Les Mystères du Grand Paris
Saison 1 • Épisode 7/15
Almerinda Capitào, candidate à Miss Grand Paris
Résumé de l’épisode précédent : José-Carlos Capitào a rencontré le vénérable de la Grande Loge Hexagonale Rénovée de Saint-Denis dans l’espoir de devenir franc-maçon. En repartant, confiant en ses chances de réaliser l’un des grands rêves de sa vie, il a téléphoné à Karim Leroux, son stagiaire, qui s’occupait seul de la tournée du jour, pour voir si tout se passait bien… Malheureusement, Karim semblait avoir quelques petits problèmes avec la police de la route.
Pendant ce temps, canal de l’Ourcq, près du RER du Vert-Galant, à la lisière de la commune de Vaujours, patrie des Valjoviens, une jeune femme s’entraîne dur à être belle…
J’ai mis mon jogging Nike, le fuchsia, il est assorti à mes chaussures spécial running et je crois que s’il y a bien un truc que j’aime, c’est me sentir cohérente avec mon corps et avec ma marque de sportswear préférée quand je cours le long du canal. Trois kilomètres pour aller à Sevran, c’est cool, six bornes aller-retour, objectif moins un kilo pour la présélection de samedi à Aulnay et je serai au top. Quelque chose me dit que je ne peux pas ne pas être sélectionnée pour la phase finale de Miss Grand Paris, c’est pas possible, en ce moment tout me sourit, oui, même la météo, avec ce soleil rouge à l’horizon, et toutes ces feuilles au sol de toutes les couleurs, c’est trop magnifique, c’est… c’est… c’est comment il chantait Joe Dassin ?, c’est l’été indien…
On ira… Où tu voudras quand tu voudras… Et l’on s’aimera encore lorsque l’amour sera mort…
J’adore chanter, surtout les chansons tristes, ça me donne des émotions, ça me fait penser à Bertrand… Si je cartonne au concours, voire si je gagne, on pourra peut-être me proposer un rôle de chanteuse dans une comédie musicale. Je ne dirai pas non. Comme le dit la pub HSBC, on est dans un monde d’opportunités, il faut savoir les saisir, toutes -TV, cinéma, chanson, mannequinat, journalisme, et même politique. Franchement, quand je vois la nouvelle maire de Rome, Virginia je sais pas quoi, la brune avec sa tête de youtubeuse beauté, quelle pétasse… Je n’ai vraiment rien à lui envier, hors de question de faire des complexes. Oui, je verrai bien ce qu’on me proposera, mon BTS, c’est juste pour si jamais je me plante dans mon projet de Miss, genre je trouverai toujours un truc dans une agence de voyage spécialisée luxe -je parle quand même français, portugais, espagnol, anglais, et j’ai des notions de chinois. C’est qui ce plouc qui me mate comme un débile avec son short de grand-père et son t-shirt de hard rocker ?, la honte, y’a des mecs qui savent même pas que Décathlon existe…
Hmm, c’est cool de pouvoir courir après le bahut, je me sens bien, j’aime courir lentement, comme quand je faisais l’amour avec Bertrand. Des fois, quand je cours longtemps, y’a un truc qui se libère dans mon corps et je me sens hot, comme si mon Bertrand chéri était toujours là, tout au fond de mon ventre, au chaud, avant son accident de scooter quand il est parti de ma chambre à l’aube pour pas croiser Zé-Carlos. Je ne vois pas qui aujourd’hui pourrait me faire oublier Bertrand… ça non, les mecs me matent tous mais ils sont tous aussi nuls les uns que les autres, ça oui… Bon, faut plus que j’y pense, va bien falloir que je tourne la page. Faut penser à soi quand on est seule, genre faut se réparer, genre si tu penses pas à toi et que tu ne t’aimes pas toi-même, comment tu veux qu’un mec mignon t’aime lui aussi ?
