Épigraphe de Middle Ground, épisode 11 de la troisième série de The Wire. DR

“We ain’t gotta dream no more, man”

Stringer Bell, The Wire

Ce bref texte a initialement été publié sur Medium le 25 janvier 2015, à peu près un an après la publication sur Amazon de la première édition de mon ebook Call of Duty : les Coulisses d’une usine à succès. Je l’inclus ici en bonus (légèrement remis à jour) car on est déjà sur Medium. Ce texte ne se trouve en revanche pas dans les autres formats de la réédition, car ça n’a finalement que peu de rapport avec le reste de l’ebook : c’est surtout une excuse pour moi de parler de The Wire.

“We ain’t gotta dream no more, man.”

En épigraphe de mon petit ebook sur les coulisses du développement de la série de jeux vidéo Call of Duty, il y avait cette citation, tirée de The Wire (Sur Écoute en France). Avant d’aller plus loin, et sachant la peur collective du divulgâchage, je tiens à préciser que ce qui suit raconte le destin de deux des principaux personnages de la série. Je continue après l’image.

Dans ses trois premières saisons, The Wire met en scène le duo Stringer Bell et Avon Barksdale. Les deux sont de purs produits de Baltimore : ils ont grandi ensemble, se considèrent comme des frères et ont monté leur empire de la drogue ensemble. Et comme toute fratrie dans une bonne tragédie, elle est amenée à se déchirer. Bell passe le plus clair de son temps à tenter de devenir un vrai entrepreneur, à blanchir l’argent de la drogue pour financer un juteux business légal qui le mettrait pour toujours à l’abri. Barksdale, tout juste sorti de prison dans la saison 3, est « un soldat », il ne se conçoit pas autrement que sur le terrain, à gérer son affaire de drogue et à faire la guerre avec ses rivaux pour des coins de rue.

La scène se passe à la fin de la saison 3, dans le pénultième épisode (qui a aussi pour épigraphe la citation de Stringer Bell). Bell et Barksdale partagent un verre sur la terrasse de ce dernier et se remémorent leur jeunesse, leurs débuts dans la mouise. « We ain’t gotta dream no more, man », dit Stringer Bell : on n’a plus besoin de rêver, on a déjà tout. C’est peut-être la scène la plus tragique de la série : chacun sait qu’il partage en réalité sa dernière soirée avec son frère, que l’autre ne sera plus là le lendemain. Ils ignorent qu’ils se sont trahis au même moment, que pendant que Bell dénonçait Barksdale à la police (pour éviter que les affaires de gang ne remontent jusqu’au business légal), Barksdale le dénonçait à de menaçants et revanchards tueurs. C’est probablement ma scène préférée de toute la série.

Et si j’en parle autant en détails, si j’ai mis cette phrase en épigraphe, c’est parce que la situation ressemble remarquablement aux machinations d’Activision, l’éditeur de Call of Duty, et d’Infinity Ward, son développeur, à l’époque du développement de Call of Duty: Modern Warfare 2. Alors qu’Infinity Ward travaille sur le jeu, ses patrons discutent avec la concurrence et cherchent activement des moyens pour le studio de quitter Activision, qui veut toujours plus de Call of Duty. De leur côté, les patrons d’Activision discutent alors déjà de comment et quand virer les boss d’Infinity Ward, qui coûtent trop cher et surtout les empêchent de contrôler totalement la franchise. La situation explose en mars 2010, peu après la sortie de Modern Warfare 2 : Activision licencie les patrons d’Infinity Ward, qui partent vite monter Respawn Entertainment chez Electronic Arts, le principal concurrent d’Activision. Une bonne partie d’Infinity Ward part dans la foulée rejoindre ses chefs, laissant un studio vidé de la plupart de ses talents.

La différence avec The Wire bien sûr, c’est que personne n’est mort. Et qu’Activision comme Respawn ont gagné beaucoup d’argent dans l’affaire au final.

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