Épisode 4

Activision enchaîne les galères sur consoles

Pendant que les plaintes attendent d’être traitées par la justice, Spark Unlimited signe de nouveaux contrats : en août 2006, ils annoncent Fall of Liberty, un FPS pour PC, Xbox 360 et PlayStation 3 édité par Codemasters, et signent un autre contrat avec l’éditeur Sierra Entertainment, filiale de Vivendi Games. Comme pour le projet avec Atari, le jeu signé chez Sierra n’aboutira jamais. Un an plus tard, en juillet 2007, ils annoncent Legendary : The Box, un FPS édité par GameCock pour PC et consoles. Hélas pour eux, il y a un hic : Fall of Liberty, rapidement renommé Turning Point : Fall of Liberty, se déroule durant la Seconde Guerre mondiale… ce qu’interdisait précisément une clause de non-concurrence du contrat signé en 2002 entre Spark et Activision. Activision saute sur l’occasion et montre les dents : Codemasters se retrouve bien malgré lui ajouté au procès entre le studio et son ex-éditeur. Dans un mémo interne d’Activision publié sur le site Gamasutra, un dirigeant d’Activision indique son intention de ne plus payer un sou de royalties à Spark Unlimited. À l’époque, la remarque passe inaperçue.

Le 29 mars 2007, les trois parties signent un accord (resté secret) et abandonnent toute poursuite. Une fois encore, un procès a été évité et Activision est libre de continuer ses Call of Duty comme il l’entend. Les jeux de Spark (Turning Point : Fall of Liberty et Legendary : The Box) sortent tous deux en 2008 et, de qualité médiocre, tombent tous deux immédiatement dans l’oubli.

La jaquette de Call of Duty 2 : Big Red One. Bizarrement, ils n’ont pas tenté d’adapter ce titre-là en français. Image : Activision.

Revenons deux ans en arrière, car pendant que Spark luttait pour son existence, le petit monde de Call of Duty a connu bien des changements. À l’été 2005, au moment où Spark porte plainte, Activision décide de fusionner deux de ses studios internes pour prendre en charge Call of Duty 2 : Big Red One. Les équipes de Gray Matter Interactive Studios et de Treyarch sont donc rassemblées en un seul gros studio et, des deux, c’est l’entité Treyarch qui subsiste, absorbant entièrement l’autre. Le choix est curieux : jusqu’alors, Treyarch était spécialisé dans les jeux d’action-aventure à licence (Spider-Man, notamment), tandis que Gray Matter développait presque exclusivement des FPS depuis 1997. Quoi qu’il en soit, cette fusion tardive ne change rien au développement et Call of Duty 2 : Big Red One paraît sans heurts supplémentaires le 1er novembre 2005 sur PlayStation 2, Xbox et GameCube. Une semaine plus tôt, la discrète équipe d’Infinity Ward a sorti son Call of Duty 2 sur PC.

Une fois encore, malgré leur titre commun, les deux jeux sont différents : la version console est la suite de Finest Hour, sans rapport avec les deux éditions PC. En outre, le scénario des épisodes précédents se reproduit à l’identique : le jeu PC, qui reprend les codes introduits dans le premier épisode, est très apprécié, tandis que la version console reçoit un accueil nettement moins chaleureux.

La jaquette de la version PC de Call of Duty 2. Image : Activision.

Il y a tout de même une surprise. Infinity Ward aussi a sorti un jeu console, en l’occurrence pour la toute nouvelle Xbox 360 de Microsoft. Un portage de son Call of Duty 2, pratiquement identique à la version PC, est disponible dès le lancement de la console, mi-novembre 2005. Avec 250 000 unités vendues en première semaine, il en devient rapidement le titre le plus populaire. Au total, Call of Duty 2 s’écoule à plus de 2 millions d’exemplaires sur Xbox 360. Au passage, Infinity Ward prouve qu’en s’y prenant bien, une version console de la saga peut tout à fait tirer son épingle du jeu. Les membres du studio signalent aussi à la concurrence et à Activision que c’est leur franchise et que ce sont eux qui s’en occupent le mieux. Ils introduisent au passage dans la série une nouvelle mécanique bientôt reprise partout : la santé du joueur se régénère automatiquement s’il ne subit pas de blessure fatale. Pas besoin de récupérer des bonus ou des kits de soin dans le jeu, comme c’était alors la mode : pour se soigner, il suffit de se mettre à l’abri quelques secondes.

