Les Mystères du Grand Paris
Saison 1 • Épisode 13/15
Almerinda, finaliste de Miss Grand Paris
Résumé de l’épisode précédent : José-Carlos et Karim sont partis en tournée jusqu’à Melun. José-Carlos, qui pense avoir réussi son Passage au bandeau pour devenir Frère au sein de la Grande Loge Hexagonale Rénovée de Saint-Denis, se sent tout-puissant et n’accepte pas que sa sœur Almerinda participe à la finale de Miss Grand Paris. Il a ainsi demandé à Karim, assailli de pulsions contradictoires à l’égard d’Almerinda, tantôt amoureuses, tantôt sanglantes, de l’aider à l’empêcher de gagner…
Pendant ce temps, Almerinda tonifie sa beauté en faisant du téléski nautique sur la base de loisirs de Jablines-Annet.
Ça me saoule les études, je redeviens comme les enfants contents de ne pas avoir école le mercredi. Dans trois jours, je vais changer de vie… Je me le suis promis dur comme fer, que Zé-Carlos et les parents soient d’accord ou pas : si je suis élue Miss Grand Paris, j’arrête mon BTS tourisme. Je vais avoir plein d’opportunités professionnelles, c’est clair, sans compter les déplacements à l’étranger, incompatibles avec les cours. Bertrand aurait été raccord avec moi. Il m’aurait dit : « Amour, quand on est Miss Grand Paris, on ne peut pas continuer son BTS tourisme à Epinay-sur-Seine avec des allers-et-retours dans un RER gavé de frotteurs qui se font des films sur ton corps de rêve. » Bertrand… L’exhibitionniste qui m’a agressé les yeux l’autre jour canal de l’Ourcq, tu l’aurais genre… castré.
Je change d’angle, virage à 60 degrés. Les embruns giclent sur mes bras et mon visage. Le téléski nautique de la base de loisirs de Jablines-Annet est la meilleure invention de Seine-et-Marne, avec Bertrand, qui est né ici. Je file vers le tremplin, plus que dix mètres… ça y est, je prépare mon Samsung Galaxy à coque étanche pour me prendre en photo, je décolle, oh, je me sens haute dans le ciel, oh, clic clic clic, puis je redescends et j’amerris en douceur avant de me poster sur facebook et de repartir vers l’autre rive.
Tiens, un homme-grenouille. Peut-être un nageur de combat du plan Vigipirate. C’est bien de se sentir en sécurité. Mais non, ce n’est pas un nageur de combat, c’est… c’est une femme en burkini ! Elle tourne la tête vers moi et me mate derrière ses lunettes de natation. Moi aussi j’ai une combi, sur ce coup-là on est à égalité ma belle. Mais si tu me vois à la télé samedi soir, tu risques de changer de chaîne…
Le câble me tire de plus en plus vite, de l’écume part des deux côtés de mes skis, c’est cool. Au fond, j’ai de la chance. Quand je vois tous les réfugiés qui se galèrent et qui n’ont aucune distraction dans leur centre d’accueil, même pas de rencontrer des Françaises… Faut savoir dire merci à la vie des fois, même si elle m’a pris Bertrand. Bertrand… Mais c’est qui le naze qui me coupe la route avec son kayak ? Je… Je vais me le prendre Poummmmm, aïiiiiiiiiiiie !!!… C’est fait… J’ai déchaussé… Je suis sous l’eau… Y’a plein de bestioles… Des poissons… Ils me regardent tous… Je fais des bulles… Puis je remonte doucement, tout doucement, comme quand je faisais l’amour avec Bertrand… ça y est, la lumière, je… Je tends les bras, ressors… Respire… J’entends…
- Espèce de boudin, fais gaffe si tu sais pas skier !
- (Boudin, moi ?) Respecte les zones de navigation, connard !
- Va chercher ton ski et tire-toi, même les poissons voudraient pas te baiser !
- Non mais ça va pas, tu sais à qui tu parles ? Tu veux que j’appelle mon mec et qu’il te casse la tête ?
- Oui, appelle-le, je vais lui dire de changer de meuf et il va me remercier.
- Pauvre type, une fille comme moi c’est dans tes rêves !
