Viergettes à quelques kilomètres au delà du village. Nous avions à ce moment quitté la Marne et nous étions à présent dans la Meuse. Au cours de la traversée des différents villages, partout des barrages anti chars, tous les matériaux étaient bons pour ces travaux, voitures chargées de pierres, instrument aratoires, et quand les moellons manquaient, le génie faisait sauter les habitations afin d’avoir le nécessaire sous la main. C’est ainsi qu’après avoir traversé Vaubécourt nous vîmes plusieurs maisons sauter en l’air.

Le bois des Viergettes dans lequel nous nous trouvions devait nous servir d’abri pour la nuit. Mauvais abri cependant car la pluie s’était mise à tomber, mais qu’était-ce que ce petit ennui auprès de ceux bien plus grands que nous courrions journellement. Sitôt nos emplacements trouvés nous nous serrâmes les uns contre les autres afin d’avoir plus chaud. J’eus recours à des camarades pour la couverture et toile de tente, car ayant la fièvre et avec la fatigue des jours précédents, sur les injonctions du Capitaine, j’avais envoyé mon sac sur la roulante et celle-ci justement ne suivait plus.

C’était bien ma veine.

14 juin 1940

A 4 heures du matin réveil, nous devions nous remettre en route; sitôt prêts nous primes la route qui traversait le bois. Celle-ci était encombrée d’un convoi d’artillerie qui prenait la même direction que nous. A peine en route nous fûmes survolés par de l’aviation qui cribla les alentours de rafales de mitrailleuses. Sitôt l’alerte passée nous reprîmes la route. Quelques instants après un formidable tir d’artillerie tapa sur la route et les à côtés de la forêt avec une intensité fantastique. La position était bonne et les premiers obus tombèrent en plein sur la route, envoyant en l’air en avant de nous canons, chevaux et artillerie. Cela faisait un bruit invraisemblable et une pagaie inouïe.

J’étais près du fossé de la route et je m’y précipitais absolument abrité. Un peu en arrière de moi je vis un artilleur se précipiter vers la forêt se tenant le ventre et il hurlait aie aie aie aie aie aie.

Je ne songeais alors qu’à fuir et droit devant moi en restant dans le fossé je courrai haletant. Lorsque j’entendais le sifflement d’un obus, vite je me précipitais le ventre dans mon fossé, je me relevais, faisais quelques pas pour ensuite recommencer la même manoeuvre. A ma droite je vis un canon sauter en l’air avec tout son attelage. Je croisais deux artilleurs, l’un soutenant l’autre, celui-ci (j’eus le temps de le voir en passant) avait la moitié de la main enlevée et il suppliait et pleurait. Je ne m’arrêtais pas, continuant à foncer. Il fallait absolument que je sorte de cet enfer.

Je ne sais depuis combien de temps je courrais (j’étais hors d’haleine et en nage) lorsque je vis à travers la fumée un motocycliste que je reconnus pour être le sergent chef Cailleaux. Je lui fis signe, il ralentit et en marche, je sautais sur la moto. Il faisait comme moi voulant absolument sortir de ce lieu maudit.

Et nous voilà partis à plein gaz au milieu de l’encombrement et de la mitraille. Ce fut miracle qu’il ne nous arriva pas d’accident. Cailleaux fonça ainsi pendant un bon bout de temps et nous parcourûmes bien une vingtaine de km. La voiture du bataillon nous rattrapa quelques temps après (elle était pleine de blessés). L’adjudant Legris qui était avec le chauffeur nous dit que le bataillon se reformait à Evres en Argonne. Je remontais derrière Cailleaux qui me déposa une douzaine de km plus loin et s’en fut.

A pied je pris la direction d’Evres. En route je rencontrais Genoux avec son fusil mitrailleur, lui aussi s’était enfui isolément, il me dit que le lieutenant Carle avait crié sauve qui peut. Je le ralliais pour venir avec moi. Un avion arrivait assez bas, nous nous mîmes sous un arbre, c’était une croix gammée et nous lui envoyâmes une rafale.

Tout cela avait demandé du temps et ce n’est qu’à neuf heures que j’atteignis Evres en Argonne. Le Capitaine y était avec 11 hommes de la Cie, c’est tout ce qui restait, les autres étant épars dans la nature. J’appris que les caporaux GILBERT et DRACHE avaient été tués ainsi que le chasseur LAVIOLETTE. L’adjudant RENARD était grièvement blessé à la cuisse ainsi que les chasseurs HARTMAN, CASTILAC et ERCAGNE. Ce ne fut que dans l’après-midi que la Cie fut reconstituée, il manquait encore une dizaine d’hommes lorsqu’il nous fallut repartir. Dans mon groupe étaient disparus Wantz et Messier, et il ne me restait que trois hommes.

Nous prîmes la direction de Lisle que nous traversâmes en plein après-midi. Ensuite ce fut Chardogne. De nouveau nous avancions à marche forcée. Un peu au dessus de Chardogne, la colonne fit halte, de nouveau nous avions parcouru une trentaine de km. Nous allions coucher dans un bois, comme d’ailleurs les précédentes nuits.

15 juin 1940

Au petit jour, nouveau départ vers Vavincourt atteint dans la matinée, puis nous repartîmes pour atteindre Rosnes (enfin) vers 10 heures. Nous fouillâmes les maisons de ce village afin de trouver quelque chose à se mettre sous la dent (depuis quelques jours il n’y avait plus aucun ravitaillement, nous étions affamés) puis de nouveau en route. Nous traversons Erize la Grande puis Erize la Petite où nous prenons position dans un petit bois cependant que les engins du 18ème sont chargés de défendre le village contre les incursions d’engins blindés.

Fin d’après-midi calme, nous passons la nuit là où nous sommes.

16 juin 1940

Réveil 3h45, nous prenons la direction de St Mihiel pour bifurquer ensuite par la Voie Sacrée qui mène à Bar le Duc. Nous traversons Erize la Brulée et prenons positions sur une crête un peu au delà du village, tout est calme jusqu’à 8 heures où nous recevons l’ordre d’attaquer afin de dégager le 2ème bataillon du 123ème JC aux prises avec l’ennemi.

Ma section part et nous attendons sur une crête les dernières instructions. Devant nous et dans le fond, nous entendons les armes automatiques qui crachent. A notre gauche sur une autre crête peut-être à 4 ou 5 km, nous voyons des Allemands qui avancent. C’est une vraie fourmilière, et le temps étant très clair, nous les distinguons très bien.

Cependant voici 6 chars qui arrivent pour nous aider dans notre mission. Ceux-ci à peine en route, nous les suivons. Nous sommes (à notre droite) pris à partie par des armes automatiques ennemies, nous attaquons dans cette direction. La progression s’avère difficile, cependant il faut y aller. Je ne suis guère en train car j’ai la conviction que cela n’ira pas.

Pendant la progression, le sergent LOUARD est blessé ainsi que PITOISET. Cela ne nous arrête pas, devant nous les chars continuent à progresser. L’artillerie allemande balaye le terrain, puis nous voyons leurs tanks et engins cuirassés qui sortent de partout. Nos chars font demi tour, à la hâte nous battons en retraite.

Impossible de dégager le 2/123, nous ne pouvons remplir notre mission. Nous laissons encore sur le terrain la chasseur DURAND, cela fait encore 3 de moins à la section.

