Épisode 1 - jeunesse dorée

Le 1er septembre 1939, mon grand-père, Ignacy, est en villégiature à 20km de Varsovie. Du haut de ses 12 ans, il profite avec son petit frère du jardin et du cours de tennis des cousins de sa mère. La vie est belle !

Il faut dire qu’il est né dans une famille prospère. Son grand-père est un très riche banquier, le frère de celui-ci est sénateur, et toute la famille vit autour des activités de ces deux-là. Ainsi mon arrière grand-père, Jerzy (prononcez Yégé), s’est vu confier la direction d’une usine qui exploite un brevet français pour faire de la peinture pour automobile. Activité qu’il alterne avec sa vraie passion : l’art. Il passe son temps avec les conservateurs de musée et son appartement est une vraie galerie. D’ailleurs, deux ans avant la guerre, la famille a déménagé pour pouvoir installer une tapisserie des Gobelins de 3,6m de haut qui ne tenait pas dans leur logement précédent.

Mon grand-père enfant, à la fin des années 20

Choyé pendant son enfance, mon grand-père reçoit la collection complète des Classiques de la littérature polonaise à 4 ans, une auto-tamponneuse électrique à 6 ans (avant guerre et en Pologne !). Sauf qu’il ne peut jamais sortir avec, car tous les enfants courent derrière ! Son père se fait appeler “son excellence” par les domestiques. Et il faut faire le base-main aux (trop) nombreuses tantes. Ce qu’Ignacy a en horreur.

De la religion, il a peu de souvenir. Son propre grand-père la trouvait ennuyeuse à en mourir et se contentait de lire deux phrases de l’Exode pour Pâques, et voilà tout. Le premier jour de l’école, mon grand-père entend “les catholique à gauche, les protestants à droite, et la religion de Moïse devant la fenêtre.” On le pousse… Il ne connaît pas l’expression “la religion de Moïse”. C’est l’expression officielle de l’époque. C’est comme ça qu’il a su qu’il est juif. Son école, l’école protestante de Varsovie, une des meilleures, a un numerus clausus de juifs : 10%, c’est-à-dire 3 à 4 par classe. Il a donc été à la synagogue… une fois par an pour le cours de religion obligatoire.

L’école lui apprend surtout que les polonais sont “forts, ensemble et prêts” derrière la figure du Général Piłsudski et de ses successeurs. La Pologne, c’est mille ans de lutte contre deux voisins, l’Allemagne et la Russie. Et 120 ans d’occupation conjointe par les Allemands, les Autrichiens et les Russes. Mon grand-père nous a toujours dit : “On aimait pas les Allemands, on aimait pas les Autrichiens mais on les traitait un peu mieux. Quant aux Russes, on disait aux enfants que s’ils n’étaient pas sages, un bolchevik viendrait les manger”. Apparemment, lui n’y a jamais trop cru !

Mon grand-père à gauche avec sa mère Anna, son frère Stefan et probablement leur grand-mère. Possiblement sur la presqu’île de Jurata, près de Gdansk, sur les bords de la Baltique où la famille avait une maison.

Voilà comment mon grand-père, pleinement confiant, s’est retrouvé ce 1er septembre 1939, dans une élégante villa, et comment, en quelques instants, tout a basculé. Ce 1er septembre, des avions refoulés par l’artillerie anti-aérienne de Varsovie ont largués leurs bombes sur le village dans lequel il passait ses vacances.

La suite au prochain épisode

Épisode 1 — jeunesse dorée
Épisode 2 — une enfance, quatre pays
Épisode 3 — en voiture pour la guerre
Épisode 4 — sur la croisette
Épisode 5 — Nouveau Monde
Épisode 6 — Fin d’une enfance
Épisode 7 — Noces sous les tropiques
Épisode 8 — La rencontre du socialisme réel
Épisode 9 — La découverte de l’Inde
Épisode 10 — Retour en Pologne
Épisode 11 — L’exil
Épisode 12 — Épilogue français

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L’odyssée de mes grand-parents
L’odyssée de mes grand-parents

Guerre, fuite, amour et retrouvailles… mes grand-parents ont traversé le chaos du XXème siècle à travers 3 continents. Comment être heureux malgré les crises ?