Les Mystères du Grand Paris
Saison 1 • Épisode 8/15
José-Carlos Capitào, entrepreneur
Résumé de l’épisode précédent : Almerinda Capitào a fait un jogging le long du canal de l’Ourcq, de Vaujours à Sevran, afin d’affiner sa silhouette pour la présélection de Miss Grand Paris. À mi-parcours, elle a été perturbée par la vision d’un exhibitionniste. Son frère José-Carlos est, quant à lui, parti rejoindre Karim, son apprenti arrêté par la police lors d’un banal contrôle routier à Gonesse…
J’aperçois ma Nissan garée devant le commissariat, y’a un flic qui la garde et un autre qui la fouille, ça va, elle a l’air intacte, Karim n’a pas eu d’accident, mais qu’est-ce qu’il a eu alors ? Je pousse la porte d’entrée, je fonce vers l’accueil, je crois que je parle tout seul tellement je flippe : « Où est Karim, où est Karim ? » Y’a une Antillaise super sexy qui me reçoit avec un sourire coquin et des dents éclatantes, putain, la police soigne son recrutement de nos jours. Même si elle remplace pas Ophélie, la masseuse thaï avec qui j’avais rendez-vous porte de La Chapelle, ça fait plaisir.
Je fonce vers la fliquette, je lui dis : « Où est Karim ? Je suis José-Carlos Capitào, son patron, hein, où est Karim ? » Elle me répond en suçotant son stylo bille, genre je l’ai séduite direct mais elle n’a pas compris que Zé-Carlos n’a pas le temps, qu’il est là pour sauver Karim et son entreprise. Je lui répète : « Où est Karim ? » Elle me répond, toujours en souriant : « Mais Karim qui ? » Je lui dis : « Karim Leroux, société Eco-Colis 93 », alors elle dit : « Ah, le jeune dangereux qui n’a pas trop de plomb dans la tête ! » Quoi, je me dis : « Le jeune dangereux ?! » Elle me dit : « Vous êtes son patron, c’est ça ? Bougez pas, je vais prévenir le commissaire. » Je dis : « Le commissaire, rien que ça ?!!!! » Elle dit : « Oui, pour les affaires importantes, c’est le commissaire qui reçoit. » OK, OK, du coup je réponds pas et je vais m’asseoir dans la salle d’attente, entre un Chinois avec un coquard -à coup sûr une agression –, et une vieille qui joue avec une laisse : « On a volé mon Yorkshire ! On a volé mon Yorkshire ! »
Un flic vient me chercher, il est jeune, on dirait un enfant : « Monsieur… Ca… Capitaux ? » Mais il sait qui je suis ou quoi le fonctionnaire junior ? Je lui dis : « Pas “Capitaux”, “Capitào” ! » Hein, il sait qui je suis ou quoi ? Il sait par exemple que j’ai vu le crash du Concorde le 25 juillet 2000 sur Gonesse alors qu’il était encore en train de jouer aux gendarmes et aux voleurs dans sa chambre ? Il sait que je suis chef d’entreprise et bientôt franc-maçon ?
Il m’emmène dans un bureau où Karim en sueur est assis face à un vieux grisonnant, avec une tête de gros fumeur et des yeux jaune Ricard. « Commissaire Djoumad, veuillez vous asseoir. Monsieur Capitào, on a des choses à se dire. » Mais j’ai même pas le temps de m’asseoir que je ne peux pas m’empêcher de demander : « Qu’est-ce qu’il a fait Karim ? C’est un bon jeune, je vous jure que c’est un bon jeune ! Il vient de commencer chez moi, Eco-colis 93, il est à l’heure le matin ! »
Karim me regarde, genre pas fier de lui mais d’accord. Le commissaire dit : « Ben, il n’a encore tué personne mais il conduit le véhicule de votre société avec un faux permis car monsieur n’a pas son permis… Or c’est vous le responsable puisque vous êtes son patron. » Je regarde le commissaire et je sais pas quoi lui répondre. Je le regarde encore et je sais toujours pas quoi lui répondre, alors je regarde Karim et lâche : « Tu me dois tout et tu m’assassines, je vais te virer, ouais, je vais te virer ! », et alors Karim répond : « Je vous comprends monsieur Capitào, j’ai trahi votre confiance, c’est normal que vous me viriez » Puis le commissaire dit : « Bon, c’est un dossier compliqué car monsieur Leroux Karim est connu des services de police. Son nom est classé dans les dossiers sensibles, si vous voyez ce que je veux dire… »
Oui, je vois ce qu’il veut dire. Je précise : « Il est en voie de guérison, il a été traité dans un centre, je voulais lui laisser sa chance mais il a abusé de moi, je vais… je vais porter plainte ! » Karim sue de plus en plus : « Oui, je vous ai menti monsieur Capitào, je comprends que vous portiez plainte. » Le commissaire aussi s’est mis à suer, à cause de l’alcool que je vois dans ses yeux, j’en suis sûr : « Calmez-vous, je connais le dossier. Je vous dis qu’il n’a tué personne, il s’est procuré un faux permis pour travailler, c’est tout. On est d’accord ? »
Karim a les yeux ronds. Il dit : « Oui oui pour travailler », et le flic dit : « Donc si on est d’accord, il faut trouver une solution monsieur Capitào, sinon vous connaissez le tarif ? » Je fais non de la tête, puis j’entends : « Article L.221–2 du code de la route : conduire sans être titulaire d’un permis peut entraîner une amende de 15 000 euros et un an de prison… Sans parler de l’usage de faux papiers… Ce serait dommage, non ? » Je fais oui de la tête et je vois Karim qui fait oui de la tête lui aussi.