Après notre fuite, nous atteignons de nouveau la Voie Sacrée et traversons dans l’autre sens Erize la Brûlée. En route les chars nous dépassent, nous faisons vite car nous sommes en queue de colonne et les Allemands certainement nous talonnent. Toujours à la même allure nous quittons la Voie Sacrée à 10 km de Bar le Duc pour marcher sur Belrain qui se trouve encore à 4 km de là. En route, le sergent chef Villenave qui attendait la Cie me prête son vélo et j’arrive au village vers 11 heures.

Peu de temps après, la Cie joint également. Entre deux j’ai eu le temps de fouiller quelques maisons, hélas plus rien à manger sinon des fruits dans l’alcool. J’en ai quelques bouteilles pour les camarades et moi. Nous partageons et faute de mieux les quetsches, prunes et cerises nous serviraient de nourriture. Nous cassons les goulots des bouteilles afin d’aller plus vite. Devant nous sur la route passent des éléments d’infanterie, un escadron de cavalerie, de la GRD, des engins. Quelques instants après le Capitaine appelle les officiers chefs de section et les chefs de groupe et nous dit ceci:

“Il faut encore que nous tenions jusque demain soir, après quoi nous serons relevés par une division fraîche. Nous allons former deux sections avec ce qui reste de la Cie et prendre position à 1km d’ici.”

Je suis consterné car je sens, nous sentons tous d’ailleurs, que nous allons à la mort ou que nous serons faits aux pattes (prisonnier). Impossibilité de former deux sections, nous ne sommes plus que 49 avec le Capitaine. En effet en plus des trois hommes perdus à la 4ème section pendant l’attaque du matin, il y avait dans les autres:

Tués: CAPELLE — DELATTRE — SOHET — MAISTRE — SAHUTET

Blessés et ramenés: RIBEAU — MINARDIER — VANHEE — LEMAY — DUBART — LARTE — Cal LEFEBVRE.

Nous ne formerons donc que deux sections de 24 hommes car il reste 5 fusils mitrailleurs. La 1ère section sous le commandement du Lt Carle, la seconde sous celui de Lt Fourrier. Le Capitaine va installer son PC à 800 mètres en arrière de nous, le PC du Bataillon restant à Belrain avec la CHR.

Il est midi 30 lorsque nous partons sur nos positions. Quelques instants après nous arrivâmes dans le bois de Belrain. Ce bois avait précédemment était occupé, car partout trainaient des havresacs et objets de toutes sortes. Nous fouillâmes afin de trouver des vivres; malheureusement il y avait de tout sauf cela. Je fus quand même fort aise de trouver un morceau de fromage que je dévorais avidement. Sitôt nos secteurs de tirs désignés, nous nous mîmes au travail car il y avait nécessité à creuser des emplacements de FM. Hélas le sol n’était que racaille et ils nous manquait les instruments nécessaires pour pareil travail. Ce qui fait que nous nous contentâmes de trous profonds de 40/50 cm.

A partir de ce moment nous attendîmes l’ennemi. Nous savions que son apparition ne tarderait guère, car avant de prendre position nous avions vu au lointain des colonnes ennemies qui progressaient sur notre droite.

Cela se vérifia peu de temps après, vers 14h45 quelques Allemands (des éclaireurs sans doute) apparurent à l’orée d’un bois qui se trouvait à 1 km en avant de nous. Quelques chargeurs tirés les firent se tapir immédiatement. Nous demeurions dans l’attente des évènements qui allaient se produire, évènements si gros d’importance pour nous.

Une demie heure après, le chef Carniaux vint prévenir le Lieutenant (je me trouvais avec le groupe qui tenait à la droite du Lieutenant) qu’un chien type berger allemand était venu les flairer. En plus de cela des Allemands étaient apparus pour se cacher immédiatement, et ceci se passait à la corne d’un petit bois à moins de 150m d’eux. Qu’allait-il se produire? Encore une vingtaine de minutes de calme, puis en face de nous à 500m environ, des Allemands sortent des bois en progressant par bonds. Nos fusils mitrailleurs crachent, ils ripostent, cela dure 7 ou 8 minutes. Ils n’insistent pas et rentrent dans la futaie.

Peu de temps après des mortiers nous envoient quelques obus qui tombent heureusement assez en arrière de nous. C’est alors que le Lieutenant Fourrier m’appelle et il me dit:

Blary, puisque vous n’avez plus de groupe, vous allez me servir d’agent de liaison. Vous irez au PC du Capitaine, lui direz que nous sommes écrasés de tous côtés et lui demanderez s’il nous est possible de nous replier, car la résistance ici ne servira à rien. A 200m d’ici vous trouverez le corps franc et un petit peu plus à gauche la section du Lieutenant Carle. Faites vite car il y va de notre vie à tous, soyez prudent, bonne chance”.

Et me voici en route nanti d’une mission bien délicate. Je prends le sous bois et arrive à l’endroit désigné comme étant l’emplacement du corps franc, point de corps franc, je m’étonne!! Tant pis allons vers le Lieutenant Carle. Je continue en contournant le bois et ne trouve pas non plus celui-ci. Que se passe-t-il donc? En désespoir de cause je n’insiste pas dans mes recherches et me dirige vers le Poste de Commandement du Capitaine (PC) toujours sous bois. J’arrive à 300m de celui-ci, il faut que j’abandonne la futaie, j’arrive à la lisière et vais pénétrer dans la plaine.

Le temps d’apercevoir trois silhouettes vertes à 40m de moi, d’entendre une balle siffler à mon oreille, je suis de nouveau sous bois, tout s’est déroulé en moins de quelques secondes. Nous sommes complètement cernés, il faut cependant que j’atteignes le PC coute que coute et que je revienne. Je fais encore une cinquantaine de mètres dans les broussailles, il y a là un petit défilement et une croupe qui me met à l’abri des vues, je vais essayer de passer par là. Je vais rampant pendant un instant puis j’avance à quatre pattes, je reprends confiance car on ne tire pas en face de moi. Au pas de course je me précipite vers le PC.

J’y arrive, pas l’ombre du Capitaine. Que sont-ils tous devenus? Je reste perplexe pendant quelques minutes puis prends la décision d’aller jusqu’à Berlain au PC du bataillon. Peut-être le Capitaine est-il là bas. Je reprends le pas de course, les minutes deviennent de plus en plus précieuses, voici le chemin qui mène au village, j’aperçois celui-ci en bas de la descente.

Me voici au village, pas un bruit, un silence de mort, je prends la rue qui se trouve en face de moi, j’avance pendant 150m puis tourne le coin de la rue.

Le temps d’apercevoir une colonne allemande à 60m en avant de moi, d’avoir le réflexe de faire demi tour, puis de réfléchir que si je me sauve, je suis perdu, qu’ils vont tirer sur moi. Je lève les bras, tout ceci se passe en moins d’une seconde.

Voici la colonne qui approche, je marche au devant d’elle, je sens que je suis pâle et que j’ai peur, vont-ils tirer? Que va-t-il m’arriver? Quel atroce moment!

Un homme m’interpelle, me couche en joue, les autres sont autour de moi. Je suis prisonnier.

Un allemand (ça doit être un gradé) me fait encadrer par quatre hommes baïonnette au canon, on me fait jeter à terre mes équipements, on me fouille pour voir si je ne cache pas d’armes sur moi, on m’enlève mes cartouches, je ne conserve que mon masque et mon casque. On m’intime maintenant l’ordre de suivre, toujours encadré par quatre gardes du corps. C’est alors que je réalise la bonne idée que j’aie eu de ne point fuir, en effet la colonne se compose peut-être d’une centaine d’individus et est précédée de deux tireurs mitraillette à la main.

J’aurais été massacré.