On ira… Où tu voudras quand tu voudras… Et l’on s’aimera encore lorsque l’amour sera mort…
Me voilà au premier pont, j’essuie mes larmes. Bertrand… je le sens, je le sais, si j’étais Miss Grand Paris tu serais super fier de moi, tu me dirais : « Amour, j’ai toujours su que tu aurais un destin, maintenant, tu vas représenter le Paris du futur partout dans le monde, c’est toi qu’on accueillera à l’aéroport de New York, Moscou, Shanghaï, Bagdad, oui, toi et pas une autre… » En vrai, y penser ça me donne de la force. Je ne peux pas décevoir Bertrand, où qu’il soit, et même on sait jamais s’il me regarde à la télé depuis le Paradis. Tiens, y’a quelque chose qui bouge dans les fourrés, encore un SDF qui a installé une tente. Y en a quand même qui n’ont pas de chance, personne pour les regarder sinon les arbres, en même temps ils sont mieux là que sous le périph’. Il porte un jerrican, qu’est-ce qu’il fout ? Peut-être qu’il va chercher de l’eau pour se laver. C’est dur la vie quand même, mais si tu t’arrêtes sur tous les malheurs du monde, tu t’en sors pas.
Faut tracer sa route, c’est tout, comme Black M dans sa chanson, faut se dire que c’est cool de savoir pourquoi on s’entraîne et quels objectifs on a au bout du chemin, oui, faut se dire que tout le monde peut pas réussir, c’est pas possible, on est inégaux face au succès. C’est comme samedi, on va pas toutes réussir, ça non, va y avoir de la casse à Aulnay, les concours de beauté c’est comme la sélection naturelle des espèces, seule la plus belle gagne…
Ma stratégie est claire pour griller les concurrentes : la culture G. Oui c’est sûr qu’il va y avoir des questions devant le public d’Aulnay, les spectateurs je vais les mettre dans ma poche en disant plein de trucs sur Aulnay. Genre, je vais dire que le footballeur Allou Diara il est d’Aulnay, que le rappeur Vald il est d’Aulnay, et que l’un des centres de recherche sur la beauté de l’Oréal il est d’Aulnay aussi… Oui, et me concernant, je dirai que j’aime le cinéma, le sport, les voyages, et que la valeur la plus importante dans la vie ce n’est pas l’amour, qui peut être égoïste, mais l’amitié, qui concerne tout le monde, et après je dirai : « Je vous aime tous ! », et je serai applaudie…
Je cours à un bon rythme, c’est cool, un mec fait du kayak direction Villepinte, c’est cool, je respire bien, c’est cool, tiens, une barque de pêcheur à la ligne, c’est cool, mes parents à la retraite loin de moi à Nazaré, c’est cool, Zé-Carlos qui m’héberge, c’est cool aussi, sauf… sauf s’il se met en travers de mon projet Miss Grand Paris, mais ça, il ne pourra rien contre. Alors, qu’est-ce qui n’est pas cool ? Je ris en me posant la question : oui, qu’est-ce qui n’est pas cool ?, hmm hmm, ah, son apprenti le limite rouquin, j’ai trouvé qu’il me regardait trop bizarre l’autre soir quand je m’achetais des strings chez Etam. Oui, j’ai rien dit à José-Carlos, je voulais pas qu’il m’embrouille avec ça mais je l’ai trouvé trop bizarre son apprenti, à tous les coups un masturbateur solitaire, un mec dangereux prêt à exploser des filles à la machette, il m’a fait froid dans le dos. Non mais c’est vrai, quoi, les mecs me matent tous, j’en ai marre et… et… y’a un type qui me fait signe dans les buissons… Il est… Il a le… Le pantalon baissé… Un vieux papy… Avec une casquette à carreaux… Il me la… me la montre… et maintenant il se la… se la touche !…
Oh non, je continue de courir et je fais genre je le vois pas, le sang bat dans mes tempes, s’il m’agresse je hurle ou j’appelle Zé-Carlos, oui, j’appelle mon frère qui va venir lui casser la gueule à ce pervers qui si ça se trouve m’attendait et connaît par cœur mes horaires d’entraînement. Oh, faut pas que je le regarde…
Pendant ce temps, José-Carlos roule sur l’A1 pied au plancher, le visage crispé, prêt à retrouver Karim au commissariat de Villepinte, et il vaudrait mieux qu’il ralentisse parce qu’à 160 sur l’autoroute, s’il se fait flasher, il lui sera difficile de pérenniser son entreprise Eco-Colis 93, « la solution écologique et économique à toutes vos problématiques livraison ». Mais José-Carlos accélère.
À suivre
Récit par Frédéric Ciriez
Dessins par Bruno Collet
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