[ C O N N E X I O N ]
24 mars 2016.
Nous laissons s’éloigner la pirogue et regagnons la terre ferme. Nos pas s’enfoncent dans le sol frais et humide, l’air exhale un parfum subtil de terre mouillée. Quelques goutes d’eau de pluie perlent encore sur les feuilles des fougères. Au loin, nous entendons un son de tambours envoutant. Nous ne pouvons nous empêcher de suivre ces bruits sourds et réguliers.
Nous nous approchons, happés par le timbre grave de l’instrument.
Pam. Pam Pam.
Pam. Pam Pam.
Au pied du géant Ginko Biloba, les grands singes sont assis en tailleur forment un cercle. Alors que se joue une musique rythmée de percussions et de didgeridoo, une femelle nous aperçoit, et signifie discrètement notre présence au reste de la troupe. Tous les yeux se braquent vers nous, un silence s’installe. Le plus petit d’entre eux vient à notre rencontre, et nous invite à rejoindre le groupe. Nous voilà installés au milieu de la tribu, partageant un moment privilégié au contact de l’inconnu. C’est ici que débute une expérience inoubliable.
La flûte de pan nous propulse sans détour aux portes de la perception. Reliés aux éléments, alignés avec les planètes, nous pouvons ressentir les vibrations du Nouveau Monde. Une agréable sérénité nous enveloppe. Nos sens en éveil, nous entrons en communion avec ce qui nous entoure. CONNEXION à l’immensité.
Nous pouvons entendre les graines germer, les plantes pousser, les arbres parler. Nous pouvons gouter aux saveurs exotiques des baies épicées, nous pouvons même sentir la douceur du terreau fertile sur lequel nous sommes assis. Les forces de vie semblent si puissantes ici.
Une colonie de fourmis passe sous notre nez. Certaines portent des morceaux de feuilles sur leur dos, d’autres paraissent indiquer le chemin à leurs camarades. Leur sens de l’organisation nous frappe. Leur réseau de transport et d’acheminement est très efficace. La reine des fourmis arrive au pied de notre arbre, et remonte le tronc jusqu’à disparaître dans un trou. La voici revenir par un autre côté, suivie par ses dizaines de sœurs. Elles contournent avec assurance un nid d’oiseau où vit une famille colibri. Les bébés oisillons piaillent à becs déployés en attente de quelques vers de terre. Ils paraissent jouer des coudes dès qu’approche un de leurs parents. Malgré cette agitation, leur maison est bien solide. La structure de leur nid est anarchique mais respecte les règles de base de l’architecture. Les matériaux utilisés sont légers et leur agrégation épouse parfaitement ses petits habitants. C’est alors qu’un bien curieux martin-pêcheur vient s’inviter à la fête ! Avec son long bec il parvient à voler quelques réserves aux petits oisillons. Témoin du crime, le serpent se faufile pour chasser le brigand. Le martin-pêcheur plonge alors brusquement dans la clairière, avec une vitesse et un silence déconcertants et disparaît.
Fascinés par la magie du vivant, nous contemplons avec respect et admiration cette œuvre symphonique. Aucune note n’est placée au hasard. Les partitions de cette musique sont en open source afin que nous puissions y puiser l’inspiration. Avec 3,8 milliards d’années de répétitions, la Nature a tant à nous apprendre. Petites poussières d’étoile venons à peine d’arriver.
Le hululement du hibou nous sort soudainement de cet état profond de conscience. Nous ouvrons les yeux, et constatons que nos pupilles sont complètement dilatées malgré la lumière tamisée du crépuscule. Plus aucune trace des grands singes. Nous humons le doux parfum de plénitude que nous a offert le spectacle de la forêt, levons les yeux au ciel et remarquons qu’il s’est empli d’étoiles. Sans précipitation, un peu sonnés, nous nous mettons sur pieds, et reprenons notre chemin.
La Nature n’est pas muette. Tel un orchestre lointain, elle fait constamment parvenir des fragments de musique et des notes éparses. Mais elle ne veut pas tout nous livrer sur un plateau. La mélodie qui unit les fragments de musique manque. Le fil conducteur des notes est dissimulé. C’est à nous de percer les secrets de cette mélodie cachée pour l’entendre dans toute sa radieuse beauté. — Trinh Xuan Thuan
Laura Dos Santos, Chroniqueuse du Mouvement, Lab Session #8
Découvrez la chorégraphie pas à pas
Merci aux intervenants qui m’ont inspiré cette chronique, Tarik Chekchak, directeur Sciences et Environnement de l’Equipe Cousteau, et co-fondateur de Biomimicry Europa, association qui promeut le biomimétisme. Ainsi que Thanh Nghiem, exploratrice dans l’open, pollinisatrice en toute liberté. Merci à Virginie Lucas, Directrice Artistique chez Pixelis, pour ces créations poétiques.