J’arrive sur la place du village, la colonne rompt les rangs, on me fait assoir près d’une fontaine. Un homme, un officier certainement, arrive près de moi et me demande en français de quelles unités je fais partie et où sont mes camarades. Je lui donne le numéro de mon unité et lui dis que mes camarades sont cernés sans préciser l’endroit où ils se trouvent. Il se contente de cela, me fait rassoir et renvoie trois des hommes qui me gardaient, un seul demeure auprès de moi, toujours baïonnette au canon.

D’autres soldats allemands m’entourent maintenant et me regardent avec curiosité, l’un de ceux-ci me tend une cigarette et me donne du feu en me disant en français “guerre finie maintenant, pas en vouloir France, Angleterre Kapout” et brandit le poing, il me dit encore “Paris pris, Verdun pris”.

La secousse est trop forte, je pleure, car je viens de comprendre que la guerre est perdue pour nous, mon pauvre pays!!

Un officier arrive, force le groupe à s’égailler, je demeure avec mon gardien, cet officier recharge son revolver devant moi, une angoisse me pince le coeur, va-t-il me casser la tête? Non il remet le revolver dans sa botte, passe derrière moi, je le suis des yeux, il s’assied sur le pas de la porte d’une maison. Je le regarde, il n’oserait quand même pas froidement me loger une balle dans la tête!!

Je reprends mon sang froid et m’intéresse maintenant à ce qui se passe dans le village. Des engins motorisés passent puis des éléments de cavalerie. Dans une automobile qui s’est arrêtée, un officier dit quelques mots à l’autre officier qui se trouvait derrière moi et l’automobile repart. De nouveau quatre hommes m’encadrent, on me fait mettre bras en l’air et je traverse tout le village avec mon escorte pour entrer dans la cour d’un château.

Immédiatement on me fouille de nouveau, on trouve sur moi mon carnet de chiffrement avec le code qui me servait lorsque je suivais les cours de transmission alors que j’étais à la section de commandement. L’homme qui me fouille paraît très ennuyé à la vue de mon carnet, il appelle à une fenêtre : “Hauptman von Raider”. Un homme arrive, un grand gaillard, prends le carnet, y jette un coup d’oeil, me demande en français ce que c’est, je lui explique. Il se rend compte que c’est sans intérêt. L’autre continue la fouille et passe au Hauptman toutes les écritures. Celui ci y jette un coup d’oeil puis me rend chose après chose. Ce qui retient le plus son attention fut ma citation qu’il lut attentivement, j’avais oublié de la cacher. Il ne voit pas ma croix de guerre, elle est cachée dans mon étui à lunettes.

Le fouille est finie, je me rassieds. Je reste ainsi peut-être une heure, peut-être deux, puis une escorte me prend et l’un des hommes me dit en français “vous allez rejoindre vos camarades”. En effet, dix minutes après je retrouve la section, tout le monde est là sauf le sergent LANDRAIN. La section s’était défendue pendant deux heures, après quoi ils hissèrent le drapeau blanc, et c’est à ce moment que se redressant Landrain reçut plusieurs balles tirées par une automitrailleuse. On est parti le rechercher.

Les Allemands nous donnent à manger des boites de singe, du pain, de leur soupe au lard. Cela nous remet le coeur en place, puis comble de la gentillesse on nous tend des cigarettes. Dieu merci nous sommes tombés sur de braves types. Voici la civière qui arrive avec le sergent Landrain, le major allemand qui l’accompagne nous fait comprendre que notre pauvre ami est touché mortellement. Il a une balle dans le cou, une dans le poumon gauche sous le coeur et deux dans la cuisse. Une ambulance arrive, emporte Landrain. Un dernier adieu à notre pauvre camarade, nous avons les larmes aux yeux, c’était un si brave garçon!

Quelques instants après nous embarquons sur des voitures automobiles qui nous emmènent à 17km de là à Rosnes. En cours de route nous ne croisâmes que des convois allemands ainsi qu’une colonne de prisonniers français. Le conducteur de la voiture a donné un paquet de biscuits pour Carniaux et pour moi, décidément on nous a trompé sur la mentalité du soldat allemand.

Arrivé à Rosnes à la nuit, nous sommes parqués dans un grand jardin clôturé et gardés par des sentinelles armées. D’autres prisonniers arrivèrent et nous fûmes bientôt à plusieurs centaines.

Après avoir quelque peu discuté sur notre sort, nous nous endormîmes à la belle étoile.

Mes débuts dans la vie de prisonnier

17 juin 1940

Voici les noms des 23 prisonniers de la section:

  • Lieutenant: Fourrier
  • Sergent chef: Carniaux
  • Sergents: Bonamy, Lavernin, Yvis, Lefebvre, Blary
  • Caporaux: Rouge, Haubert, Mongin
  • Chasseurs: Fauverghe, Conrad Antoine, Courtois, Dhont, Boulanger, Genoux, Pic, Steibler, Lozeille, Munschy, Balayer, Moutier, Faust.

Au petit jour, les uns après les autres nous nous réveillâmes. Sitôt éveillé je profitais pour me livrer à des soins de toilette absolument nécessaires et je me débarbouillais dans une mare qui se trouvait au milieu du jardin. A 7 heures on nous apporta du café ainsi qu’une boule de pain pour quatre et une boite de singe pour deux. Ensuite nous nous mîmes par rang de trois et sous bonne escorte nous quittâmes Rosnes pour prendre la direction de Verdun qui se trouvait à quelques 42km de là.

Nous marchions environ 5km puis nous avions une pause d’une dizaine de minutes, pour remettre cela ensuite. Cette marche fut assez exténuante car il faisait très chaud. Par contre nous n’étions plus si chargés que lors de la retraite, si bien que ceci compensait cela. Enfin nous entrâmes à Verdun vers 17 heures. Quelle différence entre ce Verdun et le Verdun que j’avais connu au cours des mois d’hiver. En effet toutes les vitres des maisons étaient cassées et par endroit des maisons éventrées.

Le pont devant la porte chaussée était écroulé dans la Meuse et le pont à sa droite avait subi le même sort. Les Allemands avaient remplacé le premier pont par un pont de bateaux dont nous usâmes d’ailleurs pour nous rendre à notre lieu d’internement, en l’occurence la caserne des pompiers. Là se trouvait déjà peut-être un bon millier de prisonniers et sans cesse dans l’après-midi il en arriva d’autres.

Je m’étais installé avec le sergent Yvis dans le jardin de la caserne car les locaux étaient au complet occupés par les premiers arrivés. Yvis et moi nous préparâmes notre lieu pour dormir dans des couches ou poussaient de petites carottes, et pour la nuit nous fîmes un abri avec des châssis de couche. A 19 heures nous perçûmes notre repas: un peu de soupe à l’orge et des biscuits de guerre allemands appelés “Knacker Brot” 125gr.

Ensuite au plumard sur nos carottes, voilà qui ne manquait pas d’originalité!!

18 juin 1940

A 7 heures du matin on nous fit ranger pour nous distribuer le café ainsi qu’un quart de boule de pain par homme. Après quoi différentes corvées partirent dans tous les coins de la ville pour nettoyer. J’étais dans l’une d’elles et nous nous dirigeâmes sur la citadelle. Entrés dans celle-ci, le travail pour nous consistait au déblaiement des coins les plus sales, ainsi qu’au nettoyage des rues de la citadelle. Il y avait fort à faire car les rues de celles-ci étaient encombrées d’objets hétéroclites ainsi que de moellons et de douilles de cartouches. En effet le parc à munitions était sauté et de tous les bâtiments il ne restait que quelques murs.