Le mec se tire en m’insultant. Je remets mon ski. Repars doucement. Bertrand, je sais que tu l’aurais défoncé ce débile… Je crois que je pleure. Bertrand… Je serai Miss Grand Paris, je le te le promets.
Pour toi, rien que pour toi, le champion de mon cœur qui m’a initiée au téléski nautique avant de mourir, toi, mon petit wakeboarder adoré…
Je reprends de la vitesse… Je… J’ai la tête qui tourne… je…
je crois que je vais arrêter pour aujourd’hui.
Je tremble à moitié, j’ai la peau toute froide, j’ai… j’ai la chair de poule. Il faut que je mange quelque chose. Je regarde la carte du « Jablines Nautic Club », le food truck garé devant la plage. J’hésite entre une gaufre au chocolat et une gaufre au sucre toute simple, moins chargée en calorie -la finale c’est dans trois jours, il ne faut pas que j’abuse. Moi, un boudin ? Pfff… Le vendeur prépare une gaufre à deux ados. Hmmm, ça sent bon… Il est mignon. Je le vois déjà loucher sur ma combi ouverte, qu’il se fasse pas trop d’idées quand même. Les deux gamines aussi me regardent de la tête aux pieds : elles m’ont peut-être reconnue… Je leur souris, on ne sait jamais si elles votent samedi. Ça y est, le vendeur sert les ados. Elles se plantent soudain près de moi, font un selfie et partent en courant. J’entends : « Almerinda, on t’adore !!! » Cool, ça me remonte le moral après ma chute. Je crie : « Merci les filles, à samedi, je compte sur vous ! »
J’ai soif. J’hésite entre un Orangina, un Ice Tea et un Coca zéro -mais ça m’embête le Coca zéro, ça à moins de goût que le Coca normal, et puis j’ai besoin de sucre après l’effort… Il y a aussi des smoothies et des cookies maison. Il va falloir que je me décide. Le vendeur me dévore des yeux, lui aussi m’a peut-être reconnue. J’hésite encore. Il dit : « Qu’est-ce qui vous ferait… plaisir ? » Je regarde avec envie la machine à gaufre, mets le visage de Bertrand à la place du mec mignon, hmmm… Mais je pense aussitôt à mes deux kilos en trop pour être au top samedi et je me mordille la lèvre. Et… oh… le pot de Nutella près du gaufrier… Je sais que je n’ai pas de volonté pour les bonnes choses, y’a qu’avec les mecs que je sais dire non. Je prends ma respiration : « Un Perrier et un yaourt nature, s’il vous plaît. »
Relax sur mon transat je profite du soleil. Ils l’ont dit à la météo, c’est la plus belle arrière-saison du XXIe siècle, 24 degrés, on n’a pas eu ça dans la région depuis 2002. Je repense au kayakiste de tout à l’heure… Moi, un boudin ?! Pas de ma faute si je suis canon. À mon avis, samedi, si c’est serré, ça va se jouer sur le pitch perso… Faudra que je dise bien lentement et bien clairement que mon père vendait du sable à Créteil et que ma mère était assistante maternelle… Oui, il faudra que je dise tout ça… Et que je n’oublie pas de dire que c’est top qu’une vraie francilienne puisse représenter le Grand Paris… Que tout le monde peut avoir sa chance au concours, pas seulement les filles du 7-5… Niveau préparation, je suis prête. Une dernière séance d’UV vendredi pour avoir un bronzage sans marque et basta.
« Vous êtes bien Almerinda, la finaliste de Miss Grand Paris ? » Je lève la tête : une maman qui tient par la main une fillette avec des lunettes de soleil en forme de cœur. Je me lève : « Oui, c’est bien moi, merci. » Elles s’approchent. « Bonne chance pour samedi. » Je leur souris. « C’est un sacré challenge, même si j’ai… peu de chances de gagner. » La mère me dit : « Moi en tout cas je voterai pour vous ! » Sa fille hoche la tête. J’ajoute : « Du fond du cœur, merci… Si vous avez un facebook, n’hésitez pas à partager l’info. Vous voulez qu’on fasse un selfie ensemble ? » La fille hoche de nouveau la tête puis rougit.
À suivre
Récit par Frédéric Ciriez
Illustrations par Bruno Collet
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