Activision, qui a bien compris le potentiel de sa nouvelle franchise, a gonflé le budget de développement pour Call of Duty 2 : il s’élève cette fois à 14,5 millions de dollars, presque deux fois plus que Finest Hour sorti un an plus tôt.

En face, Electronic Arts fait feu de tout bois : son dernier Medal of Honor (European Assault en VO, Les Faucons de guerre en VF ; on cherche encore pourquoi) est développé comme toujours par EA Los Angeles. Il sort en juin 2005 sur Xbox, GameCube, PlayStation 2 et se plante lamentablement. De son côté, Battlefield 2 : Modern Combat, version console de la série de FPS multijoueur du studio suédois Digital Illusions CE (entre-temps acquis par Electronic Arts), a bien du mal à relever le niveau, d’autant qu’il arrive dans les étals en même temps que Big Red One. Seul point positif pour EA : la version PC de Battlefield 2, sortie en juin 2005, remporte un très gros succès. Le jeu amène dans ce genre très uniforme une nouveauté intéressante : contrairement à l’ensemble de la concurrence du moment, il n’utilise comme décor ni la Seconde Guerre mondiale ni le Vietnam, mais la guerre moderne. Un choix malin, qu’Activision utilisera finalement mieux qu’Electronic Arts. Et, alors qu’EA dominait largement au début du millénaire le FPS de guerre, genre qu’il avait inventé, il n’aura fallu, à la surprise générale, qu’une poignée d’années à Activision pour le supplanter, sans efforts démesurés qui plus est. Pourtant souvenez-vous : dans cette histoire, quand tout va mal, tout va mal, et quand tout semble aller bien… eh bien, tout va mal aussi.

La jaquette française de Call of Duty 3, bizarremment renommé Call of Duty 3 : En marche vers Paris pour l’occasion. Image : Activision.

À peine un an après la sortie de Big Red One, Treyarch sort le 7 novembre 2006 un Call of Duty 3 développé à la va-vite et disponible uniquement sur consoles (Wii, PlayStation 2, PlayStation 3, Xbox et Xbox 360). Malgré un gros succès financier (lié davantage au marketing d’Activision et à la réputation des jeux d’Infinity Ward qu’à la qualité réelle du titre) qui en fait une nouvelle fois l’un des jeux les plus vendus de la saison, Call of Duty 3 reçoit l’accueil tiède habituel des épisodes de la série sur consoles.

Infinity Ward, de son côté, est furieux. Furieux contre Treyarch, furieux contre Activision, furieux surtout contre le titre du jeu : le vrai Call of Duty 3, c’est eux qui le font, pas Treyarch. Depuis la fin 2005, Infinity Ward prépare son nouveau jeu dans le plus grand secret ; même Activision n’est que lointainement tenu au courant. Le studio, surpris qu’Activision se contente de vouloir sortir des suites les unes après les autres, garde quelques secrets et tente de se ménager un avantage sur Treyarch ou tout autre studio susceptible d’arriver dans la franchise. Déjà, les velléités d’indépendance reviennent…

Pour se distinguer, Infinity Ward a une idée : changer totalement de période. Adieu la Seconde Guerre mondiale, essorée par des dizaines de jeux en quelques années. Prenant exemple sur Digital Illusions CE, qui a visité les conflits modernes avec Battlefield 2 en 2005 et les conflits futuristes avec Battlefield 2142 en octobre 2006, Infinity Ward veut laisser tomber le côté historique. Après avoir hésité entre le présent et l’avenir, le studio se décide pour un conflit prenant place à notre époque, avec des armes et des véhicules modernes. Les conséquences dans le jeu sont évidentes : adieu les vieux fusils, les nazis, le front russe et le front européen. Ce nouveau Call of Duty abandonne aussi la narration en histoires parallèles tout en conservant les multiples points de vue, qui sont une des marques de fabrique du studio. Infinity Ward imagine une histoire d’espionnage et de guerre moderne qui ressemble à du Tom Clancy sous acide. Ce titre, qui ne peut plus s’appeler Call of Duty 3, c’est bien évidemment Call of Duty 4 : Modern Warfare. Oui, le changement d’époque était si marquant qu’ils l’ont mis dans le titre.

--

--