Nous arrivâmes de cette façon à l’heure du diner où nous eûmes un demi pain par tête ainsi qu’une boite de sardines et un peu de café.

L’après-midi fut employé au nettoyage des rues de la ville, car parait-il Adolf Hitler devait venir à Verdun le lendemain; en plus de cela il fallait fermer les fenêtres des habitations. C’est ainsi que j’eus la chance de tomber sur une bouteille de Beaune, de trouver du miel et des arachides, ce qui me permit ce jour là d’améliorer quelque peu le menu.

Le travail terminé nous rentrâmes à la caserne des pompiers et ce fut la soupe, soupe à l’orge et un paquet de 125gr de Knacker Brot avec un peu de margarine. Puis la nuit vint que nous passâmes sous nos chassis de couche.

19 juin 1940

A 7 heures du matin il fallut de nouveau nous ranger par 3 et on nous distribua un quart de boule de pain par homme. Après quoi la longue colonne de prisonniers s’ébranla, nous étions près de trois mille.

Nous prîmes la direction de Dun sur Meuse. Le temps était superbe mais il ne faisait pas trop chaud. Heureusement car la route à couvrir était longue de 35km. Nous marchâmes toute la journée faisant des pauses toutes les heures. A chacune de celles-ci, comme nous n’avions pas beaucoup d’aliments, nous rentrions dans les jardins afin de trouver quelques fruits (fraises, groseilles). Nous atteignîmes enfin Dun sur Meuse à 17h30 et on nous logea dans un terrain vague près d’une voie ferrée.

Le menu ce soir là se composa d’une soupe chaude avec un peu de riz et une boule de pain pour cinq. Après quoi la nuit vint que nous passâmes à la belle étoile couchés sur un tas de sable.

20 juin 1940

Rassemblement le matin pour la soupe qui se composa ce jour là d’un quart de boule de pain plus un paquet de Knacker Brot. A 12 heures nouveau rassemblement pour le départ. Cette fois-ci nous partions sur Stenay à 15km de là. Pour la route 1/4 de boule de pain, mais dans la confusion qui régnait je parvins à obtenir en rab deux pains.

Nous nous mîmes en route à 13 heures pour arriver à Stenay à 16h30. Nous fûmes logés dans une caserne avec défense de sortir des chambres.

21 juin 1940

Réveil à 6h30, nous percevons aussitôt un quart de boule par tête ainsi qu’un peu de confiture. Pour la première fois le pain perçu cette fois-ci était du pain allemand.

Départ à 7 heures, nous allons prendre la direction de la Belgique. A 7km de Stenay, nous fîmes une pause pour ravitailler la colonne en eau, en effet il n’y avait plus d’eau à Stenay. Cette pause dura près de 3 heures car nous étions plus de 3000. Au cours de cette pause, j’avais découvert avec Yvis un trou sous la voie ferrée et je lui proposais de nous évader. Nous avions une carte jusque Fourmies et une boussole. Yvis me dissuada de tenter l’aventure cependant cela valait la peine d’essayer, je n’étais qu’à 250km de Tourcoing. Je me rendis à ses raisons puisque depuis 48 heures on nous disait que la France demandait un armistice et que par conséquent notre détention ne durerait guère.

A 13 heures nous traversions Montmédy, il faisait ce jour-là une chaleur torride et déjà notre provision d’eau était épuisée. Hélas nos gardes étaient des Jeunesses Hitlériennes, et tout le long du trajet ils refusèrent de nous permettre de refaire notre provision d’eau. Le reste du chemin fut un calvaire, une chaleur saharienne, point de liquide à boire, une poussière du diable et pour parfaire tout cela, pas une pause en route. Nous avions dans de telles conditions une peine immense à marcher, et nous nous trainions comme nous pouvions.

Vers 15 heures nous arrivâmes en vue des éléments légers de notre ligne Maginot du Nord. Profonds stupéfaction fut la nôtre lorsque nous vîmes nos fortins intacts, ils n’avaient pas reçu un coup de feu. Les réseaux de barbelés, intacts également, quant aux chicanes pour barrer les routes, rien n’avait été poussé, réellement nous avions été trahis. Peu de temps après ce fut la frontière, nous rentrions en Belgique par Escoubiez. Adieu la France, quand te reverrons-nous!!

A 16h ce fut le terme de l’étape, harassés, suant sang et eau, couverts de poussière, les membres rompus, nous rentrions à Virton. A l’arrivée un homme de la colonne fut conduit mourant à l’hôpital, il était épuisé et devait d’ailleurs rendre l’âme dans la nuit, toutes ces fatigues et ces privations l’avaient tué. En effet nous avions parcouru 25km sans arrêt sans une pause et depuis le matin plus de 35km.

Je fis à l’arrivée une perte importante, j’avais comme beaucoup de camarades donné mon bidon pour le remplir d’eau, il ne revint pas. A 18h30 on nous distribua une soupe à l’orge, un quart par homme et voilà tout le souper. Nous étions parqués dans une plaine où nous allions passer la nuit.

22 juin 1940

u réveil un peu de café et le midi un quart d’orge, heureusement que j’avais encore le pain de rab de Dun sur Meuse. Vers 16 heures rassemblement, nous partîmes immédiatement pour arriver à la gare de Virton 1/4 d’heure après. Virton se repeuplait déjà, des évacués belges regagnaient leurs foyers. Nous apprîmes ainsi que la France avait capitulé et demandait l’armistice qui était en passe d’être signé. Nous embarquâmes sur des plateformes et une bonne heure après nous prenions la direction du Luxembourg. En route il fit un orage épouvantable et en moins de deux nous étions percés des pieds à la tête. Heureusement cela ne dura pas.

Nous traversâmes successivement Baranzy, Aubange, Athus et bientôt nous rentrions au Luxembourg par Rodange, puis ce fut Pétange, Bascharage Sanem, Dippach, Reckange, Leudelange et nous arrivâmes à la Capitale Luxembourg. Les habitants nous souhaitaient la bienvenue en levant les bras et jetèrent dans nos wagons des pains et des cigarettes, mais bientôt les Allemands les empêchèrent de continuer.

Le train reprit sa marche par Sandweiler, Oetrange, Munsbach, Rood et nous entrâmes en Allemagne par Igel où nous traversâmes la ligne Siegried, cette fameuse ligne où comme disait la chanson “nous allions pendre notre linge”. Puis ce fut Karthauss et ensuite Trier — Trèves en français — qui était la ville Terminus de notre étape.

Il était 22h30 lorsque nous débarquâmes du train. Une longue côte à monter après avoir traversé la ville et nous arrivâmes au lieu où nous devions passer la nuit, le camp de concentration de Trèves. Je dus laisser à la fouille mon masque à gaz, mon casque, ceinturon et briquet. Après quoi on nous servit un grand bol de soupe avec orge et haricots. Cette soupe nous fit un bien immense et nous réconforta. Ensuite répartition des hommes dans les baraquements.

Le voyage en train du 22 juin 1940, environ 100 km de la Belgique à l’Allemagne en passant par le Luxembourg

23 juin 1940

Au réveil vers 7 heures un quart de boule de pain avec café et un peu de margarine. Je procédais à mes ablutions, j’en avais grand besoin, et il y avait au camp des lavabos. J’appris qu’il y avait une cantine, je m’y rendis et après avoir fait la queue une heure je n’y trouvais que de la bière à 8 francs le demi. J’en consommais deux.