Le commissaire Djou-je-sais-pas-quoi ajoute : « Bon, alors on va faire différemment… La cellule anti-terroriste compétente a été prévenue. » Je dis : « Et qu’est-ce qu’on va faire différemment ? Et qu’est-ce qu’elle dit la cellule anti-terroriste compétente ? » Et là le flic répond : « La cellule anti-terroriste de la DGSI m’a annoncé avoir contacté le centre de déradicalisation du château de Pontourny et m’a lancé un message fort : il serait dommage que monsieur Leroux Karim aille en prison pour une bêtise de jeunesse alors qu’il est un élément prometteur pour ne pas dire pilote de la déradicalisation en France… N’est-ce pas ? » Je fais oui de la tête. Il ajoute : « Il serait donc pour le moins idiot, alors que Daech est en bout de course et attire de moins en moins de candidats hexagonaux, qu’une telle broutille fuite dans Le Grand Parisien, si vous voyez ce que je veux dire… Sans parler de ceux qui reviennent de Syrie avec de sales idées en tête et qu’on doit gérer comme on peut en ce moment. »
Et là je lui fait part de mes interrogations : « Oui, mais qu’est-ce que je dois comprendre ? Est-ce qu’un élément prometteur voire pilote qui roule avec un faux permis dans la fourgonnette de mon entreprise est vraiment un élément prometteur voire pilote ? », et là le flic me fait part de ses certitudes, alors que la tête de Karim joue au ping-pong entre moi et lui : « J’ai l’impression que vous ne voulez pas comprendre… Pardonnez-moi, mais la DGSI n’en a rien à foutre de votre business… On veut juste que le citoyen Leroux Karim prenne la bonne direction sur l’autoroute sociale… Les élections présidentielles, c’est bientôt, d’accord ? »
Je remue la tête de haut en bas et je me demande tout d’un coup si ce type n’est pas franc-maçon, en tout cas j’ai l’impression qu’il me parle depuis le pays des morts et il ajoute : « Monsieur Capitào, ne soyez pas inquiet, des gens spécialisés vous surveillent avec bienveillance… » Et alors là je dis : « Me surveillent avec bienveillance ? » Et il dit : « Oui, vous surveillent avec bienveillance… » Et il dit encore : « Pour vous protéger » Et là je dis : « Pour me protéger à distance ? » Et le commissaire dit en tapotant du doigt sur son bureau : « Voilà, vous commencez à comprendre, oui, à distance, vous êtes protégé mais vous ne savez pas qu’on vous protège. » Et moi je demande : « En clair, qu’est-ce que je dois faire ? » Et là le flic me répond : « Rien pour le moment, puisqu’on vous protège à distance. Par contre, plus de blague, c’est vous qui prenez le volant. » Et là je vois Karim qui hoche la tête, et le commissaire précise nerveusement : « Une seule chose nous intéresse en fait : où monsieur Leroux Karim s’est-il procuré son faux permis ? Il dit que ça vient de Belgique, ce qui expliquerait d’ailleurs que son permis soit vert et non pas rose… » Et là je suis dégoûté car je comprends tout, d’un coup, et je déclare : « Monsieur le commissaire, je suis innocent, quand il m’a donné son dossier j’ai reçu une photocopie de son permis en noir et blanc. »
Le commissaire me regarde soudain comme un handicapé ou un verre vide : « Personne ne doute de votre innocence monsieur Capitào… » Karim acquiesce et moi aussi. Le flic devient sombre et grave et dit à Karim : « Tu t’appelles Benmiloud par ton père. Moi c’est Djoumad. Regarde-moi bien dans les yeux : je suis un super flic bien noté, avec un bon salaire, une famille et du pouvoir… ça fait envie, non ? La réussite sociale, ça existe même si tu t’appelles Benmiloud par ton père. À toi de jouer. »
À suivre
Récit par Frédéric Ciriez
Dessins par Bruno Collet
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