Au midi même soupe que la veille et assez abondante. Sitôt après rassemblement, nous devions quitter Trèves. Nous retraversâmes la ville pour nous rendre à la gare et à 14h30 l’embarquement dans les wagons à bestiaux était terminé. Nous touchâmes par homme 3/4 de boule de pain et du fromage, ce qui laissait pressentir un voyage assez long. Après quoi les portes furent cadenassées et le convoi s’ébranla.

J’avais la chance de m’être placé près d’une chatière et vis ainsi tout le paysage. D’abord toute la vallée de la Moselle, si jolie avec ses burgs et ses vignobles. Nous traversâmes Schweichel, Hetzerath, Bullay, ville estivale assez importante, ensuite Cochem, Moselkern, Burgen où nous passâmes le Rhin pour arriver à Coblence où le train stoppa.

En gare nous vîmes un train de blessés allemands. Le convoi se remit en route et à la nuit nous étions à Nassau. Dans le wagon un problème était posé, nous urinions dans un verre et précipitions le liquide par la chatière. Plusieurs durent faire leurs besoins, l’un dans du papier, l’autre dans son mouchoir, le dernier dans son calot, et puis tout prit la même direction: par la chatière.

Un autre problème fut le couchage, nous étions 50 par wagon et impossible de s’allonger, la place était insuffisante. Nous nous endormîmes cependant couchés les uns sur les autres, recroquevillés, en sueur (il n’y avait presque pas d’air) et dans une odeur méphitique.

Le trajet du 23 juin 1940 de Trèves à Coblence

24 juin 1940

Je m’éveille éreinté après une pareille nuit et peu de temps après nous traversons la ville de Diez, puis ce fut Limburg, Giessen, Leinefeld où nous nous arrêtons. Les portes s’ouvrent nous pouvons descendre un quart d’heure pour prendre de l’eau et faire nos besoins. Les portes se refermèrent et nous traversâmes ensuite Sollstedt, Bleicherode, Nordhausen, Sangerhausen, Mansfeld, Güsten où nous arrêtons de nouveau et avons un quart d’heure pour nous délasser.

Il est 1 heure et cela fait déjà 24 heures que nous roulons. Le train repart, ce fut Calbe puis la grande ville de Postdam, la ville du meunier sans soucis, ville historique des rois de de Prusse, ensuite Berlin Wansee, et nous traversons alors la capitale allemande Berlin, qui aurait pensé que je serais allé à Berlin!! Nous voyons de grandes artères et de belles maisons à nombreux étages. Berlin est une ville très fleurie avec des balcons à chaque étage. Point de trace de bombardement nulle part. Dans le fond puis plus près de nous, nous voyons de grands édifices, de belles églises et monuments.

Nous traversons maintenant la banlieue, Berlin Grunenwald, Witzleben, au revoir Berlin. Voici maintenant Fürstenberg, Strelitz Alt, Neustrelitz, Blankensee, Cammin, Neubrandenburg. Le train s’arrête, il y a des soldats sur le quai, les portes s’ouvrent nous descendons, c’est le terminus. Il est prêt de 23h30 et cela fait 34 heures que nous roulons depuis notre départ de Trèves. Nous sommes à plus de 1000km de la France et avons traversé les provinces allemandes suivantes: Le Palatinat, la Westphalie, Hesse Nassau, la Thuringe, la Saxe, la Prusse, le Brandebourg et le Meklenbourg. Nous avons vu les fleuves et affluents suivants: la Moselle, le Rhin, la Sarre, la Spree et l’Elbe. Nous traversons la ville de Neubrandeburg, belle ville paroissée de nombreux drapeaux à crois gammée et après une bonne heure de marche nous arrivons au camp de Neubrandeburg où nous entrons et sommes parqués dans un enclos. Il est deux heures du matin.

Le trajet du 24 juin 1940 vers de Coblence vers Neubrandenburg

25 juin 1940

Toute cette journée se passe dans notre enclos. Le matin un peu après le réveil distribution de café, puis le midi une boule de pain pour 10 avec cinq pommes de terre, ce soir un peu de saucisson avec deux tartines.

26 juin 1940

Journée identique à la précédente, même régime que la veille. Il fait une chaleur du diable, aussi nous buvons énormément d’eau que nous amènent des prisonniers belges.

27 juin 1940

Toujours dans notre enclos avec le même régime, avec un peu de confiture. Ce jour là un orage creva sur le camp et nous fûmes copieusement aspergés.

28 juin 1940

Situation sans changement, nous sommes cependant prévenus que nous allons le lendemain passer à la désinfection. Régime comme les jours précédents. Vers 20 heures la pluie commence à tomber abondamment et nous n’avons rien pour nous abriter.

29 juin 1940

Il n’a cessé de pleuvoir à verse toute la nuit et cela dure encore jusque 9 heures du matin. Nous sommes tous trempés jusqu’aux os et transis de froid, de ma vie je n’ai reçu une pareille douche. Cependant nous devons nous ranger par quatre pour passer à la visite et à la désinfection. Pour ce faire on commence par les Bretons et les Flamands.

A 11 heures me voici hors de l’enclos, nous traversons une partie du camp et arrivons dans les bâtiments des services d’hygiène. La on nous fait mettre nus et d’abord passage à la douche, puis les cheveux coupés ras. Pendant ce temps tous nos vêtements passent au gaz pour la suppression des poux. Cela terminé, on nous conduit dans un autre bâtiment. De nouveau nus puis passage au service anthropométrique, à la toise, à la pesée, prendre notre photographie, nos empreintes digitales puis la fouille. Il me faut donner différentes choses ainsi que l’argent que j’avais sur moi, puis on nous donne une plaque matricule, je viens le prisonnier 50761 du Stalag II/A.

Cela terminé on nous loge dans de grandes tentes où se finira cette journée.

Période du 30 juin au 11 juillet 1940

Les douze jours au camp se passèrent de façon très monotone, le matin il y avait réveil à 6 heures, nettoyage des locaux, puis de 7 à 8 heures éducation physique après quoi nous étions libres de faire ce que nous voulions, sans cependant pouvoir sortir de la zone qui entourait nos tentes et baraquements. Chaque jour il fallait répondre au rassemblement de 6 heures puis de 18 heures.

Ces photos portent la mention au dos: “Association sportive du Stalag IIA, Neubrandenburg dans le Mecklenburg — en captivité, le 7 juillet1941”

Nourriture: quelques pommes de terre à l’eau le midi avec un peu de soupe à l’orge, et pour le soir un pain pour cinq avec un peu de confiture ou un morceau infime de saucisson.

Pendant cette période nous changeâmes cinq, six fois de tentes et de baraquements, en même temps que de gardiens. Le 5 puis le 7 juillet, les Belges partirent du camp, je crois qu’ils furent libérés à cette date.

Toute cette période au Stalag fut très longue car nous nous ennuyions énormément. Et aussi période très difficile car la nourriture que nous avions était débilitante et chaque chose à faire était pénible, nous flageollions sur nos jambes et il fallait se retenir à la rampe lorsque nous allions aux latrines afin de ne pas tomber. Il suffisait de se baisser pour avoir la tête qui tournait et voir des étoiles.

12 juillet 1940

Le matin rassemblement, les Bretons et Flamands quittent le camp, nous allons être dispersés pour travailler dans différents patelins. A 9 heures départ nous descendons vers Neubrandenburg, ville près de la gare. Nous attendons une heure, après quoi on nous logea sur le pavé d’une rue près de la gare, notre train n’était qu’à 16 heures. Nous n’eûmes cette journée rien à manger.

Vers 16 heures, embarquement 55 par wagon. Il fait une chaleur à étouffer, et comme nous sommes en nombre la chaleur est encore augmentée, j’en suis presque malade.

A Gustrov quelques uns descendent des wagons au dessus du notre puis le convoi repart pour arriver à Rostock (Mecklenbourg) à 20h30. On nous trie, je suis séparé de mes camarades, je fais partie d’un groupe de 23 parmi lesquels 8 cultivateurs et 15 divers dont je suis. Ensuite réembarquement dans un tortillard avec wagons de voyageurs cette fois-ci. Nous sommes à 26 km au Nord Est de Berlin. Le train part, nous traversons Brodestrof, Ferchenberg, Lüsewitz, Sanitz pour arriver à Tessin où nous descendons.

Une ballade de 8 km à faire pour arriver au terminus à CAMMIN qui est un village de 200/300 âmes à 25 km de Rostock et de la mer Baltique, ainsi qu’à une bonne centaine de km du Danemark. Malmöe, grande ville de Suède se trouve à moins de 200 km d’ici de l’autre côté de la Baltique. Nous sommes logés dans une vieille chaumière qui date de 1795 et qui devient notre asile. A notre arrivée nous avons trouvé nous attendant un grand bol de lait chaud, un demi pain avec du beurre. Nous sautions là dessus comme des affamés n’ayant rien dans le corps depuis 24 heures. Il est 23h30, combien cela est réconfortant. C’est un prisonnier Polonais qui nous fait la tambouille. Ensuite au plumard, qui sont en l’occurence des assemblages de planches superposées. La maison se compose de trois chambres à coucher, une cuisine, une pièce pour la toilette et une pièce pour la salle à manger.

Voici les noms de mes camarades prisonniers comme moi:

Bretons: les 8 cultivateurs Besnard, le Carour, Burel, Bodin, André, Herpeux, Roussel, Guillosson puis le Bouffo, Boterf, Roscoët, Duteil, Ventrepol, Colohard.
Flamands: Van Cauteren, Drumont Ernest, Drumont Raymond de Loos les Lille tous trois, Sartel de Marcq en Baroeul, Bourgois de Lille, puis Delepaut, Henno, Butin et moi de Tourcoing. Butin est le frère du boucher de la maison et me connaît, je ne me rappelle pas de lui.

Période du 13 au 31 juillet 1940

Notes sur ma détention à Cammin

Réveil à 6 heures car il faut partir pour le travail et cela vers 7 heures. Pour le petit déjeuner du café au lait et nous voici en route, 3 km à faire et nous entrons sur nos chantiers de travail : “La forêt”. Celle-ci est en parties : chênes, hêtres, sapins. En plus d’un gardien civil, nous avons avec nous une sentinelle Allemande. Le nom de celle-ci: Hans Gunther et du civil : Andreid.

Notre travail consiste en l’abattage de sapins, débranchage et scier ceux-ci en morceaux d’un mètre après avoir épluché l’écorce. Les rondins servent à la fabrication de de la pâte à papier, d’allumettes et l’écorce est employée pour le tannage du cuir. Nous dinons sur place avec quelques tartines et le retour du travail s’effectue vers 18h45, celui-ci se terminant à 18 heures. Cela nous fait des journées de 12 heures.

Ce fut sans discontinuer le même travail. Travail très dur que celui de bucheron et nous sommes exténués lorsque nous rentrons le soir, d’autant plus que le régime alimentaire ne convient pas à un pareil travail. En effet celui-ci sera toujours: café au lait le matin, 2 pains par semaine pour notre repas du diner avec un peu de beurre ou margarine, et soit un peu de confiture ou fromage. Le soir 3 louches de soupe composée de pommes de terre et quelques légumes secs ou orge.

Une chose me fit plaisir durant cette période, la possibilité d’écrire une lettre à ma femme et cela le 16 juillet. Ce qu’elle doit être inquiète ainsi que mes parents, et un point me chiffonne, comment s’est opérée la naissance de mon enfant?

Du 1 au 6 août 1940

Nous changeons de travail et scions à longueur de journée du bois pour des particuliers, entre autres pour notre employeur le Forestmasteur, administrateur des forêts domaniales autour de Cammin. Ecrit une carte le 5 août.

7 août 1940

Battage de la moisson du Forestmasteur.

8,9,10 et 11 août 1940

Scier du bois pour des particuliers, entre autres pour le maire et maître d’école de Cammin, Erik Müller, celui-ci nous donne des cigarettes et est très gentil avec nous.

12 août 1940

Notre sentinelle part et est remplacée par une autre se nommant Paul Wittmuss.

Du 13 au 26 août 1940

Le travail en forêt se poursuit, mais cette fois-ci nous abattons des sapins pour le bois de chauffage. Profonde surprise: nous sommes payés 2 Marks par semaine et cet argent sert à l’achat de tout ce que nous avons besoin: savon, lames de rasoir, jeux, rasoir.

27 août 1940

L’abattage se fait cette fois-ci dans des tourbières et est plus dur que jamais à cause du sol qui est très humide, une véritable éponge. Cette fois-ci nos victimes sont des ormes et des bouleaux.

28 août 1940

Bourgois est blessé au pied par le coupant de sa hache.

29 août 1940

Dépourvu de tout linge, le bourgmestre Erik Müller me donne deux paires de chaussettes et deux chemises. J’apprends ainsi que son fils est dans la DCA comme caporal et cela à Lille. Sa femme est une Huguenotte descendante des émigrés français, son neveu porte d’ailleurs un nom bien français: Dieudonné Charlier.

Il me montre son intérieur et connait pas mal de chansons françaises. Somme toute un chic type.

30 août 1940

Première grêle, déjà. Il est vrai que nous sommes à hauteur de la Norvège et de la Suède, pays réputés froids.

Pendant tout le mois, abattage de bois de chauffage, sapins, hêtres, ormes, chênes, bouleaux.

Mois de septembre 1940

Pendant tout le mois, abattage de bois de chauffage, sapins, hêtres, ormes, chênes, bouleaux.

Evénements de ce mois:

3 et 4 septembre 1940

Je suis au repos, blessé aux reins par la chute d’un arbre, rien de grave.

5 septembre 1940

1ère gelée.

7 septembre 1940

Notre manque de linge et la malpropreté de certains nous ont amené des poux, voici une complication.

10 septembre 1940

Sartel reçoit un colis d’Alsace, celle-ci est Allemande mais quand même cela nous donne de l’espoir.

11 septembre 1940

Notre sentinelle Wittmuss part et est remplacée par deux dont un Caporal.

29 septembre 1940

Toujours sans nouvelles du Nord mais j’écris une nouvelle lettre.

1, 2 et 3 octobre 1940

Travail en forêt

4 octobre 1940

Battage de la moisson à la ferme de Neu Katvin. Je mange à la table des paysans et ils me donnent de l’alcool et de la viande (du mouton). Voilà une excellente journée.

5 octobre 1940

Travail à la grande exploitation fermière de de Richard Schadoiv: arrachage et ramassage des pommes de terre.

6–7 octobre 1940

Arrachage des betteraves.

8 octobre 1940

Les gelées font leur apparition, ce jour arrachage des carottes.

9 octobre 1940

10 nouveaux camarades arrivent pour quelques semaines car le travail presse, ce jour ramassage des pommes de terre.

10 octobre 1940

Je travaille sur le tracteur

11 au 16 octobre 1940

Ramassage des pommes de terre. Le 14 octobre, une carte à Nelly et une carte à Raymond.

17 octobre 1940

Construction des silos pour l’emmagasinage des pommes de terre.

18 octobre 1940

Ramassage pommes de terre.

20 octobre 1940

Les 10 nouveaux repartent . Quant à nous, nous allons à Rostock à la désinfection pour la suppression de nos poux. Nous partons pour toute la journée et cela en remorque automobile. Rostock est une grande ville de plus de 100 000 habitants et nous l’avons vue assez en détail somme toute. Bonne journée de voir les tramways, la circulation d’une grande ville, cela nous change de notre petit village.

24 octobre 1940

Nous retournons en forêt à l’abattage de nos sapins. Boterf reçoit une lettre de Bretagne, quel espoir cela apporte à nos coeurs.

25 octobre 1940

Besnard, Herpeux et André reçoivent un colis. Allons, voilà une amélioration.

26 octobre 1940

Le Bouffo, Roscoët reçoivent leur colis.

27 octobre 1940

C’est le tour de Burel, Duteil.

28 octobre 1940

Voici enfin des colis du Nord; en effet c’est le tour de Drumont Raymond, Buttin et Sartel d’en recevoir. Ce jour nous quittons la forêt pour le remplissage des silos chez Schadoiv.

31 octobre 1940

Vantrepol et Colohard reçoivent un colis. Envoi d’une lettre dans le Nord.

3 novembre 1940

Des colis pour Bodin, Drumont Ernest, Henno et moi. Eh oui mon tour est arrivé et je sais ainsi que ma femme est en bonne santé et que la naissance s’est bien passée puisqu’il y a un cornet de dragées. Celles-ci sont roses!! C’est donc une petite fille? Ah que j’ai hâte de savoir!! Patience!!

4 novembre 1940

Bien heureuse nouvelle, le sous-officier nous apprend que les Flamands et les Bretons vont être prochainement libérés. Nous devons d’ailleurs fournir à toutes fins utiles une liste des Bretons et une des Walons français. Quelle chance, revoir bientôt les miens, la France… Patientions encore un peu.

8 novembre 1940

Burel reçoit une lettre de Bretagne.

10 novembre 1940

Toujours des colis, cette fois-ci pour Roussel, Vantrepol, Sartel, le Bouffo.

11 novembre 1940

J’écris une nouvelle carte en France annonçant la réception de mon colis, maintenant il me tarde d’avoir une lettre.

12 novembre 1940

Les sentinelles s’en vont et sont remplacées par une autre.

15 novembre 1940

4 colis. Vantrepol, Sartel, Bodin, le Bouffo.

16 novembre 1940

Aujourd’hui des lettres, cinq pour Le Bouffo, Roscoët, Besnard, Calahard et Roussel.

17 novembre 1940

Ce dimanche je fais le jardinier pour le maire Erik Müller. Je dine chez lui et mange très bien, sa femme a même fait un gâteau en mon honneur. En même temps que je fais le jardinier, je sers de professeur de français car il cause quelque peu notre langue. Excellente journée.

18 novembre 1940

2 lettres du Nord pour Drumont Ernest et Bourgois. A quand la mienne? Ecrit une carte à Nelly.

19 novembre 1940

Voici enfin des nouvelles pour moi. Après plus de cinq mois de captivité et six mois sans nouvelles, m’arrive une carte datée du 18 octobre. Il doit y avoir une lettre qui la précède mais vraisemblablement elle est encore au Stalag et je la recevrai ces jours-ci.

Cette carte m’apprend que je sus papa d’un petit garçon, il s’appelle Daniel et sa photo est jointe à la carte. Toute la famille est en bonne santé. Me voici enfin rassuré sur le sort de tous. Il ne me reste maintenant qu’à prendre patience en attendant la délivrance. Tout va bien.

23 novembre 1940

Nous avons un habitant de plus dans notre chaumière, un jeune chat car nous sommes empoisonnés par les souris. Nous l’avons baptisé “La Classe”.

25 novembre 1940

Des nouvelles. Une lettre de Nelly du 27.9 et deux cartes de mon frère Jean. Ces différentes missives m’apprennent que tous sont en excellente santé et que tous nos bien sont intacts. Me voici rassuré maintenant.

28 novembre 1940

J’écris une lettre à Nelly.

29 et 30 novembre 1940

Travail à l’exploitation Schadoiv, arrachage des rutabagas, ramassage et construction des silos. Deux camarades nous quittent, Vantrepol et Henno, ils vont travailler à la fabrique de Sucre de Tessin.

1er décembre 1940

Je reçois un colis (le deuxième). Celui-ci contient du linge, il était temps, car la seule chemise et le seul caleçon que je possédais sont en loques. Et puis ce colis contient un passe montagne et une peau de mouton, voilà qui me sera d’une grande utilité car il fait très froid dans cette contrée. Il ne faut pas oublier que nous sommes à la même hauteur que la Suède et que nous marchons avec le méridien d’Oslo, la Pologne n’est même pas à 200 km.

3 décembre 1940

Une lettre de Nelly, une de Jean et une carte de Nicole de Paris, voilà le courrier pour aujourd’hui.

Période du 3 au 8 décembre 1940

Je suis grippé et obtient de demeurer au logis. Cela est nécessaire car depuis plusieurs jours il neige presque quotidiennement et le temps est très malsain. Heureusement cela va vite mieux et je serai à peu près guéri pour lundi, date à laquelle je reprendrai le travail.

9 décembre 1940

Le travail que nous faisons dans la forêt est terminé. Demain nous passons dans une autre forêt.

10 au 13 décembre 1940

Nous avons pris contact avec notre nouveau lieu de travail. Nous commençons l’abattage de mélèzes pour bois de chauffage.

13 décembre 1940

Je reçois un colis de conserves, colis envoyé par père en date du 9.11.40. C’est le 3ème colis que je reçois. En même temps une carte de Nelly en date du 4.11. Tout va bien à Tourcoing et mon fils commence parait-il à gazouiller!!

18 décembre 1940

Aujourd’hui une carte de Nelly en date du 7.11.40.

20 décembre 1940

Une lettre de Suzanne et d’Albert en date du 12.11.40

21 décembre 1940

Nous recevons du renfort, 5 hommes de plus venant de Rostock. Ces cinq hommes sont des types du midi, ils viennent travailler à la ferme Schadoiv.

24 décembre 1940

Un soir de réveillon. Nous avons ici pour passer la soirée organisé un tournoi de belote. Nous sommes vingt pour participer à cette poule. Le tournoi prit fin à 1h10 du matin. J’ai eu la chance de sortir vainqueur de ce tournoi avec Herpeux, et ce titre de vainqueur m’apporte deux canettes de bière, 2 chiques, 1 carnet de feuilles à cigarettes et une boite d’allumettes.

Ne chiquant pas je tire mes chiques au sort entre les vaincus. Après quoi repas: une boite de sardines avec quelques tartines et un peu de margarine, puis une tartine avec un peu de confiture. Je bois mes deux canettes, voici un repas qui sort de l’ordinaire. Quels plats succulents!! J’ai bien mangé, et maintenant au dodo, il est près de 2 heures du matin, le réveillon est terminé. Demain Noël, repos.

26 décembre 1940

Ce jour un colis envoyé par Maurice et Simone. Colis composé de conserves, biscuits et divers. Il vient à point car mon estomac refuse les pommes de terre, nous en avons trop mangé. Colis en date du 8.12.40, c’est le 4ème que je reçois.

1er janvier 1941

Et voici 1941. Espérons que le début de cette nouvelle année nous apportera la libération.

Epilogue

Le journal d’Henri se termine sur une dernière note du 7 janvier 1941, écrite il y 76 ans jour pour jour, et dans laquelle Henri précise qu’il reçoit deux nouvelles cartes datées de fin novembre. S’ensuivent deux pages occupées par les calendriers des années 1940 et 1941. Les jours du 16 juin 1940 au 31 décembre 1941 sont marqués d’une croix. Si ce carnet avait contenu une page de plus imprimée du calendrier de 1942, ce carnet aurait compté 365 nouvelles croix. Une page supplémentaire aurait apporté 296 autres croix jusqu’au 23 octobre 1943, date à laquelle Henri parvint à s’échapper avec succès du Stalag II-A de Cammin.

La monotonie que ressent le lecteur en parcourant le journal d’août à décembre trouve sans doute un parfait écho dans celle ressentie par Henri jour après jour, abattant des arbres, ramassant des pommes de terre ou des betteraves. Cette monotonie, il devra la supporter tout au long des 1226 jours de détention représentés par 1226 croix sur les dernières pages d’un petit carnet noir.

Heureusement certains évènements viennent briser la monotonie de temps à autre. Une journée passée à jardiner, un morceau de saucisson un peu plus gros qu’à l’accoutumée, une carte d’un ami ou la réception d’un colis contenant un vêtement chaud. Comme le bonheur semble tenir à peu de choses quand on vit prisonnier. Quel courage et quelles forces spirituelles et physiques il a du falloir pour ne pas perdre espoir.

Mais après 1226 jours à couper du bois et à attendre qu’un évènement quelconque rompe la monotonie et l’ennui, Henri décide que cela n’a que trop duré. Le 23 octobre 1943, il s’évade. Les circonstances de son évasion sont relatées dans un autre document adressé au comité de la Légion d’Honneur dont voici la retranscription:

Parti de Bützow (Meklembourg) Kommando du Stalag II-A — Neubrandeburg le 23 octobre 1943 accompagné de deux camarades PG également. Par Güstrow, Fritzwalk, Neustrelitz nous sommes arrivés à Berlin le 24–10–43 au soir. Après 3 tentatives infructueuses de nous embarquer sur les bogies de l’Express Berlin — Paris Est à Papestrasse par la gare de départ de l’Anhalter Bahnhof, nous décidâmes de rentrer par petites étapes (nous étions en civil). Par Postdam — Magdeburg, Halle Nordhausen, nous devions joindre Cassel.

Détournés sur Hann-Münden à la suite des destructions des gares de Cassel par l’aviation alliée, je perdis mes deux camarades repris par un agent de la Gestapo lequel les avait interpellés. Je réussis à joindre Cassel Willenhöhe puis par Marbourg, Francfort, Mayence, Bingenbrück, Sarrebrück, Metz je réussis à arriver en Lorraine.

Toutes les villes allemandes précédemment citées représentent chacune une étape par chemin de fer, le tout représentant 1285 km sur des territoires ennemis.

Séjour de 11 jours à Metz dans un camp de travailleurs français à Metz-Nord. Le 10 novembre 1943 je fis la connaissance d’un aviateur gaulliste abattu à Aschaffenburg près de Francfort disant se nommer Padovani César, natif et demeurant à Cannes. Nous nous rendîmes à Ars sur Moselle puis à Ancy où nous demeurâmes jusqu’au 13 inclus. Le 14 nous logeâmes à Gorze chez un passeur Georges Beckrieh chez lequel nous trouvâmes trois autres prisonniers évadés ainsi qu’un Alsacien déserteur de l’armée Allemande.

Le 17 novembre 1943 sous la conduite du passeur nous franchîmes la frontière tous en groupe pour arriver au “Café des bons amis” à Vandeloincourt par Onville (Metz) où nous déposâmes outils et salopettes ayant servi à l’exécution de l’échappée.

Par Pagny sur Moselle, Longuyon, Charleville, Lille, j’arrivais chez moi le même jour à 22 heures. J’ai envoyé la même semaine des subsides à l’aviateur gaulliste camouflé près Paris, commune “Les Lilas”. Ayant obtenu dès mon retour une carte d’identité, je m’en fus me faire démobiliser à Bitray Chateauroux où je le fus effectivement le 4 décembre 1943.

Lalecture de ce carnet m’a profondément ému, m’a particulièrement surpris et m’a donné à réfléchir.

J’ai été surpris par le détachement -ou serait-ce de la pudeur- avec lequel Henri évoque l’enfer de la guerre et la perte de ses camarades au cours de la campagne de mai et juin 1940, en particulier l’oubli de Dubusque et Lallemand lors de la débâcle du 12 juin ou la mort du brave Landrain le 16 juin qui fut fauché par les balles alors que le combat venait de s’arrêter et que la section se rendait. Qui sait quelle vie il aurait vécu s’il avait patienté une seconde supplémentaire avant de se relever.

J’ai été atterré par le dénuement des armées françaises affamées et mal équipées face aux Panzers, aux avions et l’artillerie allemandes, par les insensées marches forcées et allers retours inutiles du mois de mai.

Combien de fois ai-je remercié la bonne étoile d’Henri qui a fait que la grenade du 19 mai n’ai pas explosé, que la balle qui traversa son casque le 20 mai manqua de lui brûler la cervelle, que l’obus qui le surprit cul nu dans l’herbe le 5 juin ne l’ai pas déchiqueté, que tous les autres obus aient été trop courts ou trop longs, que les Allemands l’ayant pris pour cible aient été si mauvais tireurs, que les fins tireurs aient choisi d’autres cibles, qu’il ai survécu et que je puisse retranscrire son récit.

J’ai été gonflé d’orgueil quand Henri a reçu la Croix de Guerre le 30 maipour son acte de bravoure, mais plus encore quand il l’a réalisé, sauvant son camarade CONRAD qui avait été laissé entre les lignes le 19 mai.

J’ai frémi lorsqu’Henri est tombé nez à nez avec une patrouille allemande le 16 juin et a choisi de ne pas fuir, ne sachant pas s’il vivrait une seconde de plus pour savoir s’il avait commis une erreur mortelle.

J’eus chaud au coeur lorsqu’Henri et ses camarades trouvèrent une bouteille de pinard pour améliorer l’ordinaire, lorsqu’ils furent finalement relevés et purent passer quelques jours à l’arrière loin de la mort et de l’horreur.

J’ai été ému par la bonté d’Erik Müller qui invita Henri à sa table et qui le temps d’un dîner le transporta loin des horreurs de la Guerre et lui fit oublier la dure réalité du quotidien au Stalag II-A.

Après avoir vécu les privations de la Guerre, de la vie de prisonnier, de l’occupation et les périls de la Résistance, Henri s’éteindra dans son sommeil plus de 60 ans après ces aventures.

70 ans après ces évènements, je suis fier de lui avoir rendu hommage et d‘avoir partagé avec toi lecteur son histoire incroyable, une histoire de courage, d’espoir et d’amour retranscrite sur un petit carnet noir entre le 10 mai 1940 et le 7 janvier 1941.

FIN

De droit à gauche: Haut — Officier de la Légion d’Honneur, Combattant Volontaire, ?, Croix du Combattant volontaire de la Résistance, Officier Mérite Philanthropique Français. Bas — Médaille des Evadés, Médaille Commémorative 39–45 avec 2 barrettes, Croix de Guerre de l’Etat français, Union et Maintien, Officier Mérite Agricole
Bulletin de la Légion d’Honneur d’octobre 2009
Le trajet jusque Cammin puis le retour vers Lille, plus de 2500 km au